Ouvrage clair et exposant ses idées clairement alors que le sujet traité est particulièrement vaste et complexe. Je reste un peu sur ma fin car, en quatrième de couverture, il est promis des stratégies pour échapper au dispositif dans son livre et, finalement, ce point n'est pratiquement pas abordé.
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Une pertinente critique du dispositif, tout cela qui nous enserre toujours plus durement au monde de la marchandise et du contrôle.
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J'appelle dispositif tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter, de modeler, de contrôler et d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. Pas seulement les prisons donc, les asiles, les panoptikon, les écoles, la confession, les usines, les disciplines, les mesures juridiques, dont l'articulation avec le pouvoir est en un sens évidente, mais aussi, le stylo, l'écriture, la littérature, la philosophie, l'agriculture, la cigarette, les ordinateurs, les téléphones portables et, pourquoi pas, le langage lui-même, peut-être le plus ancien dispositif dans lequel, plusieurs milliers d'années déjà, un primate, probablement incapable de se rendre compte des conséquences qui l'attendaient, eut l'idée de se faire prendre.
Il y a donc deux classes : les êtres vivants (ou les substances) et les dispositifs. Entre les deux, comme tiers, les sujets. J’appelle sujet ce qui résulte de la relation, et pour ainsi dire, du corps à corps entre les vivants et les dispositifs. Naturellement, comme dans l’ancienne métaphysique, les substances et les sujets peuvent se confondre, mais pas complètement. Par exemple, un même individu, une même substance, peuvent être le lieu de plusieurs processus de subjectivation : l’utilisateur de téléphones portables, l’internaute, l’auteur de récits, le passionné de tango, l’altermondialiste, etc. Au développement infini des dispositifs de notre temps correspond un développement tout aussi infini des processus de subjectivation. Cette situation pourrait donner l’impression que la catégorie de la subjectivité propre à notre temps est en train de vaciller et de perdre sa consistance, mais si l’on veut être précis, il s’agit moins d’une disparition ou d’un dépassement, que d’un processus de dissémination qui pousse à l’extrême la dimension de mascarade qui n’a cessé d’accompagner toute identité personnelle.
En philosophie, les questions terminologiques sont importantes. Comme l’a dit un philosophe pour lequel j’ai le plus grand respect, la terminologie est le moment poétique de la pensée. Cela ne signifie pas que les philosophes soient obligés de définir à chaque fois les termes techniques qu’ils emploient. Platon n’a jamais défini le terme le plus important de sa philosophie : idée. D’autres, comme Spinoza et Leibniz, ont préféré définir more geometrico leur terminologie. Mon hypothèse est que le mot « dispositif » est un terme décisif dans la stratégie de pensée de Foucault.
On peut définir la religion dans cette perspective comme ce qui soustrait les choses, les lieux, les animaux ou les personnes à l'usage commun pour les transférer au sein d'une sphère séparée. Non seulement il n'est pas de religion sans séparation, mais toute séparation contient ou conserve par-devers soi un noyau authentiquement religieux. Le dispositif qui met en oeuvre et qui règle la séparation est le sacrifice; ce dernier marque, dans chaque cas, le passage du profane au sacré, de la sphère des hommes à la sphère des dieux, à travers une série de rituels minutieux qui varient en fonction de la diversité des cultures et dont Hubert et Mauss ont fait l'inventaire. La césure qui sépare les deux sphères est essentielle, comme est essentiel le seuil que la victime doit passer dans un sens ou dans l'autre. Ce qui a été séparé par le rite peut être restitué par le rite à la sphère profane. La profanation est le contre-dispositif qui restitue à l'usage commun ce que le sacrifice avait séparé et divisé.
Les théologiens s’habituèrent peu à peu à distinguer un « discours (logos) de la théologie » d’un « logos de l’économie ». L’oikonomia devint le dispositif par lequel le dogme trinitaire et l’idée d’un gouvernement divin providentiel du monde furent introduits dans la foi chrétienne. Pourtant, comme on pouvait s’y attendre, la fracture que les théologiens avaient tenté d’éviter et de refouler en Dieu sur le plan de l’être, devait réapparaître sous la forme d’une césure qui sépare en Dieu être et action, ontologie et praxis. L’action (l’économie, mais aussi la politique) n’a aucun fondement dans l’être : telle est la schizophrénie que l’oikonomia a laissée en héritage à la culture occidentale.
Lundi 8 août 2022, dans le cadre du banquet du livre d'été « Demain la veille » qui s'est déroulé du 5 au 12 août 2022, Yannick Haenel tenait la conférence : L'amour, la littérature et la solitude.
Il sera question de cette attention extrême au langage qui engage notre existence. C'est-à-dire des moyens de retrouver, à travers l'expérience poétique de la solitude, une acuité, une justesse, un nouvel amour du langage. Écrire, lire, penser relèvent de cette endurance et de cette précision. C'est ce qui nous reste à une époque où le langage et la vérité des nuances qui l'anime sont sacrifiés. Écrire et publier à l'époque de ce sacrifice planétaire organisé pour amoindrir les corps parlants redevient un acte politique. Je parlerai de Giorgio Agamben, de Georges bataille, de László Krasznahorkai, de Lascaux et de Rothko. Je parlerai de poésie et d'économie, de dépense, de prodigalité, et de la gratuité qui vient.
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