Je dois avouer que je n'ai pas été très emballée par ce récit que j'ai trouvé un peu long à démarrer, assez technique et moyennement accessible sur le plan des théories biologiques et artistiques, et à l'écriture le plus souvent neutre, en retrait, trop explicative et manquant d'élan romanesque à mon goût.
Ceci dit, l'histoire de ce peintre allemand n'est pas dépourvue d'attrait, entre sa découverte parfois contemplative parfois (très) aventureuse des paysages et us notamment argentins, quelques réfléxions sur l'art et sur sa production etc.
Le titre indique bien que le récit tend vers un épisode spécifique de la vie du peintre donc on trouvera assez peu de développement sur sa vie d'avant et aucun sur l'après. Cela m'a laissée un peu sur ma faim. J'aurais apprécié que l'auteur évoque davantage sa collaboration avec l'explorateur Humboldt par exemple.
Il semble que cette oeuvre ait surtout pour objet une réflexion sur l'art à travers l'exemple de l'expérience particulière de ce peintre-ci.
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Silhouettes hautes et fines semblant chevaucher des girafes, visibles malgré l'obscurité, ils étaient aspirés par des espaces successifs, de plus en plus lointains, et s'infiltraient dans les interstices gris de tout ce noir. L'écho de leur galop les précédait et leur revenait en les prévenant des obstacles. En cela, ils ressemblaient aux chauve-souris. Mais ils ne se contentaient pas de leur ressembler, ils les frôlaient, car c'était l'heure où les chauve-souris, qui pullulaient sur ces coteaux, sortaient de leurs grottes. Il est très rare de sentir le frôlement d'une chauve-souris, vu que ces petites bêtes sont dotées d'un mécanisme antichoc infaillible. Mais le frôlement n'est pas un choc, et dans de telles occasions, c'est la vitesse qui est en cause. Ce fut ce qui arriva à Rugendas. Une chauve-souris qui venait en sens inverse lui caressa le front. A peine un centième de seconde ; on aurait pu la confondre avec le souffle d'une brise ou avec l'excitation ponctuelle d'une cellule. Mais la légèreté était suprême ; rien ne pouvait lui être comparé, en raison de la mécanique qui la produisait, et surtout de la matière sur laquelle elle s'exerçait : un front dont toutes les ramifications nerveuses étaient déconnectées. Que rêver de plus doux, de plus subtil ? p 80
Voyage et peinture s'entrelaçaient comme les fils d'une corde. Les dangers et les obstacles terribles du chemin se métamorphosaient à leur passage, puis retournaient au néant. Terrible était le mot : on avait du mal à croire que ce fût un chemin, parcouru presque à longueur d'année par des voyageurs, des charretiers et des commerçants. Une personne normale l'aurait pris pour un dispositif de suicide. Vers le centre, à deux mille mètres d'altitude, au milieu de sommets perdus dans les nuages, le chemin cessait d'être un passage entre deux points et devenait simplement l'issue de tous les points à la fois. Lignes abruptes aux angles impossibles, arbres poussant à l'envers sur des toits de roche, ravins plongeant dans des rideaux de neige, sous un soleil de braise. Lances de pluie plantées dans de petits nuages jaunes, agates gantées de mousse, aubépines roses. Le puma, le lièvre et la couleuvre étaient l'aristocratie de la montagne. Les chevaux s'ébrouaient bruyamment, ils trébuchaient, il fallait faire halte ; les mules étaient constamment de mauvaise humeur. p 17-18
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