Première histoire et première vague émotionnelle qui m'a soulevée, tenue en suspens, m'a fait lire presque à voix haute afin de ne pas perdre le moindre mot de ce texte qui traduit, avec tant de talent et d'intensité, une situation, celle d'une jeune nigériane nous relatant elle-même l'expérience carcérale de son charmant frère. Elle nous parle de vols commis au sein du campus où elle vit avec sa famille, son père étant professeur. L'un des vols est celui des bijoux de sa mère, orchestré par son frère. Les parents se voilent la face, se plaignent de la racaille extérieure au campus alors que tous les vols sont commis par leurs rejetons. C'est la saison des cambriolages mais aussi celle des sectes dans ce paisible campus. La prison nigériane ouvre ses portes, avec sa corruption et ses méthodes pour mater les plus récalcitrants.
Le dernier mot prononcé, je redescends de cette vague et hop, la suivante me saisit, puis celle qui suit, jusqu'à la dernière. J'ai rarement lu un recueil de nouvelles sans constater, pour au moins l'un des textes, le fait qu'une fois terminé celui-ci est aussitôt oublié. Mais là, toutes les nouvelles laissent vagabonder les multiples sujets abordés par l'autrice. Avec une grande subtilité, Chimamanda Ngozy Adichie tisse des histoires autour des difficultés d'être une femme nigériane, les hommes ne les considérant que pour leurs atouts physiques. Elle nous fait vivre une partie des affronts subits tout en soulignant leur force, leur détermination à faire dévier leur destin. Ces femmes donnent une orientation à leurs vies qui n'est pas celle que leur condition avait prévue initialement.
Ce sont donc essentiellement des nouvelles centrées sur un personnage féminin sauf une qui donne la parole à un retraité et nous expose les pensions détournées, l'harmattan qui dessèche les peaux, l'histoire du Biafra, de son indépendance et de la guerre qui a suivi en 1967.
Le constat de choses inéluctables liées au pays est omniprésent comme la corruption, la contrefaçon ou les violences. Les ressentis intimes vivent dans chaque histoire, les blessures sont posées avec pudeur.
De nombreux thèmes sont abordés dont le flou identitaire causé par l'émigration aux États-Unis. L'adaptation à ce nouveau pays impose souvent d'effacer toutes traces du Nigeria, parfois même son prénom ! L'illusion du « tout est mieux en Amérique » se confronte souvent à une réalité bien moins merveilleuse que celle vantée au pays.
Un mariage arrangé qui révolte, une demande de visa qui noue les entrailles, une préférence trop appuyée vers un frère qui conduit au drame et aussi une émeute sanglante entre musulmans haoussas et chrétiens ibos. Les machettes massacrent, les religions divisent, les langues aussi. Les différentes ethnies ne se supportent pas et deux femmes, l'une de chaque camp et de milieu bien différent, se réfugient, l'espace de l'émeute, échangent avec émotion et tremblent pour une fille, une soeur perdue dans la bousculade. Peut-être la nouvelle que j'ai trouvée la plus émouvante.
Mais j'insiste, elles sont toutes exceptionnelles, ont chacune sa spécificité qui éloigne toute monotonie et sont écrites et traduites avec brio. Un très, très bon recueil qui donne envie de découvrir les romans de cette écrivaine nigériane talentueuse.
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Sefi Atta et Chimamanda Ngozi Adichie, même combat ? Elles sont toutes les deux originaires du Nigeria, ont fait leurs études aux Etats-Unis, où elles vivent désormais. A quelques mois d'intervalle, ces romancières font paraître un recueil de nouvelles qui évoquent aussi bien des destins de femmes au Nigeria que dans leur exil américain. La comparaison, sur le format court, penche nettement en faveur d'Adichie, ce qui n'est pas nécessairement le cas sur la longueur d'un roman. Il n'y a pas une seule nouvelle dans Autour du cou qui puisse être qualifiée de faible. Moins ouvertement militante et plus subtile dans la concision, la cadette des deux auteures a le don de captiver dès les premières lignes de ses récits, de les faire se développer de façon drôle, tragique ou ironique et de leur donner une fin ouverte souvent malicieuse ou inattendue. Tel quel, ce recueil dresse un panorama lucide et touchant de la condition féminine au Nigeria et en Amérique et ce, sur tous les plans, racial, sexuel et social. Jeunes ou vieilles, ces femmes luttent avec leurs armes, renoncent parfois ou acceptent des compromis mais ne s'effondrent jamais. S'il ne faut retenir qu'une seule histoire, l'on choisira celle de cette étudiante chrétienne, aisée, face à une vendeuse de légumes musulmane. Elles se retrouvent ensemble quelques heures, dans un abri provisoire, alors que les violences communautaires font rage. Des moments suspendus pour une rencontre impromptue où le dialogue improvisé entre ces deux femmes aux antipodes l'une de l'autre s'affranchit des préjugés de caste et de religion pour revenir à l'essence des rapports humains. Magistral !
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La vie d'une femme n'est pas toujours facile. Au Nigeria non plus, même quand elle a la chance d'avoir un mari bien placé, qui la fait vivre aux États-Unis.
Quand on est une femme au Nigeria, il faut s'attendre à être bafouée par son mari, à accepter tout ce qu'il fait subir parce que c'est lui qui paie et entretien.
Être une femme au Nigeria, c'est être mariée, pas toujours avec son accord parce qu'une femme ne peut rester célibataire : comment ferait-elle pour manger ?
Être une femme au Nigeria, c'est devoir subir son patron pour avancer.
Être une femme au Nigeria, c'est avoir un esprit combatif, ne pas avoir peur de s'exprimer.
Parce que sinon, être une femme au Nigeria, ça va être compliqué pour longtemps encore.
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