C'est bien connu, l'histoire est écrite par des hommes. On y trouve peu de femmes célèbres. Si Rousseau,
Kant ou
Nietzsche sont connus pour avoir eu des idées géniales en marchant, on en sait beaucoup moins sur les marcheuses féminines.
Ce bouquin tente de réparer cet oubli, à travers le portrait d'une poignée d'entre elles.
Simone de Beauvoir, que l'on se représente volontiers discutant et fumant à une terrasse de café de St Germain, était une grande marcheuse. Comme Georgia O'Keefe. D'autres m'étaient complètement inconnues, telle Gwen Jones. le livre esquisse leur biographie tumultueuse et leur volonté d'indépendance, leur recherche de la solitude - qui est comme le dit l'auteure, le contraire de l'esseulement. Il faut pas mal de courage pour marcher seule, surtout au 19ème siècle, quand on se voyait refuser l'accès à une auberge pourtant vide, ou pourchasser par les assiduités de mâles priapiques.
Annabel Abbs a eu l'intelligence d'alterner les histoires de ces femmes avec la sienne propre, ses recherches, ses randonnées. Ce qui donne lieu à quelques passages savoureux. Par exemple, lorsqu'elle découvre que les chemins si fréquentés il y a un siècle par des marcheurs, ont disparu de la carte, ou bien, au contraire, ont été remplacés par des voies rapides bordées de trottoirs ridiculement étroits, de la largeur d'une chaussure.
Tous ceux qui ont eu le plaisir mêlé d'un peu de peur en randonnant de manière itinérante, en déchiffrant les cartes, en se perdant, retrouveront ici des pensées qui les ont certainement effleurées alors. La découverte de ce que peut être un paysage. La vulnérabilité. L'obscurité et la clarté des étoiles. L'étonnement de découvrir que l'on peut se passer d'un smartphone, et qu'un sac de 12 kilos suffit à contenir l'essentiel. Nos ancêtres étaient des nomades, y compris les femmes qui marchaient en moyenne 16 km/jour, portant les enfants jusqu'à 4 ans.
Cerise sur le gâteau, l'auteur a du style, simple, précis et émouvant sans être trop recherché. Elle transmet efficacement les sentiments qu'elle a éprouvé. Ses descriptions des petits tableaux de Gwen John en particulier touchent juste, au point que je suis allé les contempler sur le ouaibe. On trouvera aussi dans son livre des références à des études scientifiques montrant comment la marche peut nous faire du bien à la fois sur le plan physique et sur le plan mental.