Dès qu'on entre dans le livre de
Coralie Akiyama, on ne le quitte plus. Ce roman joue sur la veine fantastique pour nous séduire, mais à y regarder de plus près, il est avant tout un impitoyable réquisitoire contre notre société.
Dans le premier tiers du livre, on ne sait pas trop si l'héroïne est atteinte de troubles psychiatriques, comme ses parents le croient, ou si au contraire elle a accès à un autre monde, peuplé de créatures étranges. En tout cas, elle entend des voix et parle avec des êtres surnaturels en souffrance, qu'elle tente d'aider en bonne thérapeute qu'elle est. Mais est-ce elle qui perd la raison ou ces êtres surnaturels existent-ils vraiment ?
A ce stade déjà cette ambiguïté enchante le lecteur, car les « visions » de l'héroïne peuvent se comprendre comme une métaphore de l'art en général et de la littérature en particulier. le propre de tout artiste n'est-il pas d'avoir accès à un monde différent, issu de son imaginaire ? Un monde que le commun des mortels ne comprend pas toujours.
L'albatros de
Baudelaire n'est pas loin.
Pourtant, en poursuivant notre lecture, on doit se rendre à l'évidence : les êtres surnaturels qui viennent demander secours à l'héroïne existent bel et bien. Mais alors que dans les romans fantastiques classiques ces êtres sont doués de pouvoir fabuleux et surnaturels, ici ils sont plutôt malades et en souffrance. Un peu comme nous, finalement, victimes de notre société de consommation déshumanisée.
Et c'est là que le roman devient vraiment intéressant, car derrière une histoire drôle et un peu insensée, il nous fait réfléchir sur nous -mêmes et sur le monde cruel dans lequel nous vivons. En effet, petit à petit, on se rend compte que si les êtres surnaturels sont malheureux et déstabilisés, c'est qu'ils sont sous le contrôle d'une famille puissante qui a pris insensiblement mais sûrement possession du monde. Ca ne vous fait penser à rien ? Cette prise du pouvoir par quelques privilégiés surpuissants renvoie manifestement à la mondialisation que nous connaissons et au pouvoir démesuré que quelques milliardaires ont pu prendre à nos dépens. S'arrangeant pour contrôler tous les rouages, ne nous ont-ils pas transformés en robots obéissant à leurs ordres ?
Ces robots, on les découvre dans le livre, car ils sont de plus en plus nombreux à remplacer les humains, avec lesquels on les confond. Il faut donc exiger un certificat pour prouver qu'on est bien humain, ce qui nous fait irrémédiablement penser au pass sanitaire qui vient d'être imposé dans la crise du Covid. Et pourtant ce roman est sorti en février 2019, soit avant que la planète n'apprenne l'existence du virus, ce qui signifie que la romancière a eu là un véritable don de voyance.
A travers les dialogues des personnages, c'est toute la société française que l'on découvre. L'assurance du père, qui a une opinion tranchée sur tout, la soumission de son épouse, qui a renoncé depuis longtemps à lui tenir tête, la disparition de la fille aînée, qui a préféré couper les ponts avec sa famille bourgeoise et ses lieux communs. Enfin il y a Célia, l'héroïne, en marge du monde, la plus humaine et la plus sensible, la plus étrange aussi aux yeux des siens, et qui ne parviendra pas à inverser le cours des choses, car c'est bien connu, le monde appartient à quelques puissants qui dirigent nos destinées à notre insu.
«
Féérie pour de vrai » (ce titre un peu énigmatique prend tout son sens une fois qu'on a refermé le livre) se présente donc comme un miroir implacable de notre société contemporaine et c'est finalement notre propre image qu'il nous renvoie, une image inquiétante et troublante. Mais si le thème est sérieux, l'histoire se lit facilement, car le style, ample et classique, nous entraîne dans un tourbillon ininterrompu qui tient le lecteur en haleine jusqu'au bout.
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