AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782351786819
346 pages
Gallmeister (23/08/2018)
4.16/5   415 notes
Résumé :
Peu de livres ont autant déchaîné les passions que celui que vous tenez entre les mains. Publié pour la première fois en 1968, Désert solitaire est en effet de ces rares livres dont on peut affirmer sans exagérer qu'il “changeait les vies” comme l'écrit Doug Peacock. À la fin des années 1950, Edward Abbey travaille deux saisons comme ranger dans le parc national des Arches, en plein cœur du désert de l'Utah. Lorsqu'il y retourne, une dizaine d'années plus tard, il c... >Voir plus
Que lire après Désert solitaireVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (93) Voir plus Ajouter une critique
4,16

sur 415 notes
Désert solitaire est un jardin de pierres. C'est une lumière sauvage qui frappe, qui vient cogner sur ces pierres. Edward Abbey a jeté dans ce récit autobiographique un cri viscéral et qui m'a totalement pris aux tripes. C'est donc ici l'occasion pour moi de vous évoquer un de mes derniers grands coups de coeur littéraires.
Désert solitaire, c'est le journal d'un ranger dans les années 50.
Ce jardin, celui dont Edward Abbey nous parle, c'est cet espace immense jusqu'aux montagnes. Nous sommes dans le parc national des Arches, en plein coeur du désert de l'Utah.
Le premier chapitre s'ouvre comme serait le premier matin du monde, quelque chose qui nous révèle justement à ce monde qui commence.
Nous sommes ici dans le pays des canyons. Dès la première page, l'auteur nous indique que « c'est le plus bel endroit au monde ». Puis il poursuit ainsi : « Des endroits comme ça, il en existe beaucoup. Tout homme, toute femme, a dans son coeur et dans son esprit l'image de l'endroit idéal, de l'endroit juste, de l'authentique chez-soi, connu ou inconnu, réel ou imaginé. Une péniche dans le Cachemire, un appartement avec vue sur Atlantic Avenue à Brooklyn, un corps de ferme gothique tout gris au bout d'un chemin de pierres dans les Allegheny Mountains, une cabane sur la berge d'un lac bleu dans la région des pins et des épicéas, une ruelle poisseuse près de la rive de l'Hudson, à Hoboken... »
Cette phrase m'a touché. Je me souviens ainsi d'un premier matin sur le lac Dhal, dans la vallée du Cachemire, où j'avais justement dormi à bord d'un house-boat. La veille au soir j'étais arrivé dans la poussière de la route, harassé après plus de vingt heures de trajet dans un autobus bondé où il me fallait subir en continu des films kitchs qui faisaient réagir de joie ou d'effroi les passagers presque à chaque scène ; quittant New-Delhi, traversant le Penjab, nous étions en pleine période de mousson, des convois militaires par centaines montaient vers le Cachemire, les éboulements de montagne nous ralentissaient, menaçant à chaque fois de nous entraîner vers le fond des ravins... Ce matin-là, au bord des rives de la ville de Srinagar, fut comme un renouveau, le ciel était étonnamment bleu, la chaîne de l'Himalaya s'étalait au loin sous mes yeux ébahis tandis que les fleurs de lotus flottaient sur le lac avec une sérénité que je n'ai jamais retrouvée ailleurs. C'était en août 1989, c'était la dernière année où des touristes pouvaient accéder à ce lieu paradisiaque, qui fut, durant plusieurs années qui suivirent, le théâtre d'affrontements sanglants entre indépendantistes et militaires... Pour moi, il s'agit du plus bel endroit au monde... J'aimerais y revenir.
Et dans le désert de l'Utah qui accueille ces arches merveilleuses, un lever de soleil écarlate mêlé d'or est aussi un moment magique que nous décrit l'auteur depuis la solitude d'une caravane.
Son jardin, c'est cet espace immense jusqu'aux montagnes, c'est le vent qui envoie du sable dans les dents. C'est aussi l'amitié avec un serpent indigo.
Le narrateur nous parle avec grâce et sensualité de la rose des falaises, des figuiers de Barbarie, de la bourrache jaune, de l'astragale pourpre, de son empathie pour un genévrier.
S'allongeant à plat ventre au bord de la dune, il observe le monde des fleurs depuis le ras du sol, comme le verrait un serpent. Quelques oiseaux traversent le ciel jaune et noir. Comme c'est beau, on se croirait là-bas. Ces instants sont très émouvants.
Pour Edward Abbey, une fleur, aussi éphémère qu'elle soit, n'a d'intérêt que si elle est sauvage, libre et spontanée. Déjà dans cette première partie du récit, l'auteur pose un acte fort, sa façon rebelle d'embrasser le paysage, la beauté sauvage du désert.
Le paysage qui habite ce livre est aride, âpre, abrupt, abyssal. On y dégringole comme dans un vertige, on y brûle déjà ses ailes.
Chaque rayon de soleil est un cri, un hurlement posé sur la roche rude et brûlante, qui affleure sur notre peau. Le soleil cogne sur les nuques et les coeurs, coule dans les yeux. Parfois cette roche est plus douce que le sable.
L'auteur nous parle des migrations forcées des bêtes, des putois qui dorment sous les fenêtres ouvertes des chambres, des chevaux qu'on selle à la hâte.
Les canyons sont des labyrinthes où même les bêtes se perdent dans la poussière et la chaleur. Il y a aussi parfois une vache qui s'abime à jamais dans les sables mouvants. Mais en général, les troupeaux qui avancent dans la poussière étouffante finissent par retrouver leur chemin.
Et puis il y a les étoiles qui naissent aussi vite que disparaît le soleil. Les constellations deviennent des chemins où viennent se perdre les yeux. On oublie souvent de parler de la nuit d'un désert, qui enveloppe comme un drap d'autres vies qui passent par là, frôlent le sable peut-être une dernière fois. Les cris d'un coyote ou d'un grand-duc... Les papillons de nuit s'affolent dans le halo d'une lampe-tempête.
C'est un désert désormais vide des Indiens, mais qui y ont laissé des traces, des dessins gravés sur la pierre, un peu de leur âme... Edward Abbey ne les oublie jamais...
Et puis plus tard, s'étant éloigné vers d'autres vies, il revient sur les lieux de ce désert. Les années ont passé. Que sont ses amis devenus ? Éparpillés vers d'autres contrées ou d'autres constellations, certains sont morts à présent ou bien égarés sur un autre rivage...
Le tumulte du monde est venu modifier le paysage désormais abîmé, a posé des routes, jeté des touristes en pagaille.
Alors c'est un cri qui dit la peur ou plutôt l'angoisse du devenir.
C'est un cri de rage.
C'est un livre magnifique, le cri d'amour d'un poète pour un environnement grandiose, condamné à être amputé, défiguré, ce qui le met au désespoir.
L'écriture est sublime.
Ce récit nous parle avec allégresse et mélancolie de notre vie sur terre, sa trajectoire, la vie qui est un songe, une manière de s'élever, désirer un plus grand ailleurs, plus grand que nous, le désert est peut-être ce rêve insaisissable, permettant d'effleurer l'éternité...
Parfois les cris deviennent des chants lorsque les notes s'alignent comme des planètes.
Et puis il y a des histoires de femmes et d'hommes, merveilleuses, burlesques, parfois dérisoires, mais toujours intenses, qui se mélangent dans ce récit minéral.
Ce désert solitaire incarne le temps, un temps très lent et quelque chose qui nous dépasse, de plus grand que nous. Ô comme c'est bon et rafraichissant de venir à la rencontre d'un texte vieux de cinquante ans, et même plus, et qui fait corps avec le sens que nous attendons aujourd'hui de l'existence, un texte actuel si on s'accorde sur la vertu de son message.
Je dédie cette chronique à mon amie Blandine qui m'a tendu avec inspiration la main vers les pages solaires de ce livre.
Commenter  J’apprécie          7723
Désert solitaire, une oeuvre mythique, dans laquelle il est bon de ne pas se précipiter, mais plutôt de l'attendre car elle recèle tellement de merveilles naturelles et littéraires qu'il m'a plu de savourer presque avant de les lire et de pénétrer derrière Edward Abbey au pays des Arches, dans l'Utah.

Son récit est avant tout un magnifique témoignage sur la nature sauvage du désert, inviolée en bien des endroits à l'époque où il l'a fréquentée, particulièrement durant ces trois saisons où il a été ranger au sein du Parc national des Arches.

Ainsi, l'abondance de descriptions et de connaissances de la faune et de la flore du désert qu'il propose à ses lecteurs font bien d'Abbey un chantre exceptionnel des milieux naturels.

D'abord, le désert : accompagner Abbey dans ses escapades au coeur des canyons, découvrir sous sa plume les couleurs changeantes du sable, de la pierre, glisser avec émotion sous les Arches, admirer tous les monolithes de grès, ces sentinelles impuissantes d'une ambiance exceptionnelle est un vibrant plaisir.

Ensuite, la richesse de la flore et de la faune livrent des découvertes sur les comportements des animaux et des plantes pour vivre et survivre dans un monde à première vue hostile. Abbey sanctifie quelques plantes comme le yucca ou le genévrier -- on respire avec lui le parfum magique de sa combustion -- les fleurs étonnantes qui embellissent ce "wild" saisissant.

Et puis, l'eau tient également une place de choix dans l'univers du ranger Abbey, qu'il s'agisse de celle venue du ciel, avec de splendides descriptions des orages, du ruissellement, ou bien de celle des rares cours d'eau, des cascades perdues au fond des canyons, ou du fleuve majestueux Colorado.

Et enfin, la montagne, soit observée de loin, soit parcourue dans l'ascension du Tukuhnikivats, avec une nouvelle fois un ressenti pénétrant témoigné par Abbey à propos des arbres, des fleurs, des pierres, du sommet enfin, et de la nécessité de redescendre.

Malheureusement, l'émerveillement de cette lecture m'a paru trop lourdement entaché par les réflexions cyniques de l'auteur sur l'humanité, son humour premier degré sur ses semblables, son irrespect envers un pauvre photographe qui n'a pu survivre à une brève expédition dans les canyons -- Abbey ne dit pas s'il l'aurait conseillé ou aidé dans son travail -- , diffusant ainsi des perceptions qui, pour ma part, ne peuvent être positives.

Alors, il faut rester sur le titre et plonger dans cette solitude du désert, jouir des instants féeriques que fait partager Abbey et glisser sur ses digressions hasardeuses, pour conserver le souvenir ému de pages splendides jusqu'à cette dernière phrase interrogative et conditionnelle sur le caractère identique du désert et de lui-même lors d'un hypothétique retour.

Commenter  J’apprécie          846
« Poor lonesome ranger » saisonnier dans le parc de Arches National Monument (sud-est de l'Utah), Edward Abbey relate son expérience au milieu de cette nature désertique et sauvage dans les années 1950. Dans son avant-propos, il explique sa manière de voir la nature et ce qu'elle est devenue : « Ce livre n'est pas un guide de voyage ; c'est une élégie, un tombeau. Ce que vous tenez entre les mains est une stèle ».

Un hommage vibrant au rêve de paysage mythique enfoui en tout homme.

Les Arches, c'est une terre rouge et rocailleuse aux paysages morphologiques changeants et spectaculaires où ont été tournés beaucoup de westerns. Un peu comme Monument Valley en bordure de l'Arizona et de l‘Utah.

L'idée que l'on se fait habituellement du désert est qu'il n'y a pas de vie, que rien ne s'y passe, qu'il n'y a que des étendues et des ciels à perte de vue, d'une beauté à couper le souffle, où l'air provoque des ondes de chaleur aux images déformantes. Austérité et nudité.

Or, dans ce récit, à l'écriture somptueuse traduite dans le plus grand respect de la pensée de l'auteur, la vie grouille partout : cerfs, coyotes, lynx, corbeaux, vautours, scorpions, moustiques et parfois aussi, de rares randonneurs bruyants. le genévrier, le frêne et la sauge des sables, toutes sortes de plantes à feuilles rudimentaires, trouvent à survivre sur cette terre aride aux multiples minéraux et métaux rares. Les Indiens Utes et Navajos ont aussi vécu dans ces canyons insondables il y a très, très longtemps.

Le récit de ce Lucky Luke américain, idéaliste pur et dur, est une ode à la vie sauvage, à la splendeur du paysage, à la perfection du silence. Même terriblement bien écrites, 334 pages de descriptions pourraient finir par lasser, mais il n'en est rien. Abbey parsème son amour de l'écologie dans les histoires de ses rencontres avec des cow-boys, ses bivouacs occasionnels avec des ranchers, sa détermination à ramener un cheval redevenu sauvage (chapitre magnifique). Il est aussi ponctué de ses coups de gueule contre les « progrès » de la civilisation, notamment la construction d'une route qui pourra déverser des voitures, sans interruption, à travers l'espace rocheux et réduire ainsi la liberté et les secrets de la nature.

En 1967, Edward Abbey revient dans ce parc qu'il a sillonné inlassablement, des saisons durant, à cheval, à pied, en rampant, en s'écorchant aux épineux, en sondant des failles de roches abruptes, et sa rage de voir ce que le gouvernement et les investisseurs ont fait de la « sauvagerie du monde » le pousse à témoigner de ce qu'était ce paradis perdu quelques années auparavant.

L'écriture très riche et précise de cet homme cultivé ne se limite pas à ce qu'il voit ou ressent au contact de cette « wilderness », elle interroge, elle se réfère à la poésie et à la musique, elle fait des parallèles entre civilisation et culture, par exemple, qui donnent des paragraphes étonnants : « La civilisation est la force vitale de l'histoire humaine ; la culture est cette masse inerte d'institutions et d'organisations qui s'accumulent et deviennent un fardeau pour le progrès de la vie… La civilisation, c'est la tolérance, la distance et l'humour, ou la passion, la colère, la vengeance ; la culture, c'est l'examen de passage, la chambre à gaz, la thèse d'Etat et la chaise électrique…La civilisation, c'est la rivière sauvage ; la culture, cinq cent quatre-vingt-douze mille tonnes de ciment… ».

Une élégie peut-être mais qui draine alors une envie de découvrir ce qu'est l'Eden pour quelques-uns et de revoir « Les Comancheros » ou une certaine « Mission impossible » pour d'autres.

Edward Abbey est mort en 1989 et a été enterré dans un coin des Arches par son ami, Doug Peacock, qui signe la préface de ce Désert solitaire.
Commenter  J’apprécie          802
Voilà un livre dans lequel je me suis jeté avec passion! Désert solitaire est le livre culte d'Edward Abbey, cet écrivain militant écologiste et également auteur du célèbre gang de la clé à Molette.

C'est ici un essai qui nous est proposé, on est ainsi loin du rythme effréné et endiablé mené par la bande de joyeux fous du gang de la clé à molette.

Une très grande force se dégage de ce récit ainsi qu'une toute aussi grande poésie... c'est beau... c'est très beau... C'est une ode absolue à la nature (la nature sauvage comme aime à le dire Abbey). On parle aussi un petit peu de politique avec des propositions concrètes faites par Abbey afin de contrer ce qu'il a déjà vu venir alors que l'on est qu'en 1968 : la destruction inévitable de notre planète par le capitalisme.

C'est incroyable pour moi que cet écrivain ne soit pas plus connu en France. J'imagine que ses idées anti-capitalistes ont été un réel frein à la diffusion de son oeuvre...

La traduction par Jacques Mailhos est remarquable.
Commenter  J’apprécie          647
Il y a une cinquantaine d'années, Edward Abbey écrivait « Désert solitaire », récit de son passage dans le parc appelé Arches National Monument, près de la ville de Moab, dans le sud-est de l'Utah, en tant que ranger saisonnier. A l'époque nous étions deux milliards et demi d'individus foulant de nos pieds gauches cette merveilleuse planète qu'est la terre. Avant même de nous livrer toute la beauté de la nature qu'il a côtoyée pendant ces quelques mois, Edward nous délivre le message suivant : « L'été prochain, ne sautez pas dans votre voiture pour filer vers le pays des canyons dans l'espoir de voir par vous-même certaines choses que j'ai évoquées dans ces pages. Tout d'abord, vous ne verrez rien du tout en voiture ; vous devrez sortir de votre foutu engin et marcher ou, mieux encore, ramper à quatre pattes sur le grès, à travers les buissons épineux, entre les cactus. Lorsque vous commencerez à laisser des traces de sang derrière vous, vous verrez quelque chose. Peut-être. Ou peut-être pas. Ensuite, la plupart des choses dont je parle ici ont déjà disparu ou sont en train de disparaitre rapidement. Ce livre n'est pas un guide de voyage ; c'est une élégie.» le conseil pris et compris nous ramène à aujourd'hui, nous sommes sept milliards et demi d'individus potentiellement capables de nous répandre au coeur de ces natures et de les souiller avec ce que nous appelons la civilisation ou plus simplement avec notre ignorance, notre inconséquence, notre naïveté. Pratiquement trois fois plus de chance d'éradiquer la virginité de ces lieux sauvages, de souiller ces campagnes par notre bêtise crasse et notre égocentrisme. le récit d'Edward Abbey est en lui-même ce voyage que nous ne devons pas faire mais que nous vivons à travers ses yeux à lui.
Alors oui, il faut lire « Désert solitaire » pour s'évader vers ces merveilleuses contrées sauvages et notre empreinte carbone n'en sera que plus discrète.
Commenter  J’apprécie          587


critiques presse (1)
Actualitte
18 mai 2012
C'est un magnifique ouvrage, plein d'humanité et de culture. C'est certainement un incontournable de la réflexion indispensable que devra avoir l'Homme s'il ne veut pas voir les pires scénarii de la science-fiction l'asservir.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (281) Voir plus Ajouter une citation
Que puis-je dire à ces gens ? Comment puis-je libérer, désincarcérer ces mollusques à roulettes enfermés dans leurs coquilles de métal hermétique ? La voiture comme boîte de conserve, le ranger du parc comme ouvre-boîte. Hé ho ! ai-je envie de crier, hé ho les gars, bon sang sortez de vos foutues machines, enlevez-moi ces putains de lunettes de soleil et ouvrez grand les yeux, regardez autour de vous ; jetez-moi ces satanés foutus appareils photo ! Bon Dieu les gars, qu'est-ce que c'est que cette vie, si à tant s'inquiéter il n'est de temps pour s'arrêter, pour contempler ? Hein ? Enlevez un peu vos chaussures, descendez la braguette, pissez joyeusement, plantez les orteils dans le sable chaud, éprouvez-moi cette terre crue et rude, cassez-vous un peu les ongles de pied, que du sang coule ! Et pourquoi pas ? Bon sang, Madame, ouvrez-moi cette fenêtre ! Vous ne voyez rien du désert si vous ne le sentez pas. C'est poussiéreux ? Bien sûr que c'est poussiéreux – c'est l'Utah ! Mais c'est de la bonne poussière, de la bonne poussière rouge de l'Utah, riche en ferraille, riche en raillerie. Coupez-moi ce moteur. Sortez de cette caisse de tôle et étirez un peu ces jambes variqueuses, enlevez votre soutien-gorge et prenez un peu de soleil sur vos vieux trayons ridés ! Et vous, Monsieur, qui regardez la carte pendant que votre radiateur bout et qu'un tampon de vapeur bouche votre circuit d'essence, exfiltrez-vous de cette boîte de merde chromée siglée GM et allez marcher un peu – oui, laissez donc la vieille bourgeoise et les gnards hurlants, tournez-leur le dos et allez marcher droit dans les canyons, perdez-vous un moment, revenez quand foutu bon vous semble, ça vous fera sacrément bien à vous et à elle et à eux. Et aussi : lâchez un peu la grappe à vos enfants, laissez-les sortir, qu'ils aillent escalader les rochers et chasser les serpents à sonnette et les scorpions et les fourmis rouges – oui, Monsieur, laissez-les sortir, libérez-les ; comment osez-vous emprisonner des petits enfants dans votre foutue carriole toutes options sauf les chevaux ? Oui, Monsieur, oui, Madame, je vous en conjure, sortez de vos fauteuils roulants motorisés, levez vos culs vulcanisés, tenez-vous debout comme des hommes ! comme des femmes ! comme des humains ! et marchez – *marchez* – MARCHEZ sur notre terre douce et sacrée.
Commenter  J’apprécie          210
.
[...] j'écoute la quiétude profonde et pétrifiée du canyon .

Nul vent ,
nul souffle ,
nul oiseau ,
nulle eau vive ,
nul bruit d'aucune sorte hors ma propre respiration .

Seul dans le silence ,

je comprends un instant la terreur que le désert primal suscite chez de nombreuses personnes , la peur inconsciente qui les force à dompter ,
altérer ou détruire ce qu'elles ne peuvent comprendre , à réduire le sauvage et le préhumain pour lui donner taille humaine .

Tout plutôt que d'affronter de face l'ante-humain , l'autre monde qui ne terrifie pas par son danger ou son hostilité mais par quelque chose de bien pire : son implacable indifférence .

Ed .Gallmeister (Nature Writing ) p. 247
Commenter  J’apprécie          513
Culture et civilisation
La civilisation, en revanche, bien qu'étant indubitablement le produit de diverses cultures historiques et un produit qui recoupe ce que nous appelons culture, n'est en aucun cas identique à la culture. Des cultures peuvent exister avec peu ou pas de traces de civilisation ; c'est même le cas le plus fréquent. Mais la civilisation, tout en dépendant de la culture pour sa pérennité, comme l'esprit dépend du corps, est une entité semi-indépendante, précieuse et fragile, tissée au cours de l'histoire avec les fils les plus délicats de l'art et de la pensée, en un processus ou une série d'événements sans structure formelle ni localisation claire dans le temps et l'espace. C'est l'avant-garde consciente de l'évolution, la fraternité des grandes âmes et la camaraderie de l'intellect, c'est un corpus mysticum. Une République invisible ouverte à tous ceux qui souhaitent s'y joindre, une démocratie aristocratique fondée non sur le pouvoir ou les institutions mais sur des hommes isolés - Lao-tseu, Tchouang-tseu, Bouddha, Diogène, Euripide, 1 Socrate, Jésus, Walt Tyler et Jack Cade, Paine et Jefferson, Blake et Burns et Beethoven,,John Brown et Henry Thoreau, Whitman,Tolstoï, Emerson, Mark Twain, Rabelais et Villon, Spinoza, Voltaire, Spartacus, Nietzsche et Thomas Mann, Lucrèce et le pape Jean XXIII, et dix mille autres poètes, révolutionnaires et esprits indépendants, célèbres ou oubliés, vivants et morts, dont l'héroïsme confère à la vie humaine sur terre son aventure, sa gloireet son sens.
Pour rendre cette distinction absolument claire :
La civilisation est la force vitale de l'histoire humaine ; la culture est cette masse inerte d'institutions et d'organisations qui s'accumulent et deviennent un fardeau pour le progrès de la vie. 11 La civilisation, c'est Giordano Bruno affrontant sa mort par le feu; la culture, c'est le cardinal Bellarmino qui envoie Bruno au bûcher sur le Campo di Fiori après dix ans d'Inquisition.
La civilisation, c'est Sartre ; la culture, c'est Cocteau.
La civilisation, c'est la solidarité et l'autodéfense ; la culture, c'est le juge, le code et les forces de l'Ordure.
La civilisation, c'est le soulèvement, l'insurrection, la révolution; la culture, c'est la guerre État contre État, machines contre peuple, comme en Hongrie ou au Vietnam.
La civilisation, c'est la tolérance, la distance et l'humour, ou la passion, la colère, la vengeance ; la culture, c'est l'examen de pas­sage, la chambre à gaz, la thèse d'État et la chaise électrique.
La civilisation, c'est le paysan ukrainien Nestor Makhno qui combat les Allemands, puis les Rouges, puis les Blancs, puis de nouveau les Rouges ; la culture, c'est Staline et la Mère Patrie.
La civilisation, c'est Jésus qui transforme l'eau en vin; la culture, c'est le Christ qui marche sur l'eau.
La civilisation, c'est un jeune homme avec un cocktail Molotov dans la main ; la culture c'est le char soviétique ou le flic de LA qui l'abat.
La civilisation, c'est la rivière sauvage ; la culture, cinq cent quatre-vingt-douze mille tonnes de ciment.
La civilisation ruisselle, la culture s'épaissit et coagule comme du vieux sang malade.
p. 310-311
Commenter  J’apprécie          60
Nous avons besoin de la nature, que nous y mettions le pied ou non. Il nous faut un refuge même si nous n'aurons peut-être jamais besoin d'y aller. Je n'irai peut-être jamais en Alaska, par exemple, mais je suis heureux que l'Alaska soit là. Nous avons besoin de pouvoir nous échapper aussi sûrement que nous avons besoin d'espoir; sans cette possibilité, la vie urbaine pousserait tous les hommes au crime ou à la drogue ou à la psychanalyse.
Commenter  J’apprécie          480
"Je ne suis pas ici seulement pour échapper un temps au tumulte, à la crasse et au chaos de la machine culturelle, mais aussi pour me confronter de manière aussi immédiate et directe que possible au noyau nu de l'existence, à l'élémentaire et au fondamental, au socle de pierre qui nous soutient. Je veux être capable de regarder et d'examiner un genévrier, un morceau de quartz, un vautour, une araignée, et de voir ces choses comme elles sont en elles-mêmes, vierges de toute qualité attribuée par l'homme, catégories scientifiques comprises. Voir Dieu ou la Méduse face à face, même si cela implique de risquer tout ce que j'ai d'humain en moi. Je rêve d'un mysticisme âpre et brutal dans lequel le moi dénudé se fonde dans un monde non humain et y survit pourtant, toujours intact, individué, discret. Paradoxe et socle de pierre."
Commenter  J’apprécie          230

Videos de Edward Abbey (12) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Edward Abbey
Retrouvez les derniers épisodes de la cinquième saison de la P'tite Librairie sur la plateforme france.tv : https://www.france.tv/france-5/la-p-tite-librairie/
N'oubliez pas de vous abonner et d'activer les notifications pour ne rater aucune des vidéos de la P'tite Librairie.
Savez-vous quel livre vante l'art d'être un grain de sable dans les rouages de la machine ? Par un écrivain complètement anarchiste…
« le gang de la clé à molette », d'Edward Abbey, c'est à lire en poche chez Gallmeister.
autres livres classés : utahVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (1226) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1695 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..