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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Mères mortes (épisodes 12 à 18). Il contient les épisodes 19 à 24, parus en 2008/2009. Tous les scénarios sont de Jason Aaron.

Épisodes 19 & 20 (illustrations de Davide Furnò, couvertures de Tim Bradstreet) - Dashiell Bad Horse se heurte aux limites de ses interventions professionnelles, et à une proposition inattendue et dangereuse de Lincoln Red Crow. Carol Ellroy se heurte à son quotidien étriqué et dégradant de serveuse dans un troquet, au comportement entreprenant des clients, et à ses souvenirs.

Jason Aaron développe l'histoire de ses personnages. Il s'attache cette fois-ci à la relation entre Dashiell Bad Horse et Carol Ellroy, en revenant sur le passé de Carol. À nouveau, Aaron surprend le lecteur, il façonne petit à petit des individus complexes, au passé forcément traumatisant puisqu'il s'agit d'un roman noir, mais aussi d'une tragédie. Au fil des pages le lecteur peut commencer par sourire devant une telle accumulation de coups du sort, mais la passion des personnages et le savoir faire d'Aaron transforment ces ressorts dramatiques traditionnels en une étude de caractère psychologique qui montre plutôt qu'elle n'explique, qui fait apparaître les émotions, les liens affectifs et les horreurs de la condition humaine, à commencer par l'incommunicabilité. Ce dernier point est mis en images dans une scène d'une intensité incroyable, aussi désespérée qu'humaine.

Si les illustrations de Furnò semblent un peu fades par comparaison avec celles de Guéra, il fait la preuve dans cette scène entre Dashiell et Carol d'une sensibilité et d'une justesse remarquables au travers de sa mise en page. La densité d'informations visuelles dans ses cases est un peu plus faible, mais le découpage et la mise en scène s'avèrent vivants et adaptés au récit. La scène finale achève le lecteur, en s'inscrivant dans le ton tragique du récit. Impossible de rester de marbre devant la décision de Dashiell Bad Horse.

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Épisodes 21 à 24 (illustrations de RM Guéra, couvertures de Jock) - D'un coté, Lincoln Red Crow doit gérer les affaires courantes : Mister Brass très encombrant et très salissant (il s'agit de l'envoyé des Hmong pour s'assurer des qualités de gestionnaire de Red Crow, du fait qu'ils ont investi de l'argent dans le casino), le souvenir de l'âme d'une défunte, l'impatience grandissante de Shunka (Uday Sartana), et les magouilles de ses hommes de main. de l'autre coté, Dino Poor Bear a enfin réparé sa Camaro ce qui le met dans un pétrin inextricable.

Aaron se tourne cette fois-ci vers Lincoln Red Horse et Dino Poor Bear, en mettant en évidence les différences dans leurs parcours. À nouveau, il ne s'agit pas d'un dispositif un peu artificiel pour donner un air intelligent au récit. Comme pour Dashiell et Carol, l'histoire de ces 2 personnages s'entremêle. Ces 2 individus sont à leur manière le produit de leur environnement qui magnifie leurs traits de caractère. le lecteur en découvre plus sur le passé de Lincoln Red Crow, ses liens avec Gina Bad Horse et Reginald Standing Rock. Il peut également observer comment Red Horse se perçoit lui-même et par quoi ses actions sont motivées. À nouveau Aaron fait en sorte que ce personnage dépasse les simples clichés pour devenir un être humain complexe avec plusieurs facettes. À nouveau il respecte les codes du roman noir, tout en décrivant des modes de fonctionnement très humains. le parallèle avec la situation de Dino n'a rien de simpliste. Il ne s'agit pas d'une dichotomie basique entre un chemin de vie opposé à un autre. Outre l'époque de leur jeunesse qui n'est pas la même, et donc les opportunités qui sont pas les mêmes, Aaron met en lumière qu'ils sont rongés par un mal être de même nature (d'où le titre "gravel in your guts"), tout en évoluant dans 2 mondes totalement différents du fait de leur position sociale. le lecteur est amené à ressentir de l'empathie pour l'un comme pour l'autre, bien que ni l'un ni l'autre ne puisse prétendre au titre de modèle, et encore moins de héros. Il ne s'agit pas simplement d'une fascination malsaine ou morbide devant leur malheur, il y a également un enjeu affectif pour leur devenir, et une forme sentiments partagés lorsqu'ils se cognent à des obstacles, au plafond de verre, à leur condition sociale et humaine.

Ces 4 épisodes sont aussi l'occasion de profiter des illustrations incomparables de R.M. Guéra. Sous ses pinceaux, Lincoln Red Crow est un individu toujours aussi massif, imposant et terrifiant. Mister Brass est toujours aussi abject et angoissant par sa simple présence. Guéra sait montrer juste ce qu'il faut pour donner une réalité insoutenable aux agissements sadique et dépravés de Mister Brass (et son horrible petit sourire satisfait et écoeurant), sans tomber dans le voyeurisme, un équilibre parfait et exceptionnel. Sa mise en page rigoureuse fait monter la tension pendant les confrontations psychologiques qu'il s'agisse de l'interpellation pour excès de vitesse de Dino, ou de sa rencontre avec son premier client, et cela en l'absence de toute violence physique. le lecteur peut ressentir les fluctuations de niveau d'ascendance que les uns prennent sur les autres, par leur jeu d'acteur. Guéra utilise le langage corporel, l'apparence, les expressions du visage pour montrer les tensions, les appréhensions, l'assurance des personnages. Et lorsque la violence physique éclate, l'action est décrite avec évidence, un maximum de force et de douleur, en un minimum de cases.

Ce quatrième tome confirme la forme et le fond du récit. Il s'agit d'un thriller haletant où chaque individu est susceptible de commettre les pires bêtises, comme de ne pas en réchapper. Il s'agit d'un roman noir où l'espoir est la denrée la plus rare. Il s'agit de véritables êtres humains souffrants, prisonniers à la fois de leur environnement social désespéré, mais aussi de leur condition humaine. Il s'agit d'une immersion graphique d'une grande qualité dans un milieu social condamné, parmi des individus qui refusent de capituler. le destin continue d'avancer dans La vallée de la solitude (épisodes 25 à 30).
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