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Michel Ligny (Traducteur)
EAN : 9782708701915
254 pages
Editions Présence Africaine (11/07/2000)
4.09/5   585 notes
Résumé :
"Things Fall Apart", 1958.

Dans le village ibo d'Umuofia, Okonkwo est un homme écouté dont la puissance et le courage sont vantés par tous, un fermier prospère qui veille sur ses trois épouses et sur ses huit enfants, un sage guerrier jouissant de la confiance des anciens. Son monde repose sur un équilibre cohérent de règles et de traditions, mais l'extérieur s'apprête à violer cette réalité qui semblait immuable : les missionnaires d'abord, les colon... >Voir plus
Que lire après Le monde s'effondre (Tout s'effondre)Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (103) Voir plus Ajouter une critique
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Okonkwo est un homme respecté au sein de son clan. Il a trois épouses et 9 enfants. Sa prospérité, il la doit à son seul courage et à sa détermination; non à l'héritage d'un père qu'il méprise tant pour sa paresse que pour sa couardise. En toute circonstance, Okonkwo veille à ne montrer aucune faiblesse. Comme celle des autres membres du clan, son existence est régie par un ensemble de rites et de croyances figés auxquels il obéit aveuglément. Même lorsque ces règles le conduisent à poser des gestes qui vont à l'encontre de son inclination personnelle, jamais il ne les remet en cause....

(lire la suite)...

http://coupsdecoeur.wordpress.com/2010/02/23/le-monde-seffondre/
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EX-CEP-TION-NEL !
Waouh ! Ce n'est pas si fréquemment que je me laisse aller à un tel enthousiasme, mais là, là, il faut bien reconnaître que c'est un très, très grand livre, de l'ordre de l'exception. Par siècle, très peu d'endroits du monde sont capables de produire un livre comme celui-ci, car il faut une conjoncture d'événements particulière, et parmi ces endroits, encore faut-il avoir la chance d'avoir un Chinua Achebe sous la main.

Par exemple, nous autres Français, aussi orgueilleux que nous puissions être de notre littérature et de son histoire, nous ne pouvons pas nous targuer d'un Chinua Achebe. Les Islandais le peuvent, éventuellement les Grecs et les Italiens le peuvent, et encore, c'est assez discutable pour ces deux derniers, mais nous, non. Les Anglais, les Allemands ou les Espagnols non plus.

Comment vous dire ? Pour avoir un Chinua Achebe en France, il aurait fallu que la conquête des peuples gaulois par les Romains nous ait été décrite dans un récit riche et structuré par un écrivain du cru, un Éduen, un Arverne ou un Rème, par exemple. Il aurait fallu qu'il nous décrive de l'intérieur ce qu'était la (les) société(s) gauloise(s) et comment s'est effectuée la conquête, étape par étape. Là, nous aurions eu un Chinua Achebe, mais tel n'est malheureusement pas le cas.

Oui, en fait, le seul livre tant soit peu comparable que je connaisse est la Saga de Njáll le Brûlé, l'une des sagas islandaises du Moyen Âge qui nous conte l'implantation du christianisme en Islande et de la perturbation que cela a causé dans toute la société d'alors. Elle aussi avait son héros, c'était Gunnar en Islande, c'est Okonkwo au Nigéria. D'ailleurs, ces deux-là ont un destin très similaire.

Waouh ! Je le redis car j'ai peine à le croire tellement c'est fort. Quel témoignage ethnologique exceptionnel ! Merci monsieur Achebe d'avoir sauvé de l'oubli dès 1958 — c'est-à-dire avant l'indépendance du Nigéria — toute cette culture, toute cette tradition aujourd'hui disparue pour l'ethnie des Igbos. Imaginez si nous avions un livre qui nous parlait de la société néolithique qui a élevé les menhirs de Carnac, imaginez si nous avions un témoignage écrit du mode de vie à l'époque des pèlerinages de Stonehenge. Imaginez le bonheur que serait le fait de pouvoir lire de la main d'un Aztèque l'arrivée des Espagnols ou bien l'implantation de l'Islam en Asie centrale vue par un Ouzbek d'alors. Eh bien c'est ça qu'il nous offre, rien de moins. Ça et, évidemment, comment cela s'est terminé, d'où son titre.

La quatrième de couverture cite un proverbe africain qui colle merveilleusement au propos du livre et qui m'évoque immanquablement La Guerre Des Gaules de César : « Tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, l'histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur. »

En somme, nous suivons donc le destin d'un homme au caractère bien trempé, Okonkwo, un homme qui a envie de s'élever dans son clan et qui est attaché à la tradition des ancêtres. Dans la première partie, l'écrivain nous dresse le tableau de cette société traditionnelle disparue et, ce qui est remarquable, sans angélisme aucun. Il montre tant ses bons que ses mauvais aspects. Il n'hésite pas, par exemple, à nous montrer le rituel d'un sacrifice humain en réponse à de supposés oracles, exactement comme ils devaient se dérouler en Europe au néolithique et à l'Antiquité.

C'est un tableau vivant et d'une richesse rare. Les parties deux et trois font le récit de l'implantation progressive des blancs, via la religion et les missionnaires dans un premier temps, mais aussi et surtout, par son bras armé ensuite.

Chinua Achebe, montre, démontre ou remontre s'il était besoin, que la religion — tout au moins les grandes religions monothéistes encore dominantes de nos jours — sont et ont toujours été des éléments de pouvoir et de soumission. Depuis l'empereur Constantin c'est particulièrement vrai de la religion chrétienne. Christopher Marlowe, un témoin d'époque, n'en pense pas moins au moment des guerres de religion du XVIème siècle en France. La radicalisation religieuse que nous vivons en ce moment n'en est qu'un autre et énième avatar.

Bref, j'ai adoré m'imprégner de la culture de l'igname, du mode de pensée et des structures claniques, avec leur fonctionnement propre qui, je me répète, me rappellent énormément le fonctionnement social de l'Islande pré-chrétienne.

Oui, c'est donc un immense coup de coeur que ce Tout S'Effondre, un livre que j'avais emprunté à ma bibliothèque fétiche mais que je vais me dépêcher d'acheter, car c'est un livre que je tiens à avoir sous la main dans ma propre bibliothèque ; un livre d'une rare valeur. Mais bien sûr, ce n'est que mon avis, c'est-à-dire très peu de chose.
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Ce livre raconte en trois parties l'histoire d'Okonkwo, un homme ambitieux et dur. Durant toute sa vie Okonkwo travaille à devenir un grand homme dans son clan. Mais il tue accidentellement un jeune homme et doit s'exiler pendant sept ans. Quand il revient d'exil, les Blancs ont pris le pouvoir dans son village.

J'ai beaucoup aimé ce livre et je le trouve très bien écrit. L'auteur prend vraiment le temps de décrire les coutumes et le fonctionnement du clan et cela souligne le clash entre le Blanc colonisateur et les membres du clan.
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Un petit village de cases dans la forêt équatoriale au sud-est du Nigéria. Deuxième partie du XIXe siècle.

Okonkwo est devenu chef de clan à la force des poignets. Travailleur infatigable, il a voulu compenser la paresse de son père qui faisait de l'ombre à son orgueil. Société patriarcale d'agriculteurs, les Ibos cultivent principalement l'igname, le maïs et le gombo et fabriquent un vin de palme fort apprécié. Au cours d'entretiens avec les sages des tribus voisines, les hommes partagent la noix de kola après leurs palabres interminables.

Le respect des traditions, le culte des ancêtres et la communication avec les nombreux dieux sont indissociables de leur vie hiérarchisée. Les us et coutumes ainsi que les superstitions sont évoqués dans une première partie qui m'a fait instantanément penser à ces « rendez-vous en terre inconnue », à ces tribus qui vivent loin de la civilisation – où qu'elles soient dans le monde – mais qui, tôt ou tard, disparaîtront ou seront absorbées par les villes.

Depuis qu'un jour, pour respecter la vision du sorcier, Okonkwo tue le meilleur ami de son fils, qu'il avait adopté et qui comblait son ambition, sa vie va changer irrémédiablement : les anciens l'avaient dissuadé de cette exécution, son fils fuit le village, Okonkwo tue le sorcier par maladresse et est condamné à un exil de sept ans, toujours selon la loi tribale. La séparation devient inévitable à tous les niveaux. le village perd son chef, la famille est démantelée, les valeurs ancestrales prennent un coup dans l'aile et, pour ne rien arranger, des étrangers européens sillonnent le pays pour imposer leurs moeurs et leur religion.

Le début du colonialisme britannique désorganise l'ordre social, les missionnaires blâment les sacrifices humains – ces sauvages n'enferment-ils pas les nouveau-nés jumeaux dans des jarres pour les enterrer dans la forêt, ne font-ils pas appel aux incantations du représentant des dieux pour rendre la justice ? Ils dénigrent tout autant la polygamie, la violence entre clans, ridiculisent les coutumes ancestrales tout en vantant les merveilles des techniques et des outils européens qui facilitent la vie et apportent la richesse. Un dieu remplace tous les autres, il est bon et miséricordieux.

Les missionnaires sont rompus aux belles histoires de la Bible et les Africains adorent les contes.

Le titre du livre est extrait du poème de Yeats « The Second Coming » :
« Tournant, tournant en cercles toujours plus larges, le faucon n'entend plus le fauconnier. Tout s'effondre, il n'y a plus de centre. L'anarchie se déchaîne sur le monde »

Chinua Achebe est né en 1930 dans le Sud Nigeria, de parents chrétiens d'expression anglaise. Ses études universitaires le conduisent à travailler dans la communication (radio, rédacteur en chef, professeur d'anglais). Il voyage beaucoup en Afrique, en Angleterre et aux Etats-Unis. Il est professeur dans plusieurs universités. En 1960, le Nigéria obtient son indépendance mais n'évite aucunement les clivages ethniques et religieux. Chinua Achebe a toujours soutenu les sécessionnistes du Biafra (sa région natale) et il est le premier écrivain africain à raconter d'un point de vue africain les déboires de son peuple face à la colonisation.

Plusieurs fois, il a été pressenti pour recevoir le prix Nobel de littérature et les plus hautes récompenses dans son pays, prix qu'il a refusés en protestation à la politique dictatoriale du Nigéria.
Il est mort à Boston en 2013.

L'écriture de Chinua Achebe est très expressive et simple. le traducteur a gardé des expressions de la langue ibo, ce qui rend hommage à la culture de ce peuple et donne au texte une sonorité ardente et énergique.

Lecture attachante proposée par NastasiaB que je remercie vivement.
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Les peuples d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique qui ont eu la primeur, et l'immense et infini bonheur de voir de leurs propres yeux l'arrivée des Européens, ont eu le privilège, en même temps, d'assister à la fin d'un monde – celui qui rythmait leurs vies. En Indonésie, sur l'île de Bali, ils appelèrent cet épisode tragique du nom exotique de « Poupoutan » : la fin. (que Vicki Baum décrit dans son très beau roman « Sang et volupté à Bali », que je ne saurais trop conseiller, même si l'auteur, dans sa préface, considère la colonisation comme une oeuvre... « civilisatrice » !).
Le célèbre roman de Chinua Achebe décrit ici un épisode similaire de la colonisation, en pays Igbo, au Nigéria, et qu'il a choisi de nommer, sans exotisme cette fois, « Le monde s'effondre ».
Le monde qui s'effondre, la fin du monde, voilà la sempiternelle conclusion de la rencontre entre les si gentils missionnaires et soldats envoyés de l'Europe, et ces communautés villageoises de paysans et d'artisans disséminés alors sur la planète. Mais pour les colonisateurs, pour ces officiers qui deviendront généraux (aussi bien un monarchiste comme Lyautey qu'un républicain comme Gallieni, décrivirent de ce point de vue la colonisation, dans de nombreux rapports et mémoires), on parle plutôt de « pacification des tribus primitives » !
Alors, certes, la vie de ces communautés villageoises n'était pas rose, vivant selon des coutumes tribales parfois violentes et injustes, rythmées par des croyances magiques sinon religieuses, en tous cas irrationnelles, ce qui n'est pas toujours idéal pour les hommes, et encore moins pour les femmes. Ces sociétés étaient rarement « pacifiques », certes, mais cela donne-t-il le droit à une société technologiquement plus avancée et politiquement plus structurée, d'imposer sa religion toute aussi intolérante, sa civilisation toute aussi violente, et son économie, beaucoup plus spoliatrice et exploiteuse ?
Chinua Achebe montre un peu tout cela, en filigrane. L'essentiel du roman est la description de la vie au village d'Umuofia, les histoires qu'on se raconte, les relations entre les villages, jusqu'à l'arrivée de ces européens. Ces européens qui ne font pas partie de la fraternité humaine, non, car ils sont manipulateurs, dominateurs, deviennent vite des ennemis, mais un ennemi si puissant qu'on ne peut rien contre lui, ni le raisonner, ni le chasser.
[C'est précisément le cauchemar décrit par tant d'auteurs de science-fiction : la rencontre avec une civilisation venue d'ailleurs, technologiquement surpuissante, mais qui ne vient pas pour être amis, non, ils ne sont pas là pour boire un coup et manger quelques amuse-gueules, pour causer, jouer ou écouter de la musique, chanter et rire, non pas du tout.]
Ceux qui viendront auront de plus en plus des rêves de fortune (même si certains des premiers arrivant « blancs » étaient parfois de gentils explorateurs inoffensifs, hommes de science ou curés bienveillants), et ils viendront pour dominer, asservir, piller, et tuer ceux qui résistent.
Le cauchemar des romans et des films d'anticipation n'a pas été une fiction pour des millions d'êtres humains, ce fut le quotidien de la colonisation, et c'est peut-être la raison du succès mondial de ce roman d'Achebe.
Cependant, à mon avis, ce n'est pas le meilleur que j'ai lu sur ce thème, et j'ai trouvé quelques défauts au roman. Par exemple, à partir de l'arrivée des européens, Achebe dit des choses, là où je préférerais qu'il les montre. (Par exemple, il dit que les blancs ont amené avec eux un gouvernement, mais cela reste abstrait, il ne montre pas concrètement ce qu'est ce gouvernement). Alors que la vie des africains était montrée de manière très concrète dans la première partie, soudain tout cela devient très vague à partir du moment où les européens sont là. Et les considérations sur ces colons sont vagues, générales, il n'y a rien de concret, ou si peu. Ce livre est présenté comme un chef-d'oeuvre, d'où peut-être ma légère déception sur la fin.
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critiques presse (2)
LeMonde
05 août 2021
Eclipsant tous les autres, Tout s’effondre demeure son roman culte, celui qui touche le plus large public.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Liberation
03 décembre 2013
Il y a dans ce recueil suffisamment de références pour clore le bec à tous les sinistres amateurs de singes et de bananes. Mais le meilleur est pour la fin : dans un dernier essai, l’auteur raconte son exaspération, alors qu’invité à une conférence vantant les mérites des politiques d’austérité imposées en Afrique par le Fonds monétaire international il prend la parole, et improvise un discours.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (114) Voir plus Ajouter une citation
Il était une fois […] un grand festin au ciel et tous les oiseaux étaient invités. Ils étaient très contents et beaucoup commencèrent à se préparer pour ce grand jour. Ils se peignirent le corps avec du bois de cam rouge et le décorèrent de magnifiques dessins avec l'uli.
Monsieur Tortue assista à ces préparatifs et ne tarda pas à comprendre ce qu'ils signifiaient. Rien de ce qui se passait dans le monde des oiseaux ne lui échappait : il était plein de ruse. Et dès qu'il entendit parler du grand festin au ciel, sa gorge se mit à le démanger rien que d'y penser. La famine sévissait à cette époque et Tortue n'avait pas mangé depuis deux lunes un repas digne de ce nom. Son corps faisait un bruit de bois sec dans sa coquille vide. Alors il se mit à réfléchir à un moyen d'aller au ciel.
[…]
Tortue n'avait pas d'ailes, mais il alla trouver les oiseaux pour leur demander la permission de les accompagner. « On te connaît trop bien, répondirent-ils après l'avoir écouté. Tu es plein de ruse et tu es ingrat. Si nous te laissons venir avec nous, tu ne tarderas pas à faire des histoires. — Vous me connaissez mal, dit Tortue. J'ai changé et je ne suis plus le même. J'ai compris que celui qui embêtait les autres s'embêtait lui-même. »
Tortue savait se faire tout sucre et tout miel. Les oiseaux furent convaincus en un rien de temps qu'il n'était plus le même et chacun lui donna une plume pour qu'il se fasse deux ailes.
Le grand jour étant enfin arrivé, Tortue fut le premier au lieu de rendez-vous fixé pour le départ. Quand les oiseaux furent au complet, ils s'envolèrent tous ensemble. Tortue était très content et bavardait à tort et à travers tout en volant parmi eux, et ils ne tardèrent pas à le choisir pour parler en leur nom car il avait un grand talent d'orateur.
« Il y a une chose importante que nous ne devons pas oublier, leur dit-il tout en battant des ailes. Quand on est invité à un grand festin comme celui-ci, on prend des noms pour l'occasion. Nos hôtes du ciel vont s'attendre à ce que nous fassions honneur à cette ancienne coutume. »
Aucun oiseau n'avait jamais entendu parler de la coutume en question, mais ils savaient que Tortue, malgré ses lacunes dans d'autres domaines, était quelqu'un qui avait beaucoup voyagé et qui connaissait les usages des différents peuples. Chacun prit donc un nouveau nom. Et Tortue fit de même. Il s'appellerait " Vous-Tous ".
Ils arrivèrent enfin au ciel et leurs hôtes les accueillirent avec joie. Tortue se présenta dans son plumage multicolore et les remercia pour leur invitation. Son discours était si éloquent que tous les oiseaux se félicitaient de l'avoir amené avec eux et hochaient la tête en l'écoutant. Leurs hôtes le prirent pour le roi des oiseaux, en particulier parce qu'il était si différent des autres.
Après qu'on eut offert et dégusté des noix de cola, les gens du ciel posèrent devant leurs invités les mets les plus fins et les plus délicieux dont Tortue ait jamais rêvé. La soupe était servie fumante et dans la marmite où elle avait cuit. Elle était pleine de viande et de poisson. Tortue se mit à la humer à grand bruit. Il y avait de l'igname pilée et aussi du potage d'igname cuit avec de l'huile de palme et du poisson frais. Et des pots de vin de palme. Quand tout fut disposé devant les invités, l'un de leurs hôtes du ciel s'avança pour goûter un peu de chaque mets. Puis il invita les oiseaux à manger. Mais Tortue bondit sur ses pattes et demanda :
« Pour qui avez-vous préparé ce festin ? — Pour vous tous », répondit l'hôte.
Se tournant vers les oiseaux, Tortue dit : « Vous vous souvenez, n'est-ce pas, que mon nom est Vous-Tous. La coutume ici veut qu'on serve d'abord le porte-parole et les autres après. On vous servira quand j'aurai mangé. »
Et Tortue de se mettre à manger et les oiseaux à grommeler. Les gens du ciel se disaient que c'était certainement la coutume, chez le peuple des oiseaux, de laisser toute la nourriture à son roi. Et Tortue mangea ainsi la meilleure part de chaque chose puis but deux pots de vin de palme, si bien qu'à la fin il était bourré de nourriture et de boisson et sa carapace pleine à craquer.
Les oiseaux firent cercle pour manger ce qui restait et picorer les os qu'il avait jetés par terre autour de lui. Certains étaient trop furieux pour manger. Ils choisirent de rentrer chez eux le ventre vide. Mais avant de se séparer, chacun reprit à Tortue la plume qu'il lui avait prêtée. C'est ainsi qu'il se retrouva dans sa carapace bourrée de nourriture et de vin, sans ailes pour redescendre chez lui. Il demanda alors aux oiseaux de porter un message à son épouse, mais tous refusèrent. Jusqu'à ce que Perroquet, qui s'était montré le plus furieux contre lui, change soudain d'avis et accepte de lui rendre ce service.
« Dis à ma femme, lui demanda Tortue, de sortir de la maison tout ce qu'il y a de mou et d'en couvrir la cour, afin que je puisse sauter du haut du ciel sans trop de risques. »
Perroquet promit de transmettre le message et partit à tire d'ailes. Mais une fois chez Tortue, il dit à sa femme de sortir tout ce qu'il y avait de dur dans la maison. Elle sortit donc les pioches de son mari, ses machettes, ses lances, ses fusils et même son canon. En regardant du haut du ciel, Tortue aperçut sa femme qui sortait un tas de choses de leur maison, mais de si loin il ne distingua pas lesquelles. Quand tout lui parut prêt, il s'élança. Il tomba et tomba et tomba, au point de se demander si ça n'allait pas durer toujours. Puis il s'écrasa au sol et son canon n'aurait pas tonné plus fort que le bruit de sa chute.
[…]
Sa carapace s'est cassée en mille morceaux. Mais il y avait un homme-médecine dans le voisinage. La femme de Tortue l'a fait venir, il a ramassé tous les morceaux de carapace et il les a recollés. C'est pour cette raison que la carapace de Tortue n'est pas lisse.

Première partie, Chapitre XI.
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— Ça va ? demanda Okonkwo.
— Oui, répondit Obierika. Le prétendant de ma fille doit venir aujourd'hui et je pense que nous allons nous mettre d'accord sur le montant de la dot. Je veux que tu sois là.
[…]
Le prétendant était un garçon d'environ vingt-cinq ans, accompagné de son père et de son oncle. Obierika avait à son côté ses deux frères aînés et Maduka, son fils âgé de seize ans.
— Demande à la mère d'Akueke de nous envoyer quelques noix de cola, dit Obierika à son fils.
[…]
Pendant qu'il parlait le garçon revint, accompagné d'Akueke, sa demi-sœur, qui apportait sur un plateau en bois trois noix de cola et du piment crocodile. Elle donna le plateau au frère aîné de son père avant de serrer, très timidement, la main de son prétendant et celle des parents de celui-ci. Elle avait environ seize ans et était belle et mûre à point pour le mariage. Son prétendant et ses parents examinèrent son jeune corps d'œil expert comme pour s'en assurer.
Sa coiffure formait une crête bien centrée sur son crâne. Elle avait la peau légèrement frottée au bois de cam et tout son corps s'ornait de motifs dessinés à l'uli. Un collier noir à trois rangs tombait juste au-dessus de ses seins à la rondeur appétissante. Elle portait aux bras des bracelets rouges et jaunes, et autour de la taille quatre ou cinq rangs de jigida, les ceintures de perles.
Après avoir serré les mains, ou plutôt tendu la sienne à serrer, elle repartit dans la case de sa mère pour l'aider à faire la cuisine.
[…]
Les hommes, dans l'obi, avaient commencé à boire le vin de palme apporté par le prétendant d'Akueke. C'était un vin excellent, et fort, car malgré le fruit du palmier fixé à l'embouchure du pot contenant la liqueur, une mousse blanche débordait et se répandait tout autour de l'embouchure.
[…]
Tout en buvant, les hommes se mirent à parler de tout sauf de ce qui les rassemblait. C'est seulement quand ils eurent vidé le pot que le père du prétendant s'éclaircit la voix et annonça le motif de leur visite.
Obierika lui tendit un petit fagot de courtes baguettes. Ukegbu les compta.
— Il y a en a bien trente ? demanda-t-il.
Obierika acquiesça d'un hochement de tête.
— Enfin les choses se précisent, dit Ukegbu.
Puis, se tournant vers son frère et son fils, il ajouta :
— Sortons pour en discuter entre nous.
Tous trois se levèrent et sortirent. Quand ils revinrent, Ukegbu tendit le fagot de baguettes à Obierika. Celui-ci compta. Il n'y en avait plus trente, mais quinze. Il passa le fagot à Machi, son frère aîné, qui compta à son tour et dit :
— Nous ne pensions pas descendre au-dessous de trente. Mais comme disait le chien : « Si je descends pour toi et que tu descends pour moi, c'est le jeu. » Le mariage doit être un jeu, pas un combat. Donc, nous descendons.
Ajoutant dix baguettes aux quinze restantes, il rendit le tout à Ukegbu.
C'est ainsi que la dot d'Akueke fut finalement fixée à vingt sacs de cauris. Le jour tombait quand les deux parties parvinrent à cet accord.

Première partie, Chapitre VIII.
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-Crois-tu couper des ignames pour les cuire? demandait-il à Nwoye. Si tu partages une autre igname de cette taille, je te briserai la mâchoire. Tu imagines que tu es encore un enfant. J'avais ton âge quand j'ai possédé ma première ferme. Et toi, disait-il à Ikemefuna, ne cultivez-vous pas d'ignames là d'où tu viens?
Au fond de lui-même, Okonwko savait que les garçons étaient encore trop jeunes pour comprendre pleinement l'art difficile de préparer des plants d'ignames. Mais il pensait qu'on ne peut jamais commencer trop tôt. Les ignames étaient le signe de la virilité, et celui qui pouvait faire vivre sa famille sur des ignames d'une récolte à une autre était un très grand homme de vérité. Okonkwo désirait que son fils soit un grand fermier et un grand homme. Il étoufferait les signes inquiétants de paresse qu'il pensait déjà décelé en lui.
- Je ne veux de fils qui ne puisse assister la tête haute au rassemblement du clan. Je préférerais l'étrangler de mes propres mains. Et si tu restes à me regarder fixement comme cela, jura-t-il, Amadiora te brisera la tête pour ta peine!
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Ezeudu était l'homme le plus âgé de ce quartier d'Umuofia. Il avait été un remarquable et courageux guerrier en son temps et jouissait d'un grand respect de la part du clan tout entier. Déclinant l'invitation d'Okonkwo à partager leur repas, il demanda à celui-ci de sortir avec lui pour parler un peu. Ils firent quelques pas ensemble, le vieux appuyé sur son bâton. Quand ils furent hors de portée de voix, il dit à Okonkwo :
— Ce garçon t'appelle " père ". Ne prête pas la main à sa mort.
Okonkwo, surpris, voulut dire quelque chose mais le vieux ne lui en laissa pas le temps.
— Oui, Umuofia a décidé de le tuer. L'oracle des Collines et des Grottes en a décidé ainsi. On l'emmènera hors du village comme c'est la coutume, et on le tuera. Mais je ne veux pas que tu y sois pour quoi que ce soit. Il te considère comme son père.
Le lendemain, un groupe d'anciens des neufs villages d'Umuofia vint de bonne heure à la maison d'Okonkwo et avant qu'ils se mettent à discuter à voix basse on fit sortir Nwoye et Ikemefuna. Ils ne s'attardèrent pas, mais après leur départ Okonkwo resta très longtemps immobile, le menton appuyé sur ses mains. Plus tard dans la journée, il appela Ikemefuna et lui dit qu'on allait le ramener chez lui le lendemain. Nwoye l'entendit et éclata en pleurs, et son père le battit durement. Quant à Ikemefuna, il était complètement perdu. Le souvenir de son propre foyer était désormais vague et lointain. Sa mère lui manquait, sa sœur aussi, et il aurait été très content de les revoir. Il se souvenait du jour où des inconnus étaient venus chez lui pour discuter à voix basse avec son père, et il lui semblait que tout recommençait.
Un peu plus tard, Nwoye alla trouver sa mère dans sa case et lui dit qu'Ikemefuna retournait chez lui. Celle-ci laissa tomber le pilon avec lequel elle broyait du piment, croisa les bras sur sa poitrine et soupira : « Pauvre enfant ».
Le lendemain, les hommes revinrent avec un pot de vin de palme. Ils étaient tous vêtu comme pour se rendre à une grande réunion de clan ou pour une visite à un village voisin. Ils firent passer leurs vêtements sous leur aisselle droite et jetèrent leur sac en peau de chèvre et leur machette dans son étui par-dessus leur épaule gauche. Okonkwo fut rapidement prêt et le groupe se mit en route avec Ikemefuna, qui portait le pot de vin de palme. Un silence de mort s'abattit sur le domaine d'Okonkwo. Les petits enfants eux-mêmes avaient l'air au courant. Nwoye resta toute la journée dans la case de sa mère, les yeux pleins de larmes.

Première partie, Chapitre VII.
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Soudain, une ombre s'abattit sur le monde et le soleil parut disparaître derrière un épais nuage. Okonkwo leva les yeux, surpris : de la pluie à cette époque de l'année ? Mais partout, déjà, éclataient des cris de joie. Umuofia, sortant de son assoupissement de milieu de journée, reprenait soudain vie et activité.
« Les sauterelles arrivent ! » répétait-on joyeusement de tous côtés, et les hommes, les femmes, les enfants abandonnaient leurs travaux ou leurs jeux pour courir vers les champs et profiter de ce spectacle exceptionnel. Les sauterelles ne s'étaient pas montrées depuis de nombreuses années, et seuls les vieux les avaient déjà vues.
On vit d'abord arriver un essaim plutôt modeste : l'avant-garde chargée de reconnaître les lieux. Puis apparut à l'horizon une masse sombre et lente comme un rideau de nuages noirs dont on n'apercevait pas les contours et qui avançait vers Umuofia. La moitié du ciel fut bientôt recouverte et la masse solide fut transpercée de minuscules yeux de lumière, comme une poussière d'étoiles. C'était un spectacle extraordinaire de puissance et de beauté.
Tout le monde était là, parlant avec excitation et priant pour que les sauterelles campent à Umuofia pour la nuit. Car même si les sauterelles n'étaient pas venues depuis bien des années, tous savaient d'instinct qu'elles étaient bonnes à manger. Et elles se posèrent enfin. Elles se posèrent sur chaque arbre et sur chaque pousse d'herbe ; elles se posèrent sur les toits et sur la terre nue qu'elles recouvrirent. D'énormes branches se brisèrent sous leur poids et le paysage prit la couleur brune de leur immense essaim affamé.
Beaucoup de gens sortaient avec des paniers et tentaient de les attraper, mais les anciens leurs conseillèrent de prendre patience jusqu'à la tombée du jour. Ils avaient raison. Les sauterelles s'installèrent dans les buissons pour la nuit et leurs ailes furent bientôt humides de rosée. Tout Umuofia sortit malgré le froid de l'Harmattan et chacun emplit ses sacs et ses pots de sauterelles. Au matin, on les fit griller dans des pots d'argile avant de les étaler au soleil pour qu'elles deviennent sèches et croustillantes. Et on se régala pendant des jours et des jours de ce mets rare qu'on accommodait avec de l'huile de palme solidifiée.

Première partie, Chapitre VII.
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Vidéo de Chinua Achebe
"Things Fall Apart" by Chinua Achebe, Part 2: Crash Course Literature 209.
In which John Green concludes teaching you about Chinua Achebe's Things Fall Apart. You'll learn about the historical contexts of Things Fall Apart, including 19th century colonization and 20th century decolonization. We're going to learn a little bit about Achebe's childhood between two cultures, cover Okonkwo's sad, sad end, and even learn a little about The Babysitters Club.
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Le monde s'effondre

Lequel de ces noms ne désignent pas un personnage du livre?

Okonkwo
Unoka
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