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Critique de svecs


svecs
17 novembre 2016
J'avais lu ce court roman juste après avoir lu "Les Barbares", auquel il fait directement suite.
Nous y retrouvons le narrateur des Barbares, fin lettré de la ville de Terrèbre, qui traduisit "Les Jardins Statuaires", livre mythique et témoignage unique sur les us et coutumes d'une région oubliée, avant de se faire enlever par les Cavaliers, peuple nomade qui avait investie Terrèbre.
A la fin des "Barbares", le narrateur reprenait la route de Terrèbre. Ce roman nous raconte son retour dans la ville et ce qu'il advint par la suite. Je n'avais gardé aucun souvenir précis de cette histoire, ce qui me semblait étrange vu les images fortes que m'avaient laissé les autres livres de Jacques Abeille. Je décidai donc de le relire.
Si le roman fait directement évidemment référence aux jardins Statuaires, je réalise qu'il s'intègre également dans le veilleur de Jour et Les Voyages du Fils, deux autres romans du cycle des contrées (que je n'ai pas encore lu). "Le veilleur de jour" semble être le manuscrit que Ludovic Lindien (héros des "Voyages du Fils") soumet au narrateur. Il y est aussi fait mention de Léo Barthe, auteur sulfureux qui se trouve être un pseudonyme de Jacques Abeille, sous le nom duquel il a publié les "Chroniques scandaleuses de Terrèbre".
Comme on le voit, Jacques Abeille constitue une constellation littéraire au sein de laquelle de nombreux livres se recoupent et se complètent en d'étonnantes mises en abîmes. Ambitieuse entreprise qui dégage quelque chose de fascinant et enrichit la lecture de romans déjà très réussis par eux-mêmes.
Pour en revenir à "La Barbarie", j'ai été frappé par un aspect qui m'avait échappé jusque là. le cycle des contrées est une oeuvre marquée par le sceau de l'imaginaire. Il relève directement de ce que les anglo-saxons appellent la Fantasy. Ce genre littéraire est souvent mal vu dans la francophonie, où il est assimilé à une sous-culture peuplée de clones de Tolkien. Il est souvent plus subtil qu'il en a l'air et permet à certains auteurs d'aborder des sujets politiques et sociétaux. Déjà les Jardins Statuaires, dans sa description presque ethnographique d'une communauté, comprenait des éléments de critique sociale, essentiellement sur le rôle de la femme.
Dans la Barbarie, s'il l'on peut voir la marque d'un Kafka dans la description de l'implacable machine administrative à laquelle le narrateur se retrouve confronté, j'y voit aussi une fable politique subtile. le narrateur avait quitté une Terrèbre envahie et en plein marasme. Il retrouve une ville qui se relève progressivement. Mais cela s'est fait au pris d'une forme d'anarchie législative et administrative, multipliant les règlements, jurisprudences et usages qui rendent la loi opaque et prompte à l'injustice par défaut. Quant à la culture, elle s'est repliée sur une vision ultra-orthodoxe de la connaissance, rejetant ou censurant tout ce qui sort d'une cadre pré-établi. J'oserai même parler d'une certaine définition de l'identité qu'il faut affirmer tout en niant celle de l'autre. Ainsi, les Jardins Statuaires sont renvoyés au rang de mythe, la proximité que le narrateur a progressivement établi avec les Cavaliers est jugées suspecte...
Jacques Abeille reste évasif, à tel point qu'il est possible que cette interprétation ne soit qu'un fantasme de ma part. Pourtant, j'ai l'impression que la dérive autoritaire et régressive de Terrèbre fait bien écho à notre monde.
C'est en tout cas un indice de plus de la richesse du cycle des contrées.
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