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Critique de LaBiblidOnee


Désert Solitaire, c'est le Walden de l'Ouest américain.
L'auteur et narrateur se fait embaucher comme ranger saisonnier dans le parc naturel des Arches, ce décor de Lucky-Luke, avec ses trous creusés dans la roche par le vent au fil du temps, sculptures de gré rouge qui s'auréolent d'or au coucher du soleil. C'est dans ce décor de rêves qu'Edward Abbey se couche tous les soirs et se lève chaque matin. Pour l'ambiance, ça ressemble à ça : https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=arches+national+monument
De sa caravane prêtée par le gouvernement, il veille à la préservation de cette nature exceptionnelle, observe sa faune, sa flore et leur équilibre, aide et ravitaille les rares touristes qui osent braver le trajet qu'il faut faire à pied, à cheval ou à vélo pour en profiter, après avoir laissé tout autre moyen de transport sur un parking éloigné.


Subjugué, il se sent rarement seul. Et quand la solitude se répercute sur les murs étroits de sa caravane, il sort, se rapproche de la vie sauvage qui l'entoure, ancre ses pieds nus dans le sable du désert, et prend alors conscience que, loin d'être seul, il fait partie d'un tout magnifique. Il nous passionne pour les transhumances auxquelles il participe, des histoires de chercheurs d'uranium, l'odeur particulière des feux de genévrier et le spectacle de cette fleur qui n'éclot qu'un seul jour par an, le fragile équilibre des animaux et plantes qui se maintiennent réciproquement en vie ; le passage des indiens, le sauvetage de touristes rotis-cuits par le soleil impitoyable, ainsi qu'une rencontre spectrale avec un cheval presque sauvage… Pourtant, l'action insensée de l'homme, menace, une fois de plus, de tout détruire. Ce sera désormais son cheval de bataille.


L'auteur a réalisé trois saisons par amour de cette expérience. La dernière, des années plus tard, lui a malheureusement fait constater les ravages de l'industrie sur un lieu sensé être « préservé ». Il décrit les tenants et les aboutissants du progrès, ses contradictions, ses influences néfastes pour le désert et l'humanité, les intérêts en présence. Il déplore la vanité des hommes. Mieux encore, il propose des pistes de réflexions et solutions pour stopper la destruction du milieu, que ce progrès est sensé protéger et mettre en valeur, mais qu'il est en réalité en train de détruire inexorablement.
De fait, les deux objectifs « protéger » et « mettre en valeur » sont fatalement voués à s'exclure si le seul but de protéger est de montrer au plus grand nombre. Car alors, il faut construire plus d'accès, de routes, qui mènent à la réduction de l'espace et la destruction des espèces. de son humour grinçant, il décrit avec brio ce phénomène qui lui tient désormais particulièrement à coeur. Malgré tout, il assistera à la construction (entre 1957 et 1964) du barrage de Glen Canyon tandis que, désespéré et impuissant, il parcourt en canoë - pour la première et dernière fois - cette nature irremplaçable avant sa destruction et son engloutissement. Avant qu'elle ne devienne ce cirque de béton : https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=barrage+glen+canyon


*****

Sorti en 1968, cette réflexion sur l'industrialisation se lit presque comme un roman ; elle sent la poussière rouge des canyons, le rhum, et les feux de genévriers.
On y trouve de nombreuses références à Thoreau, qu'il s'agisse de citations, ou de réflexions sur l'économie et le progrès : Je les ai trouvées plus subtiles chez Abbey, même s'il me semble aller plus loin dans sa résistance. le lecteur attentif reconnaîtra également une version désertique de savoureux passages de Walden, dont l'écriture avait en revanche plus de panache, de génie dans ces fulgurances : ceux sur les hiboux, les grenouilles (sous ma citation d'Abbey je vous ai mis le lien des grenouilles de Thoreau), les vautours, notre besoin de nature, etc… Comme Walden, Desert Solitaire contient son lot de passages cultes déjà transcrit sur Babelio (je n'ai pas voulu faire de doublon, mais je vous mets le lien d'un de mes extraits préférés à la fin de ce billet).
Le seul petit bémol c'est que ne connaissant pas du tout ce genre de paysage, j'ai parfois eu du mal à imaginer les scènes décrites lorsque l'auteur s'y enfonce profondément, ce qui me sortait un peu de l'ambiance.


Les deux auteurs ont cette maturité de plume qui raconte pourtant des expériences de jeunesse. Mais si Thoreau décrivait son expérience chronologiquement, consacrant la première partie de Walden aux raisons qui le poussaient à agir, Abbey nous offre un pêle-mêle d'instantanés du déserts, un avant-après tout confondu, pour mettre en relief ce que la main de l'homme fait de chaque jolie chose qu'elle croit pouvoir s'approprier et sur laquelle elle veut s'enrichir. Tout est vanité… Et histoire de gros sous ! Ce n'est pas un guide touristique puisque l'endroit n'existe plus tel que décrit. C'est un témoignage et une dénonciation. Une lumière sur nos actes, et une invitation à réagir. Comme Thoreau, il ne prône pas la vie solitaire dans la nature pour tout le monde (pas même pour lui), mais plutôt l'équilibre ; Il invite à cesser de croire que la nature nous appartient. Elle ne nous appartient pas. Nous ne sommes pas au-dessus d'elle, nous faisons partie d'elle et avons besoin d'elle plus qu'elle n'a besoin de nous. Elle survit sans nous, mais nous ne survivrons pas sans elle.


Cette expérience et ces réflexions, qui le poussent déjà à quelques sabotages personnels mineurs, ont sûrement posé les jalons de son roman phare, « Le Gang de la clé à molette », où 4 héros hauts en couleurs sabotent les interventions de l'industrie défigurant le désert de l'Ouest américain : «  Dénonciation cinglante du monde industriel, hommage à la nature sauvage et hymne à la désobéissance civile, ce livre subversif à la verve tragi-comique sans égale est le grand roman épique de l'Ouest américain ».
La désobéissance civile… Tiens, on y retrouverait Thoreau ? Je vous dirai ça bientôt, car j'ai bien l'intention de poursuivre l'expérience ABBEY !


Lien : https://www.babelio.com/aute..
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