AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Malaura


« Je vis de grands champs d'hiver couverts d'oiseaux morts. Leurs ailes raidies traçaient à l'infini d'indéchiffrables sillons. Ce fut la nuit. J'étais entré dans la province des jardins statuaires »
Ainsi débute le périple inédit du conteur de cette histoire, voyageur en quête d'ailleurs, pénétrant dans la contrée mystérieuse des jardins statuaires. Dans ce pays divisé en domaines ceints de hauts murs et bordés de larges rues austères, les hommes d'adonnent à une bien étrange activité, la culture des statues. Aussi délicates que des plantes, les statues sortent de terre en jeunes pousses tendres et fragiles, croissent et se développent sous les soins constants des hommes jardiniers, se transformant ainsi en sculptures guerrières, nymphes ou cariatides, idoles de marbre ou figures d'airain selon la qualité de la terre d'où elles ont pris racine.
Fasciné par la vision d'un monde où règnent tant de paix et d'harmonie, le voyageur-narrateur parcourt le pays, fait halte dans les nombreux domaines, se familiarise avec une population dont il désire entreprendre le récit circonstancié mais dont les us et coutumes ne tardent pas à le laisser perplexe tant ils regorgent de rites, de gestes et d'actions dans lesquels la spontanéité et le libre arbitre n'ont finalement que bien peu de part.
Tout ici semble régi par des codes et des règles, des cérémonies et des chants qui scandent la vie de la communauté.
Ainsi, la femme, être invisible en cette contrée, cloîtrée à l'abri des regards masculins - hormis ceux de son époux - dans un jardin labyrinthique. Ainsi l'étrange rôle du gardien du gouffre ou le sort réservé aux orphelins, ou encore la douloureuse condition des femmes non-mariées, reléguées au rang de filles perdues.
A mesure qu'il pénètre à l'intérieur des terres, le narrateur sent se fissurer le sentiment utopique d'une société idéale dont il s'était préalablement laissé bercer. Progressivement lui parviennent des rumeurs de rébellion, des échos encore informels sur un jeune chef avide de conquêtes, à la tête des peuples nomades des steppes.
Le voyageur s'aventure alors dans les territoires arides délimitant les frontières du Nord du pays, à la recherche de ce légendaire jeune homme qui menace l'ordre fixe, l'immobilité autarcique des jardins statuaires.

Heureux le lecteur qui pénètrera dans le monde paisible et bienveillant des jardins statuaires ! le bonheur qui sera le sien de découvrir ou redécouvrir un chef-d'oeuvre trop longtemps méconnu ! C'est que l'histoire de ce manuscrit comme frappé du sceau d'une malédiction, serait elle-même digne d'un roman. En effet, écrit par le romancier et peintre Jacques Abeille en 1982, Les Jardins Statuaires n'ont cessé de se dérober à l'édition. Manuscrit perdu, incendie, faillite…une série d'infortunes a longtemps soustrait aux regards l'ampleur de ce chef-d'oeuvre de la littérature de l'imaginaire.
Seuls, quelques rares et fervents amateurs de l'étrange, avaient jusqu'ici hissé Jacques Abeille au rang des auteurs culte.
Trente ans plus tard, les éditions Attila mettent un terme au sortilège en rééditant ce somptueux récit qui peut enfin ouvrir grands les portes de son ailleurs aux lecteurs-voyageurs que nous sommes. le sort s'est désormais inversé ; c'est nous-mêmes dès à présent qui sommes ensorcelés, pris par la magie d'un phrasé aux forts pouvoirs magnétiques et l'expression d'une pure poésie aux accents magnifiquement évocateurs et enchanteurs.
Récit de voyage, conte fantastique, quête initiatique, roman onirique, allégorie, Les Jardins Statuaires, échappent à toute velléités de classification. C'est qu'ils sont tout cela à la fois, aussi méticuleux dans la description quasi-ethnologique d'une civilisation aux frontières du mythe, que dans le travail d'orfèvre et la qualité exceptionnelle de leur forme écrite.
A la narration minutieuse des principes de vie d'une société, comparable aux écrits d'un Lévi-Strauss, aux explorations d'Utopie d'un Thomas More ou aux pérégrinations d'un Candide, se joignent le surréalisme d'un Buzzati et la poésie extatique des romantiques du XIXème siècle.
La langue de Jacques Abeille, à ce point ciselée, sertie de rêves, enchâssée d'émotions, vaste pays lui-même à découvrir, est un bijou précieux que tous les amoureux des mots, les épris de littérature et d'imaginaire se feront une intense joie d'appréhender.

« Les réseaux se nouent, se superposent, s'effacent. Les signes pullulent. Il faut que le regard s'abîme.
Pourtant d'autres contrées sont à venir. Il y aura des pays… »



Commenter  J’apprécie          580



Ont apprécié cette critique (44)voir plus




{* *}