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Critique de Presence


Ce tome comprend les 5 épisodes d'une histoire complète, initialement parus en 2013, écrits par Jason Aaron, dessinés et encrés par Simone Bianchi, aidé par Riccardo Pieruccini pour l'encrage et les lavis, mis en couleurs par Simone Peruzzi (épisode 1) et Ive Svorcina (épisodes 2 à 5).

Maintenant, sur Titan l'un des satellites de Saturne, Thanos se déplace au milieu de ruines anciennes, foulant du pied des ossements d'individus. Il s'arrête devant la tombe de Sui-San, sa mère. Il se remémore les principales étapes de sa vie, depuis sa naissance jusqu'à cet instant : la réaction de sa mère en découvrant le nouveau né, le comportement de son père A'lars (Mentor, fils de Chronos et Daina), ses interactions avec ses camarades de classe, sa passion pour le dessin, son incapacité à réaliser une dissection dans le cadre d'un cours de biologie, sa relation avec une étrange camarade de classe, son départ de Titan, ses premières conquêtes militaires et féminines, etc.

Dans des interviews, Jason Aaron a clairement expliqué que les responsables éditoriaux de Marvel lui avaient établi comme cahier des charges de raconter l'histoire de Thanos, en respectant les bribes déjà existantes et éparpillées dans des récits disparates. Depuis les 10 secondes d'apparition du personnage dans le film Avengers (2012), Marvel Comics a entrepris un travail de réédition quasi exhaustif de ses apparitions depuis la première en 1973 (dans l'épisode 55 de la série d'Iron Man).

À l'évidence, le ressenti du lecteur vis-à-vis de cette histoire ne sera pas le même s'il connaît déjà le personnage et son histoire dans les grandes lignes, ou s'il le découvre pour la première fois. La mission d'Aaron est complexe puisqu'il doit raconter la montée en puissance de ce personnage destiné à devenir le responsable de génocides en série, pour un idéal amoureux des plus surprenants. le lecteur découvre comment Thanos est devenu ce tueur de masse hors norme, sans cadre de référence.

Aaron a l'intelligence de montrer que tout ne s'est pas fait en un jour, qu'il n'a pas suffi d'un événement déclencheur (un éboulement lors de l'exploration d'une grotte), mais que les éléments se sont accumulés depuis la naissance pour finir par former une trajectoire de vie monstrueuse. Par la force des choses, le lecteur se retrouve à n'éprouver aucune empathie pour cet individu anormal, perdu quelque part entre l'absence de toute émotion pour autrui et une froide folie furieuse. de ce point de vue, il s'agit d'un étrange récit, totalement centré sur l'égo de Thanos, parcourant le chemin d'une atrocité à la suivante encore pire, sans forcément s'appesantir sur l'aspect gore. le lecteur observe donc cet individu dangereux, au-delà de la raison humaine, insensible à la douleur de son prochain, entièrement immergé dans son propre drame, éternellement insatisfait, commettant des sacrifices personnels d'une ampleur délirante.

Aaron remplit servilement son objectif de raconter la vie de Thanos au travers d'événements clefs (en intégrant une petite exigence éditoriale supplémentaire quant à sa descendance), avec une forme de panache téméraire consistant à ne jamais en appeler à la sympathie du lecteur pour Thanos. Par comparaison, Aaron ne retrouve jamais l'ambigüité malsaine de Lincoln Red Crow, à la fois un psychopathe meurtrier et un visionnaire séduisant.

Alors que de son côté Aaron arrive à peu près à convaincre le lecteur du comportement déviant de Thanos, il fallait un dessinateur à la forte personnalité pour pouvoir lui donner une apparence éloignée du supercriminel en collant moulant du mois. Simone Bianchi s'était déjà illustré dans plusieurs récits ("Shinning Knight" de Grant Morrison, "Thor" de Robert Rodi, "Sabretooth" de Jeph Loeb) comme disposant d'une personnalité graphique très affirmée capable de porter un tel personnage. le premier épisode est magnifique avec une mise en couleurs d'une intensité et d'une sophistication inouïes. La mise en couleurs baisse un peu de qualité dans les épisodes suivants du fait de l'absence de Simone Peruzzi. Pour ces épisodes, Bianchi a un peu atténué la flamboyance de son style, mais sans rien perdre de sa singularité, de sa capacité à créer des environnements de science-fiction crédibles. Il n'y a que les séquences nécessitant des images horrifiques dans lesquelles il n'arrive pas à insuffler une intensité suffisante.

De séquence en séquence, le lecteur admire des visuels époustouflants, même si certains éléments peuvent déconcerter. La marche de ce géant massif écrasant des ossements établi une présence physique incroyable pour Thanos (même s'il n'y a pas de raison pour que son vêtement comprenne des éléments jaunes brillants, apportant une étrange touche de fantaisie). Les expressions du jeune et frêle Thanos sont d'une ambiguïté parfaite lorsqu'il est exposé à la gentillesse de ses camarades (même s'il est impossible de savoir pourquoi il porte un casque et pas les autres). Par la suite, chaque scène pendant laquelle Thanos utilise sa force ou ses rayons destructeurs capture parfaitement son manque d'intérêt pour ces actes qu'il estime être uniquement utilitaires, sans aucune satisfaction émotionnelle. Bianchi a su recréer avec justesse le langage corporel de cet individu surpuissant, ennuyé par les combats qu'il sait gagnés d'avance. En cela, Bianchi est en parfait cohérence avec le point de vue donné par Aaron sur le personnage.

Le lecteur ressort avec une curieuse impression de cette lecture. Jason Aaron a su écrire un récit conforme aux exigences éditoriales, respectueux de l'historique connu du personnage (la continuité), décrivant un individu aux valeurs irrémédiablement dégénérées, mais formant un tout cohérent. Simone Bianchi crée un environnement solide et logique pour ces aventures, assez substantiel pour que le lecteur puisse s'y projeter, avec un personnage principal dont il émane une aura intense et froide. Mais ces 2 créateurs se heurtent à l'essence même du personnage qui empêche toute empathie de la part du lecteur. Finalement, Thanos devient crédible en tant qu'individu, d'un point de vue logique, sans provoquer aucune réponse émotionnelle du lecteur.

***
*** Si le lecteur connaît déjà bien le personnage de Thanos, il sait qu'il est indissociable de son créateur : Jim Starlin qui a écrit les principaux récits le mettant en scène, listés ci-dessous (en VO, ou VF).

- Avengers Vs. Thanos (1973-1977, contient les épisodes concernés des séries "Captain Marvel" et "Warlock")
- Silver Surfer: Rebirth of Thanos (1990-1991)
- The Infinity Gauntlet (1991)
- The Infinity War (1992)
- The Infinity Crusade vol. 1 & The Infinity Crusade vol. 2 (1993)
- Thanos: Infinity abyss (2002)
- Marvel Universe: the end (2003)
- Thanos: redemption (2004)
- Thanos: Infinity revelations (2014)
- Thanos vs. Hulk (2014/2015)
- Thanos: The Infinity relativity (2015)

Pour Starlin, Thanos est d'une certaine manière l'incarnation de la pulsion de mort, au sens psychologique du terme. Par exemple son nom est la contraction de Thanatos (nom donné à la pulsion de mort par Sigmund Freud), et le frère de Thanos s'appelle Eros, soit l'éros et le thanatos. Dans les récits de Starlin, Thanos est toujours au dessus de la mêlée, il n'y a qu'à voir l'inefficacité pathétique des superhéros contre lui dans "Infinity gauntlet". Il a pour ambition de devenir le dieu de sa réalité, un être omnipotent régnant sur la création (le but ultime de tout individu incapable d'accepter l'altérité, voire l'existence des autres).

Si au départ, Thanos doit beaucoup à Darkseid et à Metron des New Gods de Jack Kirby, il devient rapidement un personnage à part du fait de sa morbidité intrinsèque et de sa nature quasi métaphysique. À chaque fois, Starlin prend soin d'en faire l'amalgame d'un être faillible et d'un concept philosophique éminemment lié au suicide. Ici dans le récit d'Aaron, cette dimension a disparu, Thanos est un personnage monstrueux dans un environnement de science-fiction sans ambition philosophique de l'auteur.
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