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Critique de DocIdoine


Je venais de traverser une difficile opération à l'horrible hôpital Ambroise-Paré et je me suis dit que, quitte à crever si cela devait se produire, j'aimerais mieux le faire sur la Côte d'Azur qu'à Boulogne-Billancourt. Aussitôt dit, aussitôt sauté dans ma vieille Clio Renault. Depuis longtemps, je voulais voir Ramatuelle. Alors je suis descendu par la Nationale 7, et je suis arrivé au petit matin. Sur le parking, à côté du cimetière, j'ai roupillé deux heures et je suis sorti dans la bruine pour voir, d'abord, la tombe de Gérard Philipe qui s'était parquée à côté de ma voiture. Pas de mausolée, pas d'esbroufe funéraire, juste une petite dalle grise très sobre. Je me suis dit que, décidément, Gérard avait emmené son élégance avec lui. Et puis je me suis mis à errer dans Ramatuelle. Finalement, en sortant de l'église Notre-Dame, j'ai pris à droite sous un passage couvert où trônait une "boîte-à-livres". Et là, alors même que je pensais depuis des mois qu'il faudrait que je lise un Abellio, pour me rendre compte: "Les Yeux d'Ezéchiel sont ouverts"! Une édition de 1968 du Livre de Poche, tachée et gondolée, dont la reliure se débinait.

Ainsi, j'avais quelque chose à lire dans le baraquement que j'avais loué hors saison. Mais quelle curieuse lecture. D'abord, on comprend rapidement qu'Abellio exploite une imposture. Il n'a aucune vision ésotérique précise et cherche, par des tâtonnements parfois heureux, mais plus souvent pénibles, à élaborer un système de pensée sensationnel au fur et à mesure que l'histoire avance. La plupart du temps, le propos est incohérent. Mais si l'on retient les grandes lignes, quelques idées-forces se dégagent graduellement de la gangue matricielle du roman.

D'abord, comme Joseph Schumpeter, Abellio pense en termes de destruction créatrice.
Ensuite, Abellio essaie de se fabriquer sur mesure une espèce de Dieu impersonnel qui dans ses hypostases matérielles évoque plutôt un Baal dévorant que le Dieu des catholiques.
Enfin, rien ne sert à rien. Il faut seulement comprendre que tout ce qui doit arriver arrive, avec ou sans le concours de la volonté humaine, et devenir "lucide" (ce qui revient à devenir, nous explique Abellio, "luciférien") pour accueillir la destruction. Ce stoïcisme de poseur évoque une pâle copie de Georges Gurdjieff.

Il y a d'excellents passages, surtout au début, où le style est assez remarquable. Mais dans l'ensemble, la mixture forcée des concepts ésotériques est assez indigeste et la note dominante qui se dégage de l'ensemble est un sérieux parfum d'insincérité et de tartufferie nietzschéenne, comme s'il s'agissait d'épater le bourgeois. Néanmoins, Les Yeux d'Ezechiel constitue un témoignage très instructif quand on aborde la question métapolitique. On comprend alors bien mieux la philosophie - si l'on peut dire - de la Nouvelle Droite à l'origine. Des résurgences particulièrement remarquables se retrouveront dans les bouquins de Guillaume Faye, par exemple, même si Faye est épuré de tout gnosticisme et que sa vision du monde est radicalement matérialiste.

Grosso modo, Abellio défend une vision apparentée à celle de Saint-Loup dans Les Hérétiques. Leur parcours politique, d'ailleurs, est assez semblable: venus tous les deux de la SFIO, ils collaboreront avec les Allemands jusqu'à devenir, pour l'un, cadre du PPF de Doriot, pour l'autre du MSR de Deloncle -> voir à ce sujet l'extraordinaire bouquin de Simon Epstein (1% de collabos réellement engagés dans le national-socialisme, et sur ce 1%, plus de 80% d'hommes encartés à gauche avant guerre).

Abellio et Saint-Loup finiront par adopter la posture romanesque du simili-Cathare, bien digne de figurer dans les resucées du Matin des magiciens traitant (assez lamentablement) d'"ésotérisme nazi". Une veine littéraire particulièrement fructueuse dans les années 1960-70.

Un petit côté Cavalcare la tigre aussi, chez Abellio, qui s'explique facilement par ce qu'on vient de dire. Sauf que Julius Evola, c'est beaucoup plus sérieux, évidemment.

Bref, tout ça est tout sauf convaincant, mais sans doute, il faut le lire tout de même. Pour retourner ensuite crapahuter dans les calanques où c'est qu'il y a de jolies filles qui se f* comme de leur premier bikini des anarchistes catalans-cisterciens partisans de triomphe de Baal au nom de la lucidité luciférienne qui n'est autre que la grande tradition cathare libérée du dualisme où l'Eglise l'a enfermée (ouf! ça y est, j'ai une crise de foie - saleté de gloubiboulga!)
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