PFFFFF !…
(Pendant un long moment, j'ai pensé que je n'allais écrire que ce pfffff !… tellement cela résume bien ce que je pense et ce que j'ai à dire de cet écrit.)
Oui, c'est vrai
Anna Akhmatova a vécu une période horrible :
la guerre, le communisme de Staline et sa répression de plomb, les morts, les déportations, les tortures, les proches — dont son fils — qu'on voit tomber emportés par la folie d'une époque…
C'est vrai tout ça. C'est vrai aussi que la férule communiste, la répression d'État, le contrôle politique et la censure étant à leur maximum, il était à peu près impossible d'écrire quoi que ce soit signifiant moindrement une opposition au régime et à sa politique. Tout cela est vrai et bien connu, et on ne peut que le déplorer pour tous ceux qui ont connu cela et qui le connaissent encore dans toutes les bonnes petites dictatures de par le monde, Corée du Nord, Biélorussie, Kazakhstan et bien d'autres encore…
Mais passé ce constat, reste quand même le pfffff !… car quand un écrit vous semble pénible à lire, quasi impossible à comprendre sans une exégèse adaptée dans bon nombre de ses (éventuelles) significations, d'un intérêt somme toute limité, d'une beauté littéraire et poétique discutable et d'un potentiel politique proche du néant, il peut y avoir quelques questions à se poser.
En soi, écrire de la poésie pour dénoncer
la guerre ou la tyrannie m'a toujours semblé absurde et vain. C'est un peu comme si d'un air décidé et revendicatif je prenais la décision courageuse de tisser de la dentelle pour signifier de manière claire, convaincante et faisant poids ma dissidence à un conflit.
Mais qu'est-ce qu'ils en auraient à foutre de ma dentelle ! Comme ils me la renverraient à la gueule ma dentelle, avec, en prime, un petit éclat de mortier à l'intérieur et une bastos pour le même prix, histoire de la rendre plus consistante.
Je devrais peut-être essayer avec Daesh, on ne sait jamais ? « Tenez les terroristes égorgeurs et coupeurs de têtes, je vais vous écrire un p'tit poème pour vous stipuler que je ne suis pas d'accord avec votre barbarie. Je la condamne vigoureusement et ce poème en atteste ! »
Ou pour notre brave petit Netanyahou : « Bon écoutez Tsahal, voici un sonnet pour vous afin que vous preniez conscience que les bombes au phosphore, ça fait pas de la besogne jolie, jolie sur les Palestiniens. »
« Tenez les tortionnaires du monde entier, voilà encore un beau quatrain rien que pour vous car, sans langue de bois aucune, je vous trouve méchants, méchants. Ouhou ! Sales bêtes ! Vade retro ! »
Franchement, de vous à moi, c'est débile, non ? Je comprends pleinement la démarche d'un Tynianov dans le
Lieutenant Kijé, d'un
Boulgakov dans
le Maître Et Marguerite, d'un
Soljenitsyne dans
L'Archipel du Goulag ou d'un
Zamiatine dans
Nous autres.
Mais, très sincèrement, malgré tout le respect que je vous porte, très chère
Anna Akhmatova, écrire ce
Poème Sans Héros, un texte aussi clair que du jus de boudin auprès duquel les messages codés de Radio Londres feraient presque office de limpidité, un texte d'une poésie que malgré tous mes efforts, je n'ai pas réussi à débusquer, là, je reste coite, un brin songeuse et au degré zéro de l'émotion, moi qui aime pourtant tellement l'émotion contenue dans ces quelques grammes de phrases, dans ces portions de mots, de sons, de chansons qu'on appelle ordinairement poésie.
Alors, oui, c'est vrai, à de rares et brefs instants, il m'est arrivé de trouver une triade de vers plaisants, mais si déconnectés du reste, tombant tellement comme un cheveu sur la soupe qu'ils ne suffirent absolument pas à étancher ma soif.
Je ne pense pas qu'il soit besoin d'en dire beaucoup plus, vous aurez compris mon point de vue, qui est qu'un écrit de type témoignage aurait probablement eu beaucoup plus de portée (
Anne Frank ou
Primo Levi ont fait ça admirablement), mais un point de vue qui, je le répète une énième fois, n'est que mon point de vue, c'est-à-dire, bien peu de chose, mais un peu de chose assez éloigné de tout ce que j'avais pu lire au préalable sur cette poétique incomparable.
P. S. : Ce n'est pas tout à fait un hasard si je rédige cette critique aujourd'hui, 8 mai 2015, soixante-dixième anniversaire d'un armistice majeur qui a mis fin à un certain nombre de barbaries, lesquelles barbaries avaient eu le temps de moissonner beaucoup trop de poètes anonymes, pas des héros, juste des hommes, qui n'avaient rien demandé et qui sont morts pour rien, juste parce que quelques-uns, en haut lieu, en avait décidé ainsi.