D'emblée, l'auteure prend le lecteur par la main, et guide ses pas dans les rues d'Alger, en 2017, face au soleil, passant devant les boutiques, la Casbah, l'imprégnant des couleurs, pour arriver devant ce qui fut la librairie « Les Vraies Richesses ».
Certes, la librairie n'existait plus en tant que telle depuis les années 90, reconvertie en une bibliothèque, gérée par Abdallah, un vieil homme qui veillait jalousement sur les livres. A son grand dam, elle va être vendue et transformée en commerce de beignets, tâche confiée à Ryad, jeune homme qui arrive de France pour un stage de formation qui va consister à faire place nette…
Le décor est planté et l'auteure va nous raconter l'aventure de cette librairie, bibliothèque, maison d'éditions, alternant les récits de Charlot, ses
carnets précieux et l'opération de grand nettoyage de Ryad et l'Histoire.
Kaouther Adimi nous donne la liste impressionnante de tout ce dont il doit se débarrasser : des milliers de livres d'auteurs français, étrangers, en arabe, des livres pour enfants, des ouvrages scientifiques, les meubles, les photos… mais aussi les manuscrits, les correspondances précieuses avec les auteurs que Charlot a publiés…
Le simple fait de la lire m'a fait frissonner, (je dirais même crier intérieurement au scandale) car jeter un livre pour moi est un sacrilège ! Alors un tel trésor !
J'ai beaucoup aimé suivre le parcours d'Edmond Charlot (que je ne connaissais pas, je le reconnais) dans la création de sa librairie « Les vraies richesses » avec peu de moyens, beaucoup de travail et d'opiniâtreté, la manière dont il prend soin de ses auteurs comme de ses lecteurs, ou déniche de nouveaux talents, les coups bas, la censure, les difficultés à trouver du papier pendant la guerre, sans oublier sa revue « L'Arche » …
Il veut créer un espace ouvert aux lecteurs et aux écrivains de tous les pays de la Méditerranée, « gens d'ici, de cette terre, de cette mer, sans distinction de langue ou de religion ». Il soigne la présentation, la couverture, introduit le rabat où l'on peut lire le résumé du roman, sans oublier son catalogue recherché.
Certaines réflexions résonnent étrangement tant elles pourraient être énoncées de nos jours, telle celle-ci, écrite le 17 décembre 1938
« Aujourd'hui encore, des clients intéressés uniquement par les derniers prix littéraires. J'ai essayé de leur faire découvrir de nouveaux auteurs, de les inciter à acheter
l'Envers et l'Endroit de Camus, mais totale indifférence. Je parle littérature, ils répondent auteurs à succès. » P 79
On rencontre des auteurs qui ne sont pas encore célèbres,
Albert Camus fumant une cigarette devant la porte de la librairie,
Jules Roy, Vercors,
Max-Pol Fouchet, Himoud Brahimi,
Kateb Yacine,
Emmanuel Roblès,
Saint-Exupéry…
« Au fond, face à l'entrée trône un bureau en bois massif. Des photos en noir et blanc sont accrochées un peu partout. Ryad déchiffre les noms sous les portraits d'hommes dont la plupart lui sont inconnus :
Albert Camus,
Jules Roy,
André Gide,
Kateb Yacine,
Mouloud Feraoun,
Emmanuel Roblès,
Jean Amrouche, Himoud Brahimi,
Mohamed Dib… » P 48
Le personnage d'Abdallah est très intéressant aussi ; émouvant lorsqu'il surveille ce qui se passe lors de l'opération nettoyage, debout sous la pluie, revêtu d'un drap blanc, tel un linceul. Il est la mémoire vivante du lieu, et respecte les livres, même s'il ne les lit pas.
Kaouther Adimi raconte de fort belle manière l'histoire de la librairie en la mêlant à l'Histoire : celle du pays avec le centenaire de la colonisation en 1930, la seconde guerre mondiale où les Indigènes sont envoyés au combat comme les autres, et la manière dont ils sont accueillis au retour, les massacres de Setif, la Toussaint rouge, et ce qu'on appellera « les évènements d'Algérie », le mot guerre étant encore escamoté…
J'ai beaucoup aimé ce voyage dans l'Histoire et la Littérature, et la petite histoire dans la grande et l'auteure m'a donné envie d'en avoir davantage, et de découvrir plus en profondeur les auteurs algériens que je connais trop peu.
L'auteure a passé « un an à écumer les fonds d'archives », comme elle dit, pour nous offrir un roman riche et bien écrit, que j'ai eu du mal à lâcher, un de mes préférés de cette rentrée littéraire 2017.
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