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Critique de CiliaBrux


J'ai été littéralement séduite par ce petit roman dont la lecture m'a plongée dans l'imaginaire surprenant du jeune Tom qui tente de surmonter le chaos psychique engendré par son entourage familial.


Le récit se développe progressivement à travers ses réflexions qui s'enchaînent à un rythme soutenu sur les pages de son journal intime. Enfant surdoué, mal-aimé par sa mère, Tom projette de partir vivre définitivement chez son père à qui il voue une adoration inconditionnelle, afin d'échapper à un quotidien devenu quasi carcéral et aliénant depuis le divorce de ses parents survenu à la suite d'un accident tragique. Un drame qui l'a laissé seul et démuni face à ses émotions.


Christine Adamo parvient avec une grande subtilité à ajuster à une situation bouleversante le regard d'un enfant et plus spécifiquement d'un enfant qui se distingue des autres, et pas seulement à cause de son langage atypique.


On fait la connaissance d'un être complexe au moment où il a décidé de changer le cours de sa vie. On découvre sa sensibilité particulière à travers ses centres d'intérêt, sa fascination pour la sonorité de certains mots notés comme une collection précieuse dans un carnet et auxquels il attribue ses propres représentations, qui deviennent comme une façon de décomposer et recomposer son monde intérieur à sa manière.
Comme nombre de petits garçons avant que l'avènement des nouvelles technologies ne court-circuite leur imagination (mais lui n'a pas le choix, sa mère lui interdisant la télévision et tout gadget électronique), Tom trouve refuge dans la lecture en s'identifiant aux héros de ses livres préférés et rêve parfois d'aventure dans les montagnes du Grand Nord pour se détacher de son quotidien sordide.


A ce sujet, encore une qualité d'écriture que j'ai appréciée : les portraits parfaitement réalistes de chaque personnage, développés les uns après les autres selon des chapitres dédiés dans lesquels s'entrecroisent des anecdotes parfois très dures et empreintes de gravité.
Tom y parle avec rancoeur du comportement paradoxal haine/amour d'une mère toxique et de l'ambiance mortifère dans laquelle elle le maintient ainsi que de la présence lourde d'un grand-père geignard et tyrannique. Mais je n'en dis pas plus car la richesse descriptive des personnages est vraiment à savourer, en plus de l'intrigue.


Cet « état des lieux » que dresse Tom dans son journal est poignant, révoltant, mais nécessaire pour bien saisir les enjeux de ses projets de passages à l'acte. Car c'est à mon sens à ce niveau du récit, que se déploie tout le génie psychologique du roman.


Ce n'est pas uniquement sa lucidité exceptionnelle qui différencie Tom des autres enfants. Plusieurs facettes de son caractère sont intrigantes et j'ai supposé qu'elles donnaient des indices sur sa personnalité en devenir. Sa fascination inquiétante pour la mécanique organique du corps humain, sa capacité d'adaptation et sa discrétion qui masquent son sens aiguisé de l'observation et de la compréhension du fonctionnement des adultes, ses déductions un peu désabusées (« Quand on est beau à l'extérieur, les gens se fichent de savoir si on l'est pas à l'intérieur. C'est bien pratique. »), son humour caustique qui semble aussi se rapporter à un mécanisme de défense, son perfectionnisme, tout cela confère à son profil une détermination effrayante et une distance émotionnelle déconcertante.


A un moment du récit, je m'étais demandé : comment ce pauvre gosse va-t-il faire pour échapper à cet univers plombant, à son statut d'objet de réprimande et de harcèlement, à cette accumulation d'angoisses ?
…Tout simplement en décidant de supprimer les obstacles au bonheur auquel il aspire, en élaborant froidement des solutions à travers une planification méthodique et des stratégies qui font froid dans le dos.


C'est aussi en cela à mon avis que ce roman soulève des questions morales intéressantes : est-il question de revanche sur le malheur, ou de survie ? Est-on soi-même un peu sociopathe si on trouve légitime que Tom élimine radicalement les personnes qui lui pourrissent la vie (en les assassinant par exemple) ? le ferment malsain dans lequel Tom est obligé de se débattre justifie-t-il inexorablement son évolution asociale ? Ou bien Tom contribue-t-il à perpétuer un héritage familial corrosif ?


Autre élément d'importance qui m'a captivée, c'est la précipitation soudaine de certains passages, d'une acuité pratiquement insoutenable. J'avoue que je me suis sentie presque subitement prise en otage par la montée en tension qui arrive très vite et sans crier gare ! Etant fan de lecture horrifique et de sensations fortes, je suis admirative de la construction de ces scènes dont l'action fait grimper le taux d'adrénaline…


Par ailleurs, tout n'est pas que sombre dans le monde de Tom. Il lui arrive d'évoquer des pensées délicates et de belles projections vers un futur idéalisé qui va au-delà du fait de partir vivre chez son père. La plume très agréable de l'auteure nous offre des images visuellement réussies et d'une esthétique soignée. Je me suis régalée avec son humour noir réjouissant, mais aussi avec un humour plus léger où perce de la tendresse (le chapitre sur le chien Bismuth est exceptionnellement drôle).


Le jour où je serai orphelin est un roman auquel j'ai continué à penser après l'avoir achevé. J'en ai aimé la fin qui reste un peu en suspens tout autant que j'aimerais beaucoup qu'il y ait une suite, car on sent que le héros est en pleine transformation, avec un petit côté « dans la toute-puissance » qui pourrait surprendre par des rebondissements inattendus.


Je vous recommande donc avec enthousiasme cette pépite littéraire, un vrai régal, dans la fiction comme dans l'approche passionnante de la psychopathologie de son petit héros fascinant.
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