J'avais découvert la délicatesse exquise de cette auteure dans son excellent
Americanah. Que j'avais d'ailleurs lu pendant la pandémie, bien conseillée par des amis lecteurs.
Ces mêmes amis m'ont remis dans les mains ce court opus.
Sans cela, je ne l'aurais pas ouvert tout de suite. le traumatisme du confinement est encore trop à vif. Et la question du deuil d'un parent proche fait peur si on ne l'a pas vécu, ou peut raviver des souvenirs douloureux dans le cas contraire. Et je pense qu'il reste souvent aussi ce reste de peur viscérale et ancestrale d'attirer la mort si on l'évoque.
Mais c'est sans compter le talent de Chimamanda qui crée un véritable bouquet d'émotions, avec beaucoup de pudeur. Qui met en lumière ces moments clés juste avant et juste après la mort d'un proche. Avec ce vertigineux « jamais plus ». Avec ces souvenirs qui se bousculent pour chasser le chagrin. Rarement les grand moments, mais surtout les petits bonheurs, ces détails insignifiants avant le « jamais plus », qui donnent de l'épaisseur et toute sa singularité à celui qui n'est plus. Qui fait que sa routine de vie reviendra visiter les vivants pour le reste de leurs jours.
Je me souviens notamment de
Martin Gray dans
Au nom de tous les miens, qui évoquait sa femme disparue en s'émerveillant sur la façon dont elle parvenait à éplucher une pomme en faisant un seul morceau comme un ruban, avec la peau.
Ici Chimamanda nous accompagne dans les Sudokus de son papa. C'est tellement intime.
Elle évoque aussi et surtout sa découverte d'un chagrin inimaginable et son rapport aux autres au travers de ce chagrin. Comment le vivre par rapport à sa fille, comment supporter la façon dont les autres imaginent vous en alléger, avec des formulations sincères et se voulant réconfortantes, qui parfois tombent complètement à côté. Et difficile dans ce cas là de rejeter la bienveillance mal placée. Ce serait mal vu. Il est déjà délicat de vivre un deuil, alors en plus se coltiner les indélicatesses…
Là je ne peux m'empêcher de raconter ma vie : il y a plusieurs années, ma maman s'est retrouvée en soins palliatifs. A cette période, une grande amie de la famille qui avait l'habitude de tout organiser et programmer, m'a appelée très gentiment un soir, pour me dire qu'elle avait été chez un fleuriste, se renseigner sur les fleurs qui conviendraient à ma maman pour ses obsèques. Sauf que ma maman étant encore vivante, la question m'a paru si absurde, que j'ai mis un peu de temps à réaliser qu'elle me disait bien ce qu'elle me disait. Ce n'était pas méchant. Juste sa personnalité. Mais c'était...rude. J'ai simplement répondu qu'elle ne voulait pas de fleurs. Et c'était vrai.
Bref, on devrait avoir le droit de dire tout ce qu'on éprouve dans ces moments-là, sans que personne n'ait le droit de nous en tenir rigueur. Pourtant les chagrins sont individuels, subjectifs et ils doivent être respectés sans jugement.
Hélas pour l'auteure, ce deuil et son chagrin sont rallongés par le Covid : pas de possibilité d'organiser rapidement les obsèques, l'éloignement d'avec les proches. Une visioconférence dans ces moments, ce n'est pas suffisant.
Ce morceau de vie, presque de survie, que partage avec nous l'auteure, est beau, triste, délicat, mais jamais larmoyant. Son amour et son profond respect pour son Papa illuminent ces heures sombres.
Alors, faut-il le lire ? Oui. Je ne peux que vous recommander également
Americanah. de mon côté j'ai
L'autre moitié du soleil dans ma pile à lire. Je reviendrai vous en parler…
Et si le thème du deuil vous intéresse, je vous recommande aussi
Vivre avec nos morts de
Delphine Horvilleur