Pourquoi un carré est supérieur à une ligne, mais inférieur à un polygone ?
Pourquoi un triangle isocèle est plus respectable qu'un triangle classique mais moins respecté qu'un triangle équilatéral ?
Et pourquoi la ligne est elle une figure inférieure ?
Et si le pape est un cercle, qu'en est-il de la sphère ?
Dans un monde fait de figures géométriques, Edwin A. Abott nous amuse, brocarde les normes sociales, et tente de nous ôter nos oeillères.
Flatland est un monde, un pays, où il n'existe que deux dimensions : longueur et largeur. Les habitants se résument à des traits ou des figures géométriques. Plus vous avez d'angles, plus vous êtes élevé dans la hiérarchie sociale. Les femmes sont donc tout en bas des castes, elles se résument à des lignes. Les membres les plus éminents sont les cercles, les prêtres, en fait des polygones aux multiples côtés.
Leur monde comprend aussi ses déviants, les figures irrégulières : les lignes non droites ou les figures aux côtés non égaux. Ces figures perverses sont soient détruites, soient voués à l'esclavage. Reste aussi la lie de la société, ceux qui prônent l'existence d'une troisième dimension !
La proto SF, ce que j'en ai lu, est souvent une allégorie du présent, permettant une critique du système. Ici la condition féminine, la société de castes, la théocratie, les discriminations et l'ordre établi de cette société victorienne sont vus à à l'aune d'un possible progrès. Même si l'histoire est ancrée dans son époque, bien des éléments font encore réfléchir le lecteur. La condition féminine n'en finit pas de lutter, les discussions sur l'écriture inclusive, la féminisation des termes n'arrêtent pas de soulever d'intenses polémiques. La société de castes est de l'histoire ancienne, mais un fils d'ouvrier a toujours de très grandes chances de finir comme ses parents. Les politique de lutte contre les discriminations n'en finissent plus de discriminer....
Ne se suffisant pas à brocarder son époque,
Edwin A. Abbott va plus loin en nous interrogeant sur nos croyances, nos certitudes, nos dogmes. Si un monde à trois dimensions est possible, qu'en est-il d'une quatrième ? A une époque, la terre était plate, le soleil tournait autour de la terre. Quelles certitudes d'aujourd'hui nous paraitrons illusoires dans quelques centaines d'années ? Les scientifiques qui lancent les théories sur les univers multiples font bien rigoler leur collègues. Et l'auteur de nous démontrer par l'absurde l'ouverture d'esprit à d'autres réalités. Bien joué.
Fable philosophique et allégorie,
Flatland est aussi une dystopie totalitaire, les individus asservis dans le carcan de la pensée conformiste et des normes sociales. Très original, profondément autre, un livre à lire pour sortir de notre anthropomorphisme, de nos convictions, de nos préjugés. Des thématiques universelles avec un traitement intemporel et cynique.