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EAN : 9781141615674
234 pages
Nabu Press (10/01/2010)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
09 - La Nature à l’Homme.

Dans tout l’enivrement d’un orgueil sans mesure,
Ébloui des lueurs de ton esprit borné,
Homme, tu m’as crié : « Repose-toi, Nature !
Ton oeuvre est close : je suis né ! »

Quoi ! lorsqu’elle a l’espace et le temps devant elle,
Quand la matière est là sous son doigt créateur,
Elle s’arrêterait, l’ouvrière immortelle,
Dans l’ivresse de son labeur?

Et c’est toi qui serais mes limites dernières ?
L’atome humain pourrait entraver mon essor ?
C’est à cet abrégé de toutes les misères
Qu’aurait tendu mon long effort ?

Non, tu n’es pas mon but, non, tu n’es pas ma borne
A te franchir déjà je songe en te créant ;
Je ne viens pas du fond de l’éternité morne.
Pour n’aboutir qu’à ton néant.

Ne me vois-tu donc pas, sans fatigue et sans trêve,
Remplir l’immensité des oeuvres de mes mains ?
Vers un terme inconnu, mon espoir et mon rêve,
M’élancer par mille chemins,

Appelant, tour à tour patiente ou pressée,
Et jusqu’en mes écarts poursuivant mon dessein,
A la forme, à la vie et même à la pensée
La matière éparse en mon sein ?

J’aspire ! C’est mon cri, fatal, irrésistible.
Pour créer l’univers je n’eus qu’à le jeter ;
L’atome s’en émut dans sa sphère invisible,
L’astre se mit à graviter.

L’éternel mouvement n’est que l’élan des choses
Vers l’idéal sacré qu’entrevoit mon désir ;
Dans le cours ascendant de mes métamorphoses
Je le poursuis sans le saisir ;

Je le demande aux cieux, à l’onde, à l’air fluide,
Aux éléments confus, aux soleils éclatants ;
S’il m’échappe ou résiste à mon étreinte avide,
Je le prendrai des mains du Temps.

Quand j’entasse à la fois naissances, funérailles,
Quand je crée ou détruis avec acharnement,
Que fais-je donc, sinon préparer mes entrailles
Pour ce suprême enfantement ?

Point d’arrêt à mes pas, point de trêve à ma tâche !
Toujours recommencer et toujours repartir.
Mais je n’engendre pas sans fin et sans relâche
Pour le plaisir d’anéantir.

J’ai déjà trop longtemps fait oeuvre de marâtre,
J’ai trop enseveli, j’ai trop exterminé,
Moi qui ne suis au fond que la mère idolâtre
D’un seul enfant qui n’est pas né.

Quand donc pourrai-je enfin, émue et palpitante,
Après tant de travaux et tant d’essais ingrats,
A ce fils de mes voeux et de ma longue attente
Ouvrir éperdument les bras ?

De toute éternité, certitude sublime !
Il est conçu ; mes flancs l’ont senti s’agiter.
L’amour qui couve en moi, l’amour que je comprime
N’attend que Lui pour éclater.

Qu’il apparaisse au jour, et, nourrice en délire,
Je laisse dans mon sein ses regards pénétrer.
- Mais un voile te cache. – Eh bien ! je le déchire :
Me découvrir c’est me livrer.

Surprise dans ses jeux, la Force est asservie.
Il met les Lois au joug. A sa voix, à son gré,
Découvertes enfin, les sources de la Vie
Vont épancher leur flot sacré.

Dans son élan superbe Il t’échappe, ô Matière !
Fatalité, sa main rompt tes anneaux d’airain !
Et je verrai planer dans sa propre lumière
Un être libre et souverain.

Où serez-vous alors, vous qui venez de naître,
Ou qui naîtrez encore, ô multitude, essaim,
Qui, saisis tout à coup du vertige de l’être,
Sortiez en foule de mon sein ?

Dans la mort, dans l’oubli. Sous leurs vagues obscures
Les âges vous auront confondus et roulés,
Ayant fait un berceau pour les races futures
De vos limons accumulés.

Toi-même qui te crois la couronne et le faîte
Du monument divin qui n’est point achevé,
Homme, qui n’es au fond que l’ébauche imparfaite
Du chef-d’oeuvre que j’ai rêvé,

A ton tour, à ton heure, if faut que tu périsses.
Ah ! ton orgueil a beau s’indigner et souffrir,
Tu ne seras jamais dans mes mains créatrices
Que de l’argile à repétrir.
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19 - Le déluge.

Tu l’as dit : C’en est fait ; ni fuite ni refuge
Devant l’assaut prochain et furibond des flots.
Ils avancent toujours. C’est sur ce mot, Déluge,
Poète de malheur, que ton livre s’est clos.
Mais comment osa-t-il échapper à ta bouche ?
Ah ! pour le prononcer, même au dernier moment,
Il fallait ton audace et ton ardeur farouche,
Tant il est plein d’horreur et d’épouvantement.
Vous êtes avertis : c’est une fin de monde
Que ces flux, ces rumeurs, ces agitations.
Nous n’en sommes encor qu’aux menaces de l’onde,
A demain les fureurs et les destructions.

Déjà depuis longtemps, saisis de terreurs vagues,
Nous regardions la mer qui soulevait son sein,
Et nous nous demandions : « Que veulent donc ces vagues ?
On dirait qu’elles ont quelque horrible dessein. »
Tu viens de le trahir ce secret lamentable ;
Grâce à toi, nous savons à quoi nous en tenir.
Oui, le Déluge est là, terrible, inévitable ;
Ce n’est pas l’appeler que de le voir venir.

Pourtant, nous l’avouerons, si toutes les colères
De ce vaste océan qui s’agite et qui bout,
N’allaient qu’à renverser quelques tours séculaires
Que nous nous étonnions de voir encor debout,
Monuments que le temps désagrège ou corrode,
Et qui nous inspiraient une secrète horreur :
Obstacles au progrès, missel usé, vieux code,
Où se réfugiaient l’injustice et l’erreur,
Des autels délabrés, des trônes en décembre
Qui nous rétrécissaient à dessein l’horizon,
Et dont les débris seuls projetaient assez d’ombre
Pour retarder longtemps l’humaine floraison,
Nous aurions à la mer déjà crié : « Courage !
Courage ! L’œuvre est bon que ton onde accomplit. »
Mais quoi ! ne renverser qu’un môle ou qu’un barrage ?
Ce n’est pas pour si peu qu’elle sort de son lit.
Ses flots, en s’élançant par-dessus toute cime,
N’obéissent, hélas ! qu’à d’aveugles instincts.
D’ailleurs, sachez-le bien, ces enfants de l’abîme,
Pour venir de plus bas, n’en sont que plus hautains.
Rien ne satisfera leur convoitise immense.
Dire : « Abattez ceci, mais respectez cela, »
N’amènerait en eux qu’un surcroît de démence ;
On ne fait point sa part à cet Océan-là.
Ce qu’il lui faut, c’est tout. Le même coup de houle
Balaiera sous les yeux de l’homme épouvanté
Le phare qui s’élève et le temple qui croule,
Ce qui voilait le jour ou donnait la clarté,
L’obscure sacristie et le laboratoire,
Le droit nouveau, le droit divin et ses décrets,
Le souterrain profond et le haut promontoire
D’où nous avions déjà salué le Progrès.
Tout cela ne fera qu’une ruine unique.
Avenir et passé s’y vont amonceler.
Oui, nous le proclamons, ton Déluge est inique :
Il ne renversera qu’afin de niveler.
Si nous devons bientôt, des bas-fonds en délire,
Le voir s’avancer, fier de tant d’écroulements,
Du moins nous n’aurons pas applaudi de la lyre
Au triomphe futur d’ignobles éléments.
Nous ne trouvons en nous que des accents funèbres,
Depuis que nous savons l’affreux secret des flots.
Nous voulions la lumière, ils feront les ténèbres ;
Nous rêvions l’harmonie, et voici le chaos.

Vieux monde, abîme-toi, disparais, noble arène
Où jusqu’au bout l’Idée envoya ses lutteurs,
Où le penseur lui-même, à sa voix souveraine,
Pour combattre au besoin, descendait des hauteurs.
Tu ne méritais pas, certe, un tel cataclysme,
Toi si fertile encore, ô vieux sol enchanté !
D’où pour faire jaillir des sources d’héroïsme,
Il suffisait d’un mot, Patrie ou Liberté !
Un océan fangeux va couvrir de ses lames
Tes sillons où germaient de sublimes amours,
Terrain cher et sacré, fait d’alluvions d’âmes,
Et qui ne demandais qu’a t’exhausser toujours.
Que penseront les cieux et que diront les astres,
Quand leurs rayons en vain chercheront tes sommets,
Et qu’ils assisteront d’en haut à tes désastres,
Eux qui croyaient pouvoir te sourire à jamais ?
De quel œil verront-ils, du fond des mers sans borne,
A la place où jadis s’étalaient tes splendeurs,
Émerger brusquement dans leur nudité morne,
Des continents nouveaux sans verdure et sans fleurs ?
Ah ! si l’attraction à la céleste voûte
Par de fermes liens ne las attachait pas,
Ils tomberaient du ciel ou changeraient de route,
Plutôt que d’éclairer un pareil ici-bas.
Nous que rien ne retient, nous, artistes qu’enivre
L’Idéal qu’ardemment poursuit notre désir,
Du moins nous n’aurons point la douleur de survivre
Au monde où nous avions espéré le saisir.
Nous serons les premiers que les vents et que l’onde
Emporteront brisés en balayant nos bords.
Dans les gouffres ouverts d’une mer furibonde,
N’ayant pu les sauver, nous suivrons nos trésors.
Après tout, quand viendra l’heure horrible et fatale.
En plein déchaînement d’aveugles appétits,
Sous ces flots gros de haine et de rage brutale,
Les moins à plaindre encor seront les engloutis.
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16 - L'idéal.

I

Idéal ! Idéal ! sur tes traces divines,
Combien déjà se sont égarés et perdus !
Les meilleurs d’entre nous sont ceux que tu fascines ;
Ils se rendent à toi sans s’être défendus.
Ce n’est point lâcheté, mais fougue involontaire,
Besoin d’essor, dégoût de tout ce qui périt,
Pur désir d’échapper à l’affreux terre-à-terre,
A ce joug du réel qui courbe et qui meurtrit.
Séducteur souverain, c’est ta main qui les aide
A secouer leur chaîne, à jeter leur fardeau,
Et quand la Vérité les trouble et les obsède,
Tu mets devant leurs yeux ton prisme ou ton bandeau.
Afin de mieux tromper leur âme inassouvie,
Tu prends le nom d’amour en traversant leur vie.
A ta voix ils feront, passagers ici-bas,
Du désir affolé leur boussole suprême.
Dans l’incommensurable ils ouvrent leur compas ;
L’objet de leur poursuite est l’impossible même ;
II leur faut avant tout ce qui n’existe pas.
Par un courant fatal poussés vers le mirage,
Ayant perdu leur lest, jeté leurs avirons,
D’avance ils sont, hélas ! dévolus au naufrage.
Si la réalité seule est le vrai rivage,
Plutôt que d’aborder, ils s’écrieraient : « Sombrons ! »
Sombrez donc, sombrez tous, les uns après les autres,
Toi qui ne tends qu’au ciel comme toi qui te vautres.
A tous deux l’Idéal ouvre un gouffre enchanté,
Qu’il soit l’amour divin ou bien la volupté.
Mais avant de partir, chacun pour son abîme,
Sous un commun éclair, ne fût-ce qu’un moment,
Le débauché splendide et l’ascète sublime
Se seront rencontrés dans le même tourment.


II

Les voilà déjà loin, suivant leur destinée.
Au frêle amour humain arrachant son flambeau,
Tu tombas tout à coup dans ta course effrénée,
Toi qu’on nous peint d’abord si candide et si beau.
Victime du désir, plein d’une ardeur étrange,
Tu t’acharnais en vain à fouiller dans la fange.
Et descendais toujours sans cesser d’aspirer.
Oui, jusqu’au bout tu crus, sous ta lèvre pâlie.
Obtenir de l’ivresse en t’abreuvant de lie ;
Tu ne parvins pas même à te désaltérer.
Chaque jour plus ardent, vers de nouvelles ondes
Nous te voyons, don Juan, haleter et courir,
Criant toujours : « J’ai soif ! » à ces sources profondes
Que d’une haleine en feu tu venais de tarir.
Enfin, l’enfer s’ouvrit. Dans ce gouffre des âmes
Tu t’es précipité, plongeur passionné ;
Et qu’as-tu découvert ? — Des démons et des flammes.
— Mais tu les connaissais avant d’être damné !


III

Ah ! qui nous donnera, sur l’autre route ouverte.
Le courage de suivre un plus noble égaré ?
Il n’en périt pas moins ; le divin fut sa perte :
C’est vers en haut qu’il prit son vol désespéré.
A l’ardeur de ses voeux que ce monde eût déçue,
Et quand les passions tentaient de l’agiter,
C’est du côté du ciel qu’il cherchait une issue,
Sachant que toute flamme est faite pour monter.
Non, malgré la jeunesse, et sa fougue et ses fièvres,
II ne vous connut point, transports avilissants,
Et le jeune homme ardent n’a pas sali ses lèvres,
Tout altéré qu’il fût, au vase impur des sens.
Qu’à de commun son âme avec la chair fragile ?
Dût sa force se perdre en des élans ingrats,
Plutôt que d’embrasser une idole d’argile,
Au fantôme divin il a tendu les bras.
S’il crut parfois sentir, le grand visionnaire,
Battre le coeur d’un Dieu sur son coeur de chrétien,
C’est que pour l’animer, ce coeur imaginaire,
Il lui prêtait l’amour qui débordait du sien.
Toi, son premier flambeau, Science, il te renie ;
Le miracle est sa loi. Vers un monde inconnu
Des ailes le portaient, d’envergure infinie ;
Dans l’illusion pure elles l’ont soutenu.
Des mains de l’Idéal, et préparé pour elle,
Cette dominatrice absolue et cruelle,
La Foi t’a pris, Pascal, et ne t’a plus rendu.
Que ta raison résiste, aussitôt tu l’accables.
En un jour solennel coupant ses derniers câbles,
Tu lanças vers le ciel ton esquif éperdu.
Seul but de ton essor, vertigineux, rapide,
L’abîme était en haut, mais profond, mais perfide,
Qui t’attirait à lui comme un divin aimant.
Aussi, sans l’arrêter tu montais en plein vide ;
Pour ton âme emportée et toujours plus avide
L’ascension s’achève en engloutissement.


IV

Implacable Idéal ! enfin, ton oeuvre est faite.
Au gré de tes désirs, sous ton souffle enivrant,
Le supplice fut double et double la défaite.
Tu peux t’enorgueillir, ton triomphe est navrant.
On te donne deux coeurs, deux grands coeurs que la vie
A ses combats ainsi qu’à ses fêtes convie,
Qu’elle allait couronner en vrais triomphateurs,
Oui, deux êtres, la fleur de l’humaine nature.
Qu’en fais-tu ? Des martyrs, des fous, des déserteurs.
Leur aspiration ne fut qu’une torture ;
Car tu ne repais point ; tu ne veux que leurrer.
Toi qui les affamais, tu leur devais pâture,
Et tu ne leur donnas qu’une ombre à dévorer !
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03 - Les malheureux.

La trompette a sonné. Des tombes entr’ouvertes
Les pâles habitants ont tout à coup frémi.
Ils se lèvent, laissant ces demeures désertes
Où dans l’ombre et la paix leur poussière a dormi.
Quelgues morts cependant sont restés immobiles ;
Ils ont tout entendu, mais le divin clairon
Ni l’ange qui les presse à ces derniers asiles
Ne les arracheront.

« Quoi ! renaître ! revoir le ciel et la lumière,
Ces témoins d’un malheur qui n’est point oublié,
Eux qui sur nos douleurs et sur notre misère
Ont souri sans pitié !

Non, non ! Plutôt la Nuit, la Nuit sombre, éternelle !
Fille du vieux Chaos, garde-nous sous ton aile.
Et toi, soeur du Sommeil, toi qui nous as bercés,
Mort, ne nous livre pas ; contre ton sein fidèle
Tiens-nous bien embrassés.

Ah! l’heure où tu parus est à jamais bénie ;
Sur notre front meurtri que ton baiser fut doux !
Quand tout nous rejetait, le néant et la vie,
Tes bras compatissants, ô notre unique amie !
Se sont ouverts pour nous.

Nous arrivions à toi, venant d’un long voyage,
Battus par tous les vents, haletants, harassés.
L’Espérance elle-même, au plus fort de l’orage,
Nous avait délaissés.

Nous n’avions rencontré que désespoir et doute,
Perdus parmi les flots d’un monde indifférent ;
Où d’autres s’arrêtaient enchantés sur la route,
Nous errions en pleurant.

Près de nous la Jeunesse a passé, les mains vides,
Sans nous avoir fêtés, sans nous avoir souri.
Les sources de l’amour sous nos lèvres avides,
Comme une eau fugitive, au printemps ont tari.
Dans nos sentiers brûlés pas une fleur ouverte.
Si, pour aider nos pas, quelque soutien chéri
Parfois s’offrait à nous sur la route déserte,
Lorsque nous les touchions, nos appuis se brisaient :
Tout devenait roseau quand nos coeurs s’y posaient.
Au gouffre que pour nous creusait la Destinée
Une invisible main nous poussait acharnée.
Comme un bourreau, craignant de nous voir échapper,
A nos côtés marchait le Malheur inflexible.
Nous portions une plaie à chaque endroit sensible,
Et l’aveugle Hasard savait où nous frapper.

Peut-être aurions-nous droit aux celestes délices ;
Non ! ce n’est point à nous de redouter l’enfer,
Car nos fautes n’ont pas mérité de supplices :
Si nous avons failli, nous avons tant souffert !
Eh bien, nous renonçons même à cette espérance
D’entrer dans ton royaume et de voir tes splendeurs,
Seigneur ! nous refusons jusqu’à ta récompense,
Et nous ne voulons pas du prix de nos douleurs.

Nous le savons, tu peux donner encor des ailes
Aux âmes qui ployaient sous un fardeau trop lourd ;
Tu peux, lorsqu’il te plaît, loin des sphères mortelles,
Les élever à toi dans la grâce et l’amour ;
Tu peux, parmi les choeurs qui chantent tes louanges,
A tes pieds, sous tes yeux, nous mettre au premier rang,
Nous faire couronner par la main de tes anges,
Nous revêtir de gloire en nous transfigurant.
Tu peux nous pénétrer d’une vigueur nouvelle,
Nous rendre le désir que nous avions perdu
Oui, mais le Souvenir, cette ronce immortelle
Attachée à nos coeurs, l’en arracheras-tu ?

Quand de tes chérubins la phalange sacrée
Nous saluerait élus en ouvrant les saints lieux,
Nous leur crierions bientôt d’une voix éplorée :
« Nous élus ? nous heureux ? Mais regardez nos yeux !
Les pleurs y sont encor, pleurs amers, pleurs sans nombre.
Ah ! quoi que vous fassiez, ce voile épais et sombre
Nous obscurcit vos cieux. »

Contre leur gré pourqoui ranimer nos poussières ?
Que t’en reviendra-t-il ? et que t’ont-elles fait ?
Tes dons mêmes, après tant d’horribles misères,
Ne sont plus un bienfait.

Au ! tu frappas trop fort en ta fureur cruelle.
Tu l’entends, tu le vois ! la Souffrance a vaincu.
Dans un sommeil sans fin, ô puissance éternelle !
Laisse-nous oublier que nous avons vécu. »
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10 - L’Homme à la Nature.

Eh bien ! reprends-le donc ce peu de fange obscure
Qui pour quelques instants s’anima sous ta main ;
Dans ton dédain superbe, implacable Nature,
Brise à jamais le moule humain.

De ces tristes débris quand tu verrais, ravie,
D’autres créations éclore à grands essaims,
Ton Idée éclater en des formes de vie
Plus dociles à tes desseins,

Est-ce à dire que Lui, ton espoir, ta chimère,
Parce qu’il fut rêvé, puisse un jour exister ?
Tu crois avoir conçu, tu voudrais être mère ;
A l’oeuvre ! il s’agit d’enfanter.

Change en réalité ton attente sublime.
Mais quoi ! pour les franchir, malgré tous tes élans,
La distance est trop grande et trop profond l’abîme
Entre ta pensée et tes flancs.

La mort est le seul fruit qu’en tes crises futures
Il te sera donné d’atteindre et de cueillir ;
Toujours nouveaux débris, toujours des créatures
Que tu devras ensevelir.

Car sur ta route en vain l’âge à l’âge succède ;
Les tombes, les berceaux ont beau s’accumuler,
L’Idéal qui te fuit, l’Ideal qui t’obsède,
A l’infini pour reculer.

L’objet de ta poursuite éternelle et sans trêve
Demeure un but trompeur à ton vol impuissant
Et, sous le nimbe ardent du désir et du rêve,
N’est qu’un fantôme éblouissant.

Il resplendit de loin, mais reste inaccessible.
Prodigue de travaux, de luttes, de trépas,
Ta main me sacrifie à ce fils impossible ;
Je meurs, et Lui ne naîtra pas.

Pourtant je suis ton fils aussi ; réel, vivace,
Je sortis de tes bras des les siècles lointains ;
Je porte dans mon coeur, je porte sur ma face,
Le signe empreint des hauts destins.

Un avenir sans fin s’ouvrait ; dans la carrière
Le Progrès sur ses pas me pressait d’avancer ;
Tu n’aurais même encor qu’à lever la barrière :
Je suis là, prêt à m’élancer.

Je serais ton sillon ou ton foyer intense ;
Tu peux selon ton gré m’ouvrir ou m’allumer.
Une unique étincelle, ô mère ! une semence !
Tout s’enflamme ou tout va germer.

Ne suis-je point encor seul à te trouver belle ?
J’ai compté tes trésors, j’atteste ton pouvoir,
Et mon intelligence, ô Nature éternelle !
T’a tendu ton premier miroir.

En retour je n’obtiens que dédain et qu’offense.
Oui, toujours au péril et dans les vains combats !
Éperdu sur ton sein, sans recours ni défense,
Je m’exaspère et me débats.

Ah ! si du moins ma force eût égalé ma rage,
Je l’aurais déchiré ce sein dur et muet :
Se rendant aux assauts de mon ardeur sauvage,
Il m’aurait livré son secret.

C’en est fait, je succombe, et quand tu dis : « J’aspire ! »
Je te réponds : « Je souffre ! » infirme, ensanglanté ;
Et par tout ce qui naît , par tout ce qui respire,
Ce cri terrible est répété.

Oui, je souffre ! et c’est toi, mère, qui m’extermines,
Tantôt frappant mes flancs, tantôt blessant mon coeur ;
Mon être tout entier, par toutes ses racines,
Plonge sans fond dans la douleur.

J’offre sous le soleil un lugubre spectacle.
Ne naissant, ne vivant que pour agoniser.
L’abîme s’ouvre ici, là se dresse l’obstacle :
Ou m’engloutir, ou me briser !

Mais, jusque sous le coup du désastre suprême,
Moi, l’homme, je t’accuse à la face des cieux.
Créatrice, en plein front reçois donc l’anathème
De cet atome audacieux.

Sois maudite, ô marâtre ! en tes oeuvres immenses,
Oui, maudite à ta source et dans tes éléments,
Pour tous tes abandons, tes oublis, tes démences,
Aussi pour tes avortements !

Que la Force en ton sein s’épuise perte à perte !
Que la Matière, à bout de nerf et de ressort,
Reste sans mouvement, et se refuse, inerte,
A te suivre dans ton essor !

Qu’envahissant les cieux, I’Immobilité morne
Sous un voile funèbre éteigne tout flambeau,
Puisque d’un univers magnifique et sans borne
Tu n’as su faire qu’un tombeau !
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