Citations sur Il faut se méfier des hommes nus (23)
J'avais oublié qu'ici on se tutoie , quoi qu'il arrive, tu tutoies et c'est tout . Même le président , tu le tutoies .Ça fait plaisir aux touristes . Oh, tu as vu , ces bons sauvages, tellement chaleureux, à dire "tu" tout de suite, c'est bien , c'est accueillant, ça supprime la distance, ça met sur un pied d'égalité . Ce "tu" prend dans leur bouche une si noble simplicité que l'étranger se croit instantanément leur ami . Il se croit entré dans le cercle de la famille. Il a tort .
Mais je me contente d'axer sur l'attirance de Brando pour Tahiti et les Tahitiens, les bons métèques qui le sauvent d'Hollywood, sur son amour sincère pour cette île. C'est ce qu'il a de plus émouvant . Cet amour inconditionnel. Il n'a jamais aimé une femme, mais il aura aimé une île. Amen.
"Fiu" est un mot qui veut tout dire . Ou plutôt , qui veut dire tout ce qui est déplaisant . Tristesse, mélancolie, fatigue, lassitude, ennui, chaleur, nausée, nostalgie. Le "fiu" est l'état dans lequel les Tahitiens vivent en permanence . Il suffit de contempler la mer, les vagues, les cocotiers et de laisser le "fiu" s'emparer de soi . Un "fiu" plombant comme une ancre de baleinier. Quand on est "fiu" , on ne peut rien faire, si ce n' est boire un coup en attendant que ça passe,
En dépassant Faa'a, elle pointe son doigt vers la mer, une île est née. Un petit bout de roche sorti des eaux, comme au Japon.
- Tu sais ce qu'ils font avec ça ?
- ...?
- De la drogue.
- On fait de la drogue avec tout, ici.
- Ils synthétisent la roche volcanique. Ils appellent ça myth. Dément . Un mélange entre meth et mythe. Futé .
Dans la passe, une baleine. Tous les passagers poussent des Oh et des Ah. C'est la mère qui aurait été contente . Les baleines , ça la transporte, nager avec elles, c'est peut-être la seule expérience qu'il faut faire avant de mourir, dit-elle souvent.
L'une des occupations favorites de l'île et d'en faire le tour . On tourne en rond sur la côte pendant 130 km, on s'arrête dans les districts, sur la plage, on en découvre les vallées et les lagons. C'est tout et rien, Tahiti, une minuscule île perdue dans un océan immense, bercée par la nonchalance des êtres et de la nature, un silence sépulcral.
Il est minuit aujourd'hui . A Tahiti, il est midi, hier . Avec le décalage , je pourrais être morte ici et vivante là-bas .
On passe devant des églises, une adventiste, puis une pentecôtiste, des temples, des témoins de Jéhovah. Il y en a pour tous les goûts. Jamais on aura vu pires affamés de nourritures divines . Est-ce un résidu de leur passé polythéiste ? Les Tahitiens adorent croire ( ...).
Le fait est que le sable de la pointe Vénus, à coté de chez nous, est noir . Ils ne veulent pas de sable noir. Ça fait faux. Ça fait pas Tahiti.
Comme Marlon, j'ai l'impression que si j'arrête de baiser, le monde va me tomber sur les épaules. Je connais le mécanisme de la frénésie sexuelle. et, comme Marlon, le sexe opposé ne suffit pas à assouvir autant de haine de soi .Il me faut tout le monde, tout le temps. Sucer, avaler, sucer, oublier. et recommencer . Je me suis spécialisée dans le sexe punitif, vomitif, expéditif et amnésique . Je retourne le couteau dans la plaie aussi souvent que possible. On m'a surnommée la madame Bovary des DOM-TOM, prête à tout pour tromper son ennui, la mante religieuse de l'est parisien, on m'a dit que mon corps dévorait mon âme. Faux . Je vis simplement à côté de lui. Et j'ai beau trouver refuge dans la dépravation et rechercher dans cette chute l'ivresse des profondeurs, mes aspirations à une humanité digne de ce nom demeurent intactes.