Ici rien n'avait changé, la texture de l'air, l'inclinaison du soleil, le rythme des jours. Mais de nous rien ne subsistait.
Nous nous sommes dirigés vers le temple, son étang longé de cailloux blancs ratissés, son jardin en étages planté d'érables sanguins. Le soleil du matin éclaboussait la mousse en flaques liquides, ciselait la moindre feuille, le moindre branchage. Hiromi a glissé sa main dans la mienne et m'a entraîné vers la bambouseraie. C'était bon de se laisser noyer par le vert, de se laisser engloutir par le silence frémissant. C'était à peine si l'on distinguait encore le ciel entre les branchages légers et fluides. C'était à peine si je sentais battre mon coeur, l'air entrer dans mes poumons.
Je ne me lassais pas de ces itinéraires, ils suffisaient à me remplir, du moins m'en donnaient-ils l'illusion, il restait si peu de moi, une enveloppe si mince, un rien aurait suffi à la combler.
De la salle de prière montait le bourdon des sutras, quelques visiteurs erraient sans bruit, c'est à peine si leurs pieds touchaient le sol, ils finissaient tous par s'échouer ici, s'asseyaient subjugués par la beauté du lieu, transpercés. J'aurais pu y rester des heures entières, ma vie entière aurait pu se dérouler là me semblait-il, occupé seulement à regarder passer les saisons, varier la lumière, à sentir l'air entrer dans mes poumons, le coeur paisible, le cerveau lessivé. Que me restait-il d'autre ?
Lorsque nous avons gagné les premiers bambous il faisait tout à fait noir. Hiromi a pris ma main et je l'ai laissée me guider. J'étais prêt à me perdre.
Je me suis tourné vers Hiromi et son visage se détachait sur le fond du ciel et des collines. Un court instant j'ai eu envie de l'embrasser. Ca m'a étonné. Je ne crois pas m'être senti coupable. Simplement surpris d'être ainsi rattrapé par la vie, même le temps d'un éclair.
Hiromi n'a pas tenté le moindre geste. J'imagine qu'elle a compris au moment même où elle m'a vu. Qu'elle a compris que j'étais loin, si loin qu'aucun baiser, aucune étreinte ne pouvait me ramener au pays des vivants.
J’ai vidé mes poches en cachets divers. Le mini-bar m’a fait office d’ordonnance.
Ne me dis pas ce que je dois faire. Ni qui je dois aimer et comment. C'est mon affaire.
C'était une cour de récréation veillée par les esprits, hantée par le vent, habitée par la prière. C'était sa véritable demeure, son royaume me semblait-il. C'était là qu'elle reposait vraiment. Ça m'est apparu comme une évidence, baignée de larmes et de lumière. J'ai allumé une cigarette, la gorge nouée. J'ai regardé autour de moi et à ce moment précis j'ai su. J'ai su que je ne remettrais jamais les pieds en France.