On récolte ce que l'on sème, même mort. Et j'ai appris à semer.
Je remarque davantage les gens, je croise leur regard ou je cherche leur contact. Je suis toute prête à engager la conversation à présent ; si quelqu'un croisait mon regard ou me parlait, je serais ravie. Mais tout le monde est occupé et je me sens invisible ; et l'invisibilité, contrairement à ce que je croyais, ne me fournit ni légèreté ni liberté. Je me sens lourde. Et je me traîne en essayant de me convaincre que je ne suis ni lourde ni invisible, ni désœuvrée, ni nulle et que je suis libre. Je n'y parviens pas vraiment.
Je ne te connais pas et je ne te dois rien mais je sais que tu possèdes un bouton d'autodestruction et je ne peux pas te laisser appuyer dessus. Pas devant moi.
Peu-être que mon cercle rouge est le plus important. Certaines personnes restent des étrangers à jamais.
La duperie fait partie de la vie.
- Vos clés. Dans le saladier avec les citrons.
- Je ne cherche pas mes clés, je ne suis pas enfermé dehors.
- Alléluia.
- Pourquoi avec les citrons ?
- Ravie que vous ayez posé la question, dis-je en souriant. Parce que vous me faites penser à un citron.
- Ce n'est pas plutôt vous qui êtes acide ?
Mon sourire s'efface.
Nous faisons tous l’expérience de la maladie. Il vaut mieux tourner la page, nous déraciner et repartir de zéro : là nous pourrons refleurir.
La chose la plus admirable, presque magique, chez Heather, est sa lucidité sur les gens, plus précisément sur la façon dont ils la perçoivent. Je vois leurs opinions se refléter dans son comportement. Elle déchiffre des inconnus comme personne. Quand elle parle avec quelqu'un qui a pitié d'elle ou qui a envie de lui tourner le dos, elle rétrécit, elle disparaît presque, elle devient une fille trisomique parce qu'elle sait que c'est tout ce que cette personne voit chez elle. Mais quand elle est en présence de quelqu'un qui se fiche bien de sa maladie, comme les enfants avant qu'ils deviennent cruels, ou ceux qui connaissent bien cette pathologie, elle rayonne, elle s'ouvre, elle devient Heather, une personne.
Je lève les yeux. Les tiens brillent d'un éclat malicieux. Je comprends soudain que ma désapprobation te plaît, et d'une manière tordue, j'aime ça aussi. Te détester m'a donné quelque chose à faire. C'est devenu un job à plein temps.
Dans mon jardin, il y a toujours du mouvement, toujours de la vie. Moi, je me sens prisonnière du temps, mais chaque fois que je sors, je vois bien que les choses changent autour de moi. Des fleurs apparaissent soudain là où il n'y avait que de minuscules bourgeons et elles me dévisagent fièrement, ravies de s'être ouvertes pendant que tout le monde dormait.