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Critique de Tempsdelecture


Ce récit se focalise sous les yeux d'une jeune roumaine, qui grandit au sein d'une famille brisée, elle-même enfermée dans ce pays totalitaire à la société quelque peu fracturée.
Cette famille, un peu spéciale, amputée de quelques-uns de ses membres, se compose de notre narratrice Letitia, de sa mère, du frère de cette dernière, son oncle Ion. Se greffe à ce trio, le frère cadet de la mère et de l'oncle ainsi que l'ombre du père, lequel, même s'il est absent, pèse sur la relation entre la mère et sa fille. Letitia, même si elle est dépossédée de tout souvenir la rattachant à ce père inconnu, est hantée par cette figure, qui possède une aura forte puisqu'il a été emprisonné pour résistance politique. Face à l'image paternelle, qui apparaît d'autant plus héroïque et prestigieuse, que rien ni personne n'est en mesure de contester, il y l'oncle Ion, le frère, ersatz de père qui mène la famille à bout de bras, mais qui peine pourtant à se voir aussi respecté par sa nièce, par la société, par le gouvernement socialiste. L'état de cette famille n'est que le reflet de cette société écrasée par le poids de son oppresseur, son gouvernement, le contrôle obsessionnel et la paranoïa des autorités qui rendent la vie roumaine difficilement supportable.


Letitia, jeune fille puis jeune femme dans un pays qui a perdu sa raison, s'acharne à se définir, définir sa place au sein d'une société, comme d'un cercle familial qui tout deux qui ont la fâcheuse tendance à la laisser de côté en la confinant dans un état d'ignorance la plus totale. Avançant à tâtons, elle n'a d'autres choix que de progressivement faire entendre sa voix, s'affirmant peu à peu malgré la tendance de ce régime communiste à uniformiser ses membres, à anonymiser ses entités, à lisser ses personnalités et à museler ses voix. Letitia cherche sa voix, tortueusement, lentement, envers et contre le domicile familial qui ne s'avère être guère plus grand qu'une pièce, à travers le dortoir estudiantin qui accumule les lits des unes, des autres. C'est une voix, toute en douceur, qui s'élève et s'affirme peu à peu pour trouver sa place, donner un sens à une vie que sa mère et son oncle ne font que subir.

Si Letitia semble un peu mièvre et inconsistante aux premières pages de son histoire, c'est à travers la perte, et ses regrets qu'elle engendre inévitablement, qu'elle expérimentera l'accès à la connaissance. Cette jeune fille qui se trouve soudainement confrontée à ses faiblesses, son propre égoïsme, son aveuglement, son renfermement mais aussi sa solitude et son chagrin à laquelle nous nous trouvons confrontés. Et face au silence assourdissant de son entourage, sa mère et son oncle, eux-mêmes éteints par un régime qui les a anéantis, cette machine à broyer les gens qui a fini par avoir raison d'eux tous, mais pas – encore – de Letitia, se ressent péniblement. Cette autorité supérieure, inconnue, indéfinissable, désigné sous les termes de « les cadres » ou « Monsieur-des-cadres » néanmoins pesante, menaçante et omniprésente, oppressante.

Quel monde incongru, cette Roumanie désincarnée de toute âme vive, ou le mérite ne revient qu'à celui qui obéira le mieux possible aux ordres supérieurs l'auteure nous présente-t-elle. L'individu est annihilé, détruit, l'oncle Ion, après la narratrice, a été à mes yeux le personnage, à la fois dramatique et héroïque, le plus épais de la vie de Letitia, elle-même partagée entre deux tensions, la révolte du père face à la résignation fataliste de sa mère et son oncle. Tragiquement, ce roman porte également sur cet héritage moral et spirituel que l'on reçoit de ses proches, mais qui ne comprend et s'assimile que trop tard. du temps est nécessaire à Letitia pour que l'adulte qu'elle deviendra comprenne les sacrifices de cet oncle et sa valeur, homme d'esprit, homme de lettres, homme d'honneur, homme de générosité. Héritage qui ne sera, bien heureusement, pas vain.


Je me suis prise à apprécier observer le regard de cette jeune fille devenue jeune femme, qui s'éloigne, tant matériellement que métaphoriquement, de l'enfant qu'elle était, qui ne comprenait pas forcément le monde comme les personnes qui l'entourait. Une jeune adulte qui apprend à se détacher de ce qui n'est plus, à quitter les dernières traces de tout ce qui constituait son enfance, non sans mal il est vrai. J'ai suivi avec intérêt les errements de cette jeune fille, roumaine parmi tant d'autre, les évolutions de son regard qui change, qui s'aiguise, peut-être plus sensible, avec cette forme d'indépendance financière, spirituelle qu'elle acquiert avec le temps. Et, surtout, la levée des silences entre Letitia et sa mère, son oncle, son père, comme si le long récit qu'elle en fait servait à combler cette absence de communication et en éclaircir les non-dits. Car on ressent particulièrement cette volonté absolue de poser des mots sur cette histoire silencieuse en s'exprimant le plus possible. Comme si le verbiage prolixe de Letitia tentait de combler à tout prix les lacunes du silence assourdissant de son enfance.

C‘est un roman plaisant, qui fait appel à une écriture très imagée, poétique, fortement marquée par des influences visuelles, notamment celui du thème de la lumière, qui joue sur les ombres et les lumières de ses personnages, de la Roumanie et ses paysages, de Bucarest, de la lourdeur de ses étés et de la froideur de ses hivers, de la pauvreté et le besoin qui consument les Roumains, de la froideur de la vie en communauté déshumanisante. Mais la lumière de ce pays est artificielle, aveuglante; C'est ne pas un roman qui vous émerveillera, qui soulèvera joie ou de peine, qui vous transportera d'émotion. C'est un récit, en trois longues parties, dans lequel il faudra prendre le temps, et la peine, de s'engouffrer, non sans mal. Se laisser le temps de découvrir le charme simple et discret de l'histoire de Gabriela Adameșteanu à l'image de Letitia son personnage.
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