«
Un coeur pour les dieux du Mexique » de
Conrad Aiken (1994, La table Ronde, 172 p.), traduit par
Michel Lebrun de « A Heart for the Gods of Mexico » (1939)
Conrad Aiken (1889-1973) est un auteur américain, né à Savannah en Géorgie. Une demi-douzaine de romans, des nouvelles et de nombreux poèmes, dont peu sont malheureusement traduits en français, mais dont les plus connus sont «
Au Dessus de l'Abysse » traduit par Patrick Repusseau (1994, le Mercure de France, 456 p.) et «
le Grand Cercle » traduit par
Joëlle Naïm (2017, Editons La Barque, 320 p.).
Sa jeunesse se passe à Savannah, petite ville d'une quarantaine de milliers d'habitants où son père était chirurgien de bonne réputation. Mais à 11 ans, la famille se suicide suite à des déboires financiers, et c'est le fils qui découvre les corps de ses parents. Il en parle beaucoup dans « Ushant: an essay », sous-titré « Autobiographie narrative ». Il est alors élevé par une grand-tante dans le Massachussetts. Etudes dans des écoles privées et à l'école de Middlesex à Concord, MA. Il suit ensuite des cours à Harvard, ville qu'il décrit dans «
le Grand Cercle » et écrit des poèmes, pour lesquels il reçoit le Prix Pulitzer en 1930.
Roman de voyage, mais qui se déroule en train de Boston jusqu'à Mexico. Trois personnages errent ou plutôt dérivent vers le sud. Il y a là une femme qui va mourir et qui le sait, et deux hommes qui l'aiment, chacun à sa manière. Un voyage de la dernière chance si l'on peut dire, à travers l'Amérique et ses sierras « ces kilomètres et ces kilomètres d'armoise et de mesquine, les amas disséminés de figuiers de barbarie longeant la voie de chemin de fer, le cactus-candélabre, les dents de scie des montagnes de fer et cuivre se découpant sur un ciel brûlant et sans nuage ». L'intérêt du roman réside dans son lien avec celui de
Malcolm Lowry «
Au Dessous du Volcan ». C'est aussi un Bref un voyage (initiatique ? je ne crois pas) ou plutôt la recherche (désespérée ?) d'un amour (??), non pas impossible, mais irréaliste (Yvonne et le consul ?). et surtout une superbe description du paysage. « Les champs opulents se déployant en éventail, en nervures et en volutes vertes, un troupeau de vaches, un chien, des meules de foin près d'un bouquet d'arbres, une ferme en silhouette se découpant sur l'Est ensoleillé ».
Blomberg rencontre son ami Key dans l'espoir de lui emprunter cent dollars. Cette somme doit servir à un voyage au Mexique que Blomberg organise pour lui-même et deux autres amis : Noni et Gil. Noni vient d'apprendre qu'elle n'a plus que quelques mois à vivre. Il veut organiser un divorce rapide avec son mari absent depuis longtemps afin qu'elle puisse épouser Gil, un homme qu'elle affectionne depuis quelques temps. Blom est lui aussi un peu amoureux de Noni. Enfin il l'aime, comme il aime tout autant les paysages de la sierra qu'ils traversent. « Aimes tu les couchers et levers de soleil ? Ou ta propre main droite ? ». Il veut l'aider à organiser ce voyage et à garder son secret. Une fois le prêt accordé, c'est le voyage en train. Environ un tiers du livre. C'est donc un huis clos, long et douloureux. Un voyage, cinq chapitres, pendant lesquels ils vont être face à face avec la vie et avec la mort en toile de fond.
Tout débute donc en train de New York à Boston où il rentre. Il est très anxieux à la pensée que sa femme a une liaison avec un autre homme et qu'il pourrait le découvrir. Cela ne traine pas, et à son retour chez lui, il découvre que ce qu'il craignait. L'homme et sa femme ont une scène. Retour en flash-back sur son enfance d'adolescent dans une station balnéaire, où il découvre l'infidélité de ses parents. Il en garde le secret. le quatrième chapitre est véritablement une bizarrerie de la littérature psychanalytique. Il arrive à l'appartement de son analyste ivre, à 1 heure du matin. L'alcool aidant, son analyse commence, avec une logorrhée verbale longue et créative. Tout cela en face d'un analyste qui souffre depuis longtemps de sentiments douloureux et de problèmes d'alcoolisme, lui aussi. le tout est très soft alors que les deux personnages boivent et reboivent. L'analyste finit par s'endormir. Dans le chapitre suivant, il rencontre son ex-épouse, ils ont une conversation ambiguë et il part passer quelques jours seul à la station balnéaire où se sont produits les événements tragiques de son enfance.
Freud était un admirateur des romans de
Conrad Aiken. Il a notamment décrit ce livre comme l'un de ses romans préférés. Réciproquement, Aiken s'est intéressé à
Freud et ils ont correspondu. Résultat, Aiken est parti pour l'Angleterre en bateau dans l'espoir de se faire analyser par Freud On se souvient du traumatisme vécu par le gamin, à 11 ans, à Savannah, quand sa famille se suicide suite à des déboires financiers. C'est le fils qui découvre les corps de ses parents. Il en parle beaucoup dans « Ushant: an essay » (1972,
Oxford University Press, 376 p.), sous-titré « Autobiographie narrative ». Il est alors élevé par une grand-tante dans le Massachussetts. Par chance,
Eric Fromm était sur le même navire et lors de la traversée, Fromm a persuadé Aiken que c'était une mauvaise idée. Donc, Aiken et
Freud ne se sont jamais rencontrés, bien qu'Aitken ait vécu quelques années en Angleterre.
C'est finalement un chef-d'oeuvre de psychologie impressionniste, le premier roman d'Aiken paru en français, est comme un long soupir intimiste de trois êtres pathétiques