Au Nord de Londres, dans le quartier alors populaire de Camden, après guerre,
trois frères se trouvent livrés à eux-mêmes après la disparition de leur mère, Sally. Leur père, Philip, occupé par son travail, n'a pas de temps à leur consacrer. Ils s'élèvent tout seuls. Sam, Daniel et Harry Hanway sont rapprochés en âge et chose étonnante, tous nés un 8 mai, mais très différents de caractère. Daniel, l'aîné, est plutôt intellectuel, Harry, sportif et extraverti et Sam, le plus jeune, est taciturne et rêveur.
Peter Ackroyd décrit un Camden qui n'a rien à voir avec le quartier bobo chic d'aujourd'hui, associé à la chanteuse Amy Winehouse, ni même celui des artistes du Camden Town Group du début du XXème, marqué par le poète
Dylan Thomas. Les trois garçons évoluent dans des rues plutôt sales où les logements délabrés abritent des familles pauvres et travailleuses.
Alors que ses deux frères suivent leur scolarité, Harry décide d'entrer très tôt dans le monde du travail. Son père n'exerce aucune pression sur lui. le garçon a du caractère et est attiré par la presse. Il frappe à la porte du Camden Bugle au bon moment et se fait embaucher illico comme garçon coursier. Intelligent, il évolue rapidement au sein du journal local et embrasse le métier de journaliste avec bonheur. Il poursuit sa carrière au Morning Chronicle et va s'installer avec sa compagne Hilda, un peu fantasque, à Notting Hill, quartier dégradé, dont la population se compose de hippies et d'indiens, en cette fin des 60's.
Daniel éprouve de grandes ambitions. Il est intelligent et aime étudier, déteste le sport et son quartier. Il est homosexuel. Il veut aller à Cambridge university et y parvient.
Sam ne partage pas le caractère ambitieux de ses deux frères. Il se retrouve très vite à la rue. Il est plein de compassion et se rapproche des plus modestes. Il a un côté mystique. C'est lui qui retrouve leur mère.
Le père, assez pathétique, fait des tentatives pour sonder ses fils, mais n'obtient que mépris en retour. On perçoit un certain désir de les voir accomplir les rêves qu'il n'a pu lui-même réaliser, comme écrire. La mère, elle, plutôt énigmatique, s'adonne, semble-t-il, au commerce sexuel.
Le roman de
Peter Ackroyd est pour le moins étrange. Il ne s'agit pas d'un polar. L'histoire de ces
trois frères n'est pas très réaliste et tend plutôt vers la fable, avec une morale finale. On peut supposer que l'auteur a pu projeter dans chacun de ses personnages un peu de lui-même. Les trajectoires des frères et des personnes qui les entourent se croisent. Un lien presque surnaturel semble les amener à se retrouver au-delà de toute volonté de leur part. C'est surtout une sorte de détachement froid qui caractérise leurs rapports on ne peut plus sporadiques.
Si le récit évolue lentement vers un drame, c'est plus Londres et les différents quartiers fréquentés par les frères qui est au coeur du roman. Mais le sujet central de Three brothers est l'ambition – ou le manque d'ambition quand il s'agit du père et de Sam – dans une société rongée par la corruption et où seul l'intérêt personnel compte.
L'écriture, assez factuelle, ne laisse que très peu de place à l'humour – si ce n'est au sarcasme - et au sentiment. Il en ressort une impression de tristesse et d'hostilité ambiante. C'est l'atmosphère d'une capitale grouillante, où l'individu doit se battre pour se faire une place, où tout est précaire, situation professionnelle comme relation personnelle. S'il fallait trouver une couleur qui définisse le roman de
Peter Ackroyd, ce serait le gris, dans toutes ses nuances. L'auteur est un passionné, admirateur de Dickens, dont il a écrit une biographie, et on ne peut que reconnaître l'influence du plus illustre des écrivains anglais.