À l’agonie » voulait tout dire et ne rien dire – en général, dans l’attente d’une mise en examen ; à l’hôpital, l’agonie physique était en général appelée « inconfort ». « Problème » et « tragédie personnelle » voulaient dire crimes. « Serein » et « déconnecté de la réalité » signifiaient que le locuteur essayait de se dédouaner en suggérant que son patron était fou. « Il a suffisamment souffert » voulait dire que, si l’on continue l’enquête, on va finir par découvrir que nos amis sont mouillés dans l’affaire. Une quantité suffisante de souffrance, dans la vie publique, consistait sans doute à perdre la face, ou son poste, ou, avant cela, à se faire prendre, ou à avoir vécu dans la peur de se faire prendre, ou à commettre des crimes ou à avoir voulu en commettre.
Provocation, déduction, ces thrillers que tout le monde lisait étaient obsolètes. Les carottes n’étaient plus cuites dans aucune affaire. Au même moment, les thérapeutes gagnaient leur vie en disant : « Vous êtes trop dur avec vous-même. »
Les meurtres, en général, étaient qualifiés de sauvages et les massacres d’insensés afin de les distinguer de tous les autres crimes ; les substantifs se retrouvaient collés aux adjectifs, en série, comme si on voulait les consolider. Toutefois l’idée salon laquelle « les carottes sont cuites » n’avait plus de place que dans les thrillers.
Quand un nouveau président met un terme à notre cauchemar national en nous demandant de « panser les plaies les plus profondes » on sait qu’on est presque blanchis.
Un mot entre guillemets portait une espèce de dérision contre laquelle on ne pouvait pas argumenter, comme « soi-disant » ou « supposé ».
Le vrai bégaiement, qui pèse tellement sur le langage qu’il semble absolu, est une façon d’occuper les voies aériennes jusqu’à ce que le locuteur ait à peu près formulé son message. J’ai remarqué que ces bègues-là parlent beaucoup. Le meilleur interprète que j’aie jamais rencontré souffrait d’un grave problème d’élocution dans sa langue maternelle.
Les gens qui savent le moins différencier ces moments, politiques et apolitiques, sont généralement les plus passionnés de politique.
Parfois, la moindre action, si intime ou inconsciente soit-elle, devient politique.
Il y a des crampes d’un ordre bien différent contre lesquelles même des médecins endurcis – sachant que ce n’est pas important, temporaire, juste une question d’heures – attrapent du Demerol et une seringue. Il doit en aller ainsi pour chaque événement solitaire et dégradant dont on se sort en n’ayant strictement rien appris. Pas de conclusion à en tirer. Les solitaires voient un double sens à tout.
Je connaissais quelqu’un qui s’endormait en comptant, non pas des moutons, mais les gens contre qui il avait une dent – certains petits tyrans de son enfance, des assistantes de l’école maternelle, et même des nounous, des patrons, des employés, toutes les personnes malveillantes rencontrées jusque-là. Une fois rassemblés dans son esprit, il les passait au fusil-mitrailleur. S’il avait oublié quelqu’un, il devait recommencer depuis le début. Les rassembler une fois de plus. Les fusiller. Il dormait plutôt bien