La lecture des critiques et des compte-rendus de ce roman révèle la puissance du bourrage de crâne culturel et militant qui nous tient lieu, aujourd'hui, de réflexion littéraire. Ce roman de
Mohammed Abdelnabi n'est pas un tableau général de la condition homosexuelle dans l'Egypte contemporaine ; ce n'est pas non plus, ou très marginalement, un livre militant pour la justice et le droit. C'est un roman, à savoir l'histoire singulière d'un personnage fictif, qui, ayant perdu la parole à cause des traumatismes subis en prison, raconte par écrit sa propre vie de personnage. Qu'il ressemble ou non à l'auteur n'a aucune importance : écrire un roman, c'est faire passer la vie dans l'univers de la fiction, qui obéit à d'autres lois. Apparemment; les curés progressistes d'
Actes Sud, de la presse littéraire et d'ici même, ne semblent pas capables d'envisager la fiction autrement que sous l'aspect du militantisme dévot et vertueux. La littérature, art du singulier et de l'invention, répugne autant aux censeurs (islamistes, voir les remarques de
Salman Rushdie dans "
Patries Imaginaires") du roman qu'aux bonnes âmes humanistes. Pourtant, l'auteur le signale en postface : "bien que les événements de ce roman s'appuient sur certains faits établis, ils ne sont pas dans leur forme finale calqués sur ces faits, sinon dans la mesure où les rêves se construisent avec le vocabulaire de l'éveil en lâchant la bride à l'imagination ... Plagier la réalité est un objectif impossible, mais également non souhaitable." Ce que dit l'auteur dans sa prose maladroite, c'est qu'un roman produit un alliage de vérité et de fiction, à des dosages divers. Or la morale et le militantisme ne concernent que la réalité (et encore). Ici, en plus, le lecteur dévot méconnaîtra toute une vie cairote, des familles, des moeurs populaires, des chansons, une culture de la musique de variétés arabe, la télévision et ses divas, un humour particulier, un érotisme, qui se manifestent dans ce livre et lui donnent une vie foisonnante. L'ensemble ne va pas sans maladresses et banalités de construction et de style, mais se lit avec plaisir. Et on sait bien que le grand ennemi des curés, c'est le plaisir.