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Critique de beatriceferon


La narratrice a quitté l'Algérie pour faire des études, puis, travailler à Paris. Elle est devenue responsable iconographique dans une maison d'édition qui publie des magazines pour enfants. Donc, tout devrait être pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et pourtant, non.
Quand sa mère l'appelle pour lui annoncer les fiançailles de sa petite soeur, les souvenirs l'assaillent. Et le déchirement entre France et Algérie. Et surtout, surtout, ce cauchemar : va-t-elle rester vieille fille ?
Je ne connaissais pas cette jeune auteur qui publie ici son deuxième roman. Mais je lirai certainement le premier car celui-ci m'a épatée. Et pourtant, pas d'action à proprement parler. Et pas vraiment d'histoire non plus. L'intérêt de ce récit est ailleurs. Cette narratrice anonyme, qui, à mon avis, n'est autre que Kaouther Adimi elle-même, est déchirée entre deux villes, deux cultures. Son coeur balance de l'une à l'autre. C'est donc le récit de ses hésitations entre sa vie d'adulte et ses racines que Kaouther Adimi nous expose. le déclenchement est un coup de fil de sa mère lui annonçant les fiançailles de la cadette. le texte est dès lors rythmé par une série d'appels qui commencent par : « C'est ta mère. - Je sais ton numéro s'affiche » et se terminent par un : « Je dois raccrocher » irrité, argumenté par divers prétextes dont la mère n'est pas dupe. Alors, pourquoi sa fille s'énerve-t-elle, elle que ces nouvelles du pays natal devraient combler de joie ? Pourquoi la mère ressasse-t-elle inlassablement la même litanie à deux temps : quand donc sa fille va-t-elle se décider à rentrer au bercail et quand donc sa fille va-t-elle enfin se MARIER ? Car enfin, être célibataire à trente ans, c'est une tragédie !
La narratrice a pourtant autour d'elle de nombreuses femmes seules contentes de leur sort. Enfin... nombreuses ? Il y a « Demoiselle Clothilde », la SDF philosophe avec laquelle elle partage son déjeuner tout en discutant. Il y a Caroline, son amie française, qui vit très bien sans homme. Et puis, non. Ces traîtresses ont toutes deux trouvé l'âme soeur. Elles sont prises ailleurs. Ont moins de temps à lui consacrer.
Pourtant, notre héroïne n'est pas un monstre rebutant . Des garçons, elle en a connu, elle en a fréquenté... Et puis, ne les a plus vus. Sera-t-elle vraiment obligée, par désespoir, de faire du charme au Grec qui tient le snack où elle achète son sandwich ?
Kaouther Adimi évoque la jeunesse de son personnage dans une Algérie où il ne faisait pas bon réfléchir par soi-même. A neuf ans, elle récolte un zéro pour un devoir auquel elle a consacré toute sa bonne volonté. Il se concluait par « l'égalité des sexes n'existe pas. » Est-il défendu de le penser ? de l'écrire ? « Il n fallait pas trop se faire remarquer. Les plus nuls, on les aimait bien. Les premiers de classe, en revanche, écopaient de coups d'oeil méfiants. »
Dès que possible, la jeune femme va donc partir à Pris où les idées personnelles ne sont pas interdites. Même si elle doit se contenter d'un appartement lilliputien au loyer exorbitant. Même si, au travail, Françoise la harcèle pour un bon d'achat non signé. Quelle apocalypse ! On va devoir se passer d'agrafes !
Le ton de Kaouther Adimi m'a beaucoup plu. Les moments mélancoliques, durs, tristes, sont traités avec un humour parfois noir et décapant, à l'image des mots qui ouvrent le roman : « FAIT DIVERS : Une jeune femme de trente ans a été arrêtée pour le meurtre de sa voisine qui s'était moquée d'elle en déclarant qu'elle ne trouverait pas d'homme assez fou pour l'épouser. La meurtrière a frappé la vieille dame à plusieurs reprises avant de l'étrangler en se servant de sa ceinture parce qu'elle respirait encore un peu. J'aurais fait pareil. »
Tous les moments qu'elle évoque, tous les souvenirs qui l'assaillent, sont ces « pierres dans [sa] poche », peut-être semblables aux cailloux du Petit Poucet, destinés à tracer un chemin entre deux vies, et parfois blessants, lourds à porter, toutes ces pierres dont Virginia Woolf avait lesté ses poches avant de se jeter à la rivière.
Entre sourire et boule dans la gorge, ce livre m'a beaucoup plu.
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