Si un lecteur me dit qu'il a pleuré et ri en lisant une de mes histoires, je suis heureuse. Car c'est ainsi que je vois la vie, misérable et merveilleuse, et communiquer exactement ce que je sens me comble. (p. 53)
Ils parlaient comme ils pouvaient. Des choses simples, à cause des langues différentes. Et elle se demandait si, avec les problèmes qu'ils avaient, ces immigrés du monde entier, ils réussissaient à voir toute la beauté de cet endroit, de ces dunes de sable blanc d'où on peut se laisser glisser dans une mer transparente et calme.
Elle, cette histoire de nuages, de ne pas savoir quoi faire ni où aller, ça lui donnait une grande envie de ne pas exister.
Le voisin, elle l'avait rencontré un jour alors qu’avec son petit elle rentrait de promenade. Il était très beau. Et ensuite, toujours à la même heure. Elle arrêtait la poussette et le fixait sans retenue. Mais lui il ne les voyait pas, même quand la rue était vide.
Il habitait la maison de l'autre côté du mur, et maintenant, quand elle emmenait son fils faire un tour, elle passait toujours par là. Ensuite ils montaient par les ruelles en pente, encaissées entre les murs, et débouchaient dans la lumière aveuglante de l'Esplanade, une avenue d’où on aperçoit tout Cagliari. Ils s'installaient sous un palmier, en surplomb de leur petit immeuble décrépit, qui était le plus moche, mais le plus beau aussi, parce qu'il y avait le jardin de la maison d'en face, caché à la rue par le mur, avec sa végétation enchevêtrée qui formait un tapis sous son balcon à elle, au premier étage, la tenant comme suspendue en l'air quand elle s'y penchait.
La maison du voisin restait cachée même de là-haut, de l'Esplanade, les frondaisons des arbres recouvraient tout, et là où elle s'éclaircissaient par instants émergeaient le blanc, le rose, le jaune des arbres fruitiers. Du mur descendaient un chemin entre les tessons de bouteille, les branches de lierre et les grappes violettes des Glycines. Elle ne se lassait pas de rester là, émerveillée, espérant toujours entendre la voix de son voisin si beau. Mais seuls les oiseaux chantaient.
Une nuit où elle traînait sur le balcon et il y avait une lune qui semblait dessinée au fusain, et le vent apportait l’odeur de la mer et les arômes du jardin, elle le vit tout à coup devant elle, le voisin.
[…] Elle s’y attendait tellement peu qu’elle n’avait sur elle que sa combinaison transparente aux bretelles déchirées qui laissait un sein découvert.
" Si les autres le savent , se suicider est une méchanceté, lui dit-elle, et pour les enfants surtout c'est un héritage terrible, et puis ceux qui vous aiment ne doivent pas se sentir coupables, ni l'humanité insultée par quelqu'un qui dit que tous les efforts que les autres font pour tenir le coup sont inutiles et stupides. Voila pourquoi j'ai imaginé le suicide parfait."
…elle était tellement fatiguée à cette heure-là, et il faisait si chaud, et elle passait les nuits à ne pas pouvoir dormir, à cause de ses pensées tristes, ne se tranquillisant que si elle arrivait à perfectionner son suicide. D’ailleurs, quel mal y a-t-il à se suicider, quand vous savez que votre enfant sera entre de bonnes mains…
Et elle se demandait si, avec les problèmes qu'ils avaient, ces immigrés du monde entier, ils réussissaient à voir toute le beauté de cet endroit,de ces dunes de sable blanc d'où on peut se laisser glisser dans une mer transparente et calme.
A certains balcons fleurissaient le basilic et la menthe, d'autres étaient rouges de géraniums. Des femmes, avec de grosses jambes et des varices, se penchaient, et elle se demandait si elles désiraient mourir, pauvres et mal en point comme elles étaient. Pourtant elles faisaient pousser de la menthe et du basilic et des géraniums rouges.
C'était bien, de cuire un œuf à la coque tous les matins et d'aller en car à la mer et de chercher des copains dans la chaleur étouffante, à l'heure du déjeuner, quand il y avait des nuages et de se faire brosser les miettes et arranger les cheveux, et de se faire aider à trouver l'autre manche de se frotter sur celle du voisin pour y prendre de l'énergie. Ca semblait ne pas suffire, sans l'assurance d'un bonheur futur, et pourtant si, ça suffisait. Le présent aussi suffisait. Et elle ne l'avait pas compris