Je suis arrivée jusqu'à cette série un peu par hasard, par la « magie » combinée d'une carte France loisirs que j'ai prise parce que je me suis laissée embobinée par un commercial beau gosse (ça m'apprendra), et l'envie subite d'en profiter, tant qu'à faire d'être couillonnée, pour me payer quelques nouvelles BD. Je me suis donc retrouvée, un samedi, à déambuler dans le magasin France loisirs de Tours, à la recherche de BD sympa, quand je suis tombée sur ces 2 tomes. Coup de foudre direct pour le « trait » du dessin de couverture. J'ouvre donc, et le coup de foudre se poursuit. Très beaux dessins et belles couleurs : au premier balayage, l'ambiance visuelle me plaît. Un petit air d'
Isabelle Dethan, par moments, dans les visages des personnages, ce qui ne fait qu'accroître mon à priori positif (que ceux qui ne connaissent pas la trilogie du « roi cyclope », de la dite-
Dethan, courent la lire sur le champ, c'est magnifique).
Je lis le résumé au dos des BD. On y parle pour le premier tome d'amitiés entre gosses, en Italie, pour le second de retrouvailles 20 ans plus tard, au Costa Rica.
Bon, c'est décidé, j'achète. Me voilà de retour chez moi avec 2 BD. Une trentaine d'euros en moins sur mon compte en banque. Et le mélange inévitable entre la hâte de plonger dedans, et le désir de prolonger l'attente gourmande.
Les deux albums présentent la particularité d'être longs, une petite 100aine de pages chacun. Ils présentent la seconde particularité de n'être pas pour autant forcément « longs » à lire, car certaines pages entières sont purement graphiques, sans texte.
Ceci donne un rythme doux à ces albums, invite à une déambulation autant visuelle que verbale qui accompagne bien son scénario poético-onirique. Il est probable que le charme de ces albums repose aussi sur le fait que l'on ne soit pas « noyé » sous le texte. L'esprit du lecteur est donc libre de déambuler à sa guise.
Le tome I se déroule en 1906. Après avoir hérité d'une maison dans la région, la famille de William, 10 ans, arrive de Londres pour s'installer à Barellito, petit village de pêcheurs situé en Italie. le père de William, indécrottable optimiste, un brin visionnaire, a des projets, des envies, des désirs, et même s'il ne se fait pas d'illusions sur la difficulté à se faire accepter, il est persuadé d'y parvenir.
William, lui, se fait « embarquer » dans une histoire d'amitié forte, et teintée de paranormal, aux côtés de Lisa, Paolo et Nino. Ce premier tome est baigné de soleil, de courses enfantines, de rêves de nouvelle vie pour les adultes. Mais il n'est pas insouciant pour autant, et il y a dans la beauté de ce premier tome un peu de la beauté du désespoir, aussi.
Le tome II se passe 20 ans plus tard. Après s'être perdus de vue pendant les 20 ans en question, William Paolo et Nino se retrouvent à Istambul autour de Lisa, qui leur a envoyé un télégramme à tous les 3.
Et voilà le quatuor reformé, et ses membres en route pour le Costa-Rica, à la recherche de l'homme aimé de Lisa. Au fil de ce voyage les mystères du passé s'éclairciront, et le fond de paranormal que j'évoquais plus haut trouvera son explication. La beauté demeure, la souffrance et le désespoir aussi.
Que l'on me comprenne bien : « où le regard ne porte pas » est une série très belle. Ce n'est pas glauque, ni noir. C'est juste que ce n'est pas béat de simplification du type « tout le monde il est beau tout le monde il est gentil ». Les personnages vivent, et sont marqués par le destin, avec les hauts et les bas que cela implique. Ils ne sont pas des caricatures de héros qui s'en sortent toujours avec le même brushing et le même sourire ultra-brite impeccables quelques soient les épreuves rencontrées.
Je l'ai déjà dit, l'univers visuel est très beau. Les dessins, les couleurs, vous accueillent en leur sein, et je sais bien que c'est on ne peut plus subjectif, mais j'y suis pour ma part entrée sans aucune difficulté. Il y a un vrai style, qui n'est ni « naïf » ni « réaliste », mais qui n'est pas non plus « futuriste » ou je ne sais quoi qui rendrait l'abord plus délicat.
Les personnages sont assez « typés » et se différencient bien les uns des autres. Les paysages, dont j'ignore s'ils sont ressemblants ou pas (je ne suis jamais allée ni en Italie ni au Costa Rica, faudra que j'y songe, d'ailleurs !) sont très beaux et « crédibles ». Même en ne connaissant pas les coins qu'ils sont censés représenter, les voir comme ça me convient, ne « choque » pas mon imaginaire.
Les alternances de style entre le fil de l'histoire principale et les « voyages » surnaturels des enfants puis des adultes (insertions de doubles pages dans des couleurs très chaudes, rouges/orange/jaune, au milieu du reste) est très réussie.
Quid du scénario ? Difficile de vous en parler sans déflorer une partie du charme d' « où le regard ne porte pas ».
On ne comprend pas tout, au début, mais ça n'est vraiment pas grave. L'ambiance mystérieuse est je le pense voulue, et sert le scénario, dans la mesure où les enfants ne comprennent pas eux-mêmes, au départ, quels sont ces « voyages » qu'ils font. le noeud de l'intrigue se défera petit à petit au cours du second tome. Nous n'aurons que la trame générale de l'explication. Après, libre à l'imaginaire de chacun de broder, puisque nous sommes dans une part de surnaturel, tout est permis.
Les ruptures de style graphique, dont je parlais au dessus, sont présents également dans la narration. Lorsqu'une double page jaune/orange surgit, le fil de l'histoire s'interrompt, et un personnage (on ne sait pas qui, au départ) se met à décrire ce qu'il voit, qui n'a rien à voir avec ce qui se passait juste avant.
Ceci fait beaucoup à l'ambiance de l'histoire, qui n'est du coup pas monotone, et qui baigne dans ce flou poétique qui n'est pas oppressant, et par lequel on se laisse porter au long du scénario et des dessins.
Bref, « où le regard ne porte pas » est une bande dessinée qui vous invite à vous laisser porter par ses dessins riches et beaux, et par son scénario poétique et onirique, troublant, où se côtoient bonheurs et souffrance, mystères et découvertes.
Ce n'est pas une BD cartésienne, ancrée dans le réel le plus parfait, où tout est carré et bien repérable. Elle n'en est que plus charmante.
Je vous conseille fort ce voyage dans ces contrées « où le regard ne porte pas », puisque c'est le sens du titre. Il est vraiment très agréable.