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EAN : 9782748900644
893 pages
Agone (10/04/2007)
4/5   2 notes
Résumé :
Le secteur de la presse est certainement de ceux où la précarisation des petits salariés est la plus galopante. La corporation, pourtant truffée de grandes consciences toujours prêtes à délivrer des leçons d’humanisme sans frontières, ne s’émeut guère de la condition galérienne qui est faite, en son sein, à des milliers de jeunes complaisamment livrés à l’arbitraire des employeurs par les écoles de journalisme.
Le grand public ne connaît généralement du journ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
La presse se présente volontiers comme un contre-pouvoir, mettant son nez là ou les politiques et les industriels ne veulent pas que l'on regarde, à tel point que nombre de journalistes sont assassinés chaque année pour avoir dérangé les petites affaires d'un personnage un peu trop influent. Les mouvements populaires, d'un autre côté, voient plutôt les médias du côté du pouvoir : collabos pendant la seconde guerre mondiale, « laquais du capitalisme » en mai 68, et carrément pris à partie lors des premières manifestations des gilets jaunes. Comment réconcilier ces deux visions ?

Tout d'abord, les médias, déficitaires dans leur ensemble, sont maintenant largement dans les mains des grands groupes industriels. Comme l'a montré Chomsky, cela va naturellement orienter le ton général de la presse : les rédacteurs en chef seront choisis pour leur proximité avec les idées de leur patron, et vont choisir des subordonnés proches de leurs idées, qui vont à leur tour choisir des subordonnés proches de leurs idées, … et même si l'orientation politique peut se diluer quand on se rapproche de la base, on va avoir naturellement des journaux tous favorables au libéralisme et au mondialisme, et très sévères envers les mouvements sociaux qui entravent la compétitivité et envers les grèves qui empêchent les bons employés d'être productifs.

Conséquence intéressante, il semble à travers les différents témoignages présents dans ce livre, que les pigistes expérimentent le monde du travail rêvé par le libéralisme, en ne rémunérant que ce qui produit de la valeur pour le journal : ainsi, les pigistes sont payés à l'article, ils doivent avancer les frais de leur reportage eux-mêmes, avant d'essayer de le vendre à différents journaux en espérant se rembourser ; si l'article est accepté mais finalement pas publié, il ne sera payé qu'à la moitié de sa valeur ; ils sont rémunérés en droits d'auteur, un peu en noir, de façon à avoir peu de charges sociales à payer, ce qui les laisse avec très peu de droits une fois sans travail. On réalise facilement les dérives une fois qu'on sait que les candidats se bousculent à la porte des journaux, et que les places sont devenues chères : baisse drastique des rémunérations, impossibilité de formuler la moindre plainte sous peine d'être rayé des listes de collaborateurs, « aménagement » de son article pour coller le plus possible à la ligne d'un journal et augmenter ses chances de publication, … D'autres tendances sont assez inquiétantes, comme la porosité du monde du journalisme avec celui de la publicité ou du cinéma, qui fournit des meilleures rémunérations pour faire « la même chose », l'esprit d'investigation en moins (mais on peut se demander si on le retrouve facilement à force de faire des allers et retours entre les milieux).

Le livre est donc un peu déprimant, parce qu'on ne voit pas très bien comment les choses pourraient évoluer vers le mieux : la presse est de moins en moins rentable, les abonnements traditionnels se cassent la gueule, et le web n'est pas (encore) économiquement viable. On la voit donc mal se débarrasser de ses mauvaises influences à court ou moyen terme.

J'aurais tout de même apprécié quelques chiffres pour soutenir le propos, car les témoignages sont intéressants, mais ne permettent pas d'avoir une vue générale de la situation : combien de pigistes, combien de titulaires, combien de postes ouverts, et comment tout ça bouge dans le temps …

Le livre est également bien ancré à gauche, ce qui ne m'a pas dérangé plus que ça étant donné que la couleur (rouge, du coup) est clairement annoncée dès le départ. Mais si vous êtes allergique aux syndicats et au droit du travail, vous risquez quelques crises d'urticaire pendant la lecture.
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Cet ouvrage colossal regroupe des analyses sociologiques sur la manière dont les journalistes exercent leur métier. J'ai ajouté en manière d'illustration les 10 commandements du journaliste précaire.

> L'information est un produit comme les autres
[...]

> L'information est une arme idéologique
[...]

> L'information est un spectacle et un divertissement
[...]

> Les pigistes sont les « mercenaires de l'info »
L'exploitation massive des pigistes, des journalistes précaires qui réalisent ponctuellement des piges, des articles ou des reportages, permet de réduire le coût de la main d'oeuvre. Qui sont ces pigistes ? Voici leur dix commandements.

1. Tu travailleras comme un stakhanoviste
[...]

2. Tu arpenteras sans cesse
les couloirs de la rédaction
[...]

3. Tu seras docile et malléable
[...]

4. Tu t'auto-censureras pour
ne plus être censuré par la rédaction
[...]

5. Tu sacrifieras la déontologie pour la vie
[...]

6. Tu courras après les fiches de paie,
puis tu y renonceras
[...]

7. Tu ignoreras tes droits juridiques et moraux
[...]

8. Tu attendras en vain d'être intégré
à une rédaction
[...]

9. Tu vivras dans la solitude, la peur et la précarité
[...]

10. Tu aimeras toujours ton métier
même si tu continueras à le dénoncer
[...]

> La liberté des journalistes, c'est notre liberté d'information
Journalistes précaires, journalistes au quotidien est un document d'une grande richesse qui regroupe des témoignages de journalistes et des analyses sociologiques sur la précarité des journalistes. L'enjeu est de taille puisque la liberté d'expression des journalistes dépend des conditions dans lesquelles l'information journalistique a été rédigée ou montée (reportage écrit ou vidéo). Cet ouvrage colossal permet justement de comprendre les mécanismes de l'immense machine de l'information et de faire état du journalisme en France.
Et justement, laisser mourir la liberté des journalistes, c'est accepter, nous, lecteurs, d'être manipulés par la classe dominante qui sont actionnaires des “empires de presse”. Les conséquences d'une telle marchandisation de l'information et de la prolétarisation des journalistes sont extrêmement pernicieuses. Il est dangereux que ceux qui produisent les contenus, les journalistes, ne soient plus qu'une variable d'ajustement (une vulgaire masse salariale) de tout un processus (mais c'est aussi le cas dans d'autres secteurs de l'information, comme l'édition).
[...]

L'article entier avec les 10 commandements sur mon blog :
http://www.bibliolingus.fr/journalistes-precaires-journalistes-au-quotidien-collectif-a108070794
Lien : http://www.bibliolingus.fr/j..
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
[I]l existe dans les rédactions de l'ensemble des médias une méconnaissance profonde du monde populaire, encore perçu pour l'essentiel à travers les clichés réducteurs hérités de la tradition romantique : alternativement le « bon peuple », pittoresque et rassurant ; et le mauvais peuple menaçant, celui de la « plèbe grondante », de la « canaille hurlante », de la « populace déchaînée » qui donnait des cauchemars à la bourgeoisie louis-philliparde. Le vocabulaire a changé (un peu) ; mais le concept persiste. Les classes populaires qui apparaissent dans les reportages sont réduites à une collection de cas singuliers, d'individus atomisés – ce qu'il est convenu d'appeler des « braves gens », des « petites gens » – placés dans une situation plus ou moins spectaculaire, dramatique, émouvante, à qui on essaie de faire dire des choses « fortes », touchantes, cocasses, génératrices d'émotion ; et les journalistes du « social » trouvent des accents presque hugoliens pour parler des « misérables », par excellence les SDF. En revanche, les événements et les situations faisant intervenir des collectifs populaires engagés dans des actions organisées – telles que des grèves (surtout en milieu ouvrier ou dans la fonction publique), avec des revendications et des analyses politiques et/ou sociales explicites – ne sont abordées qu'avec réticence et circonspection, ou avec une agressivité à peine contenue (qui peut aller jusqu'à mettre explicitement en question le droit de grève), quand ils ne sont pas purement et simplement passés sous silence.
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Le secteur de la presse, en particulier dans les radios et les chaînes de télé, est certainement l'un de ceux où la précarisation des petits salariés est la plus galopante. La corporation, pourtant truffée de grandes consciences toujours prêtes à délivrer des leçons d'humanisme sans frontières, ne s'émeut guère de la condition galérienne qui est faite, jusque dans son sein, à des milliers de jeunes gens et jeunes filles, complaisamment livré(e)s à l'arbitraire des employeurs par les écoles de journalisme et leur enseignement de la soumission.
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[J]e me suis aperçu assez vite qu'il n'y avait pas de métier plus normal que le métier de journaliste et non seulement c'est un métier normal, mais c'est un métier qui donne la norme, qui normalise, qui est normatif. [...] Idéalement, les médias seraient pour donner des nouvelles du monde et donner le sentiment du temps présent, de l'altérité, de ce qui ne va pas de soi. [...] Ce qui compte maintenant, c'est plutôt donner des nouvelles de la société et même moins de la société que du village, au sens de McLuhan, c'est à dire c'est la Fran-France quoi, avec ses idoles, avec ses stars d'un jour, ses escrocs d'un jour, donc ça n'a aucun intérêt, et c'est là que ça devient absolument normatif.
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[I]l y a des jours où j'ai du mal à me motiver, où je suis las de courir tout le temps. Je n'ai pas l'impression de faire un vrai travail de journaliste. Nos chefs attendent de nous un sujet stéréotypé, qu'ils ont imaginé à l'avance dans leur bureau de l'avenue Montaigne à Paris. Il faut des images, si possible « chocs », et des sonores, si possible angoissés. On ne nous demande pas vraiment de faire une enquête. Mais a-t-on le temps d'en faire une, à courir après des images, après les différentes éditions de la journée. Je n'en veux pas qu'à nos chefs. Je nous en veux aussi, car nous perdons les réflexes d'un minimum de travail journalistique.
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[I]l suffit de se balader sur le terrain, d'aller chez les gens, demander une interview et voir la façon dont les gens se méfient, ont peur de ce qu'on va raconter, de ce qu'on va couper, pour se dire que là, vraiment, c'est raté, parce qu'on passe après des gens qui ont déçu et qu'il n'y a plus aucune confiance...
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