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Critique de dourvach


羅生門 : "Rashômon et autres contes" de 芥川龍之介 : AKUTAGAWA Ryūnosuke, né en 1892 et disparu en 1927 à Tokyo.

Un recueil de quatre nouvelles traduites du japonais en 1965 par 森 有正 : MORI Arimasa (1911-1976) ; extrait repris par l'éditeur Gallimard en 2003 pour sa collection "Folio 2 €" d'un recueil éponyme plus conséquent de la collection "Connaissance de l'Orient" pour le compte de l'UNESCO et où figurait une longue préface du traducteur - en 1965, donc .

Allons-y...

(1°) "Rashômon" [1915] est situé en des temps médiévistes de famines, de guerres et d'épidémies est une plongée dans un enfer ordinaire de misère et de mort. "L'argument" ? Un pauvre hère se réfugie sous le portail ou la Porte Rashô et reste là "à attendre une accalmie de la pluie". Il a faim. Hésite entre se faire voleur, assassin ou mettre fin à ses jours sans espoir. C'est aussi la (superbe) introduction du magistral film éponyme de 黒澤 明 KUROSAWA Akira, oeuvre surgie en 1950 qui révéla pour l'Occident la maîtrise de la mise-en scène du génial artisan tokyoïte (1910-1998) et se vit décerner la statuette très orientaliste du Lion d'Or à la "Mostra" festivalière de Venise. Revenons au pauvre hère : il monte à la galerie (où l'on se débarrasse des cadavres en ces temps troublés) ; il tombe sur un bien méchant spectacle... Sans pitié, comme pour se venger de toutes ces horreurs, il rudoie sa victime pour lui voler sa loque et pouvoir la revendre. Nous sommes à la fois au Cabinet des Figures de Cire et aux antichambres de l'Enfer... Avec un petit côté "Nosferatu" (incarné par l'inoubliable Max Schreck, 1879-1936) mis-en-lumières par Friedrich Wilhelm MURNAU... "Morale" ? Il n'y en a pas... Quand c'est "l'enfer-sur-Terre", on se débrouille, n'est-ce pas ? On se souvient du calvaire de "The Road" (2009) de John HILLCOAT, adaptation proprement "infernale" du roman de Cormac McCARTHY (2006)... L'écriture est clinique et nous donne tout simplement à voir (comme dans les premiers films de Wim WENDERS), à éprouver... Et on ne juge pas. On comprend... Bref, du pur SIMENON (Georges) ou tout comme... Pieds nus dans la glèbe et le limon de cadavres.

(2°) "Gruau d'ignames" [1915] nous donne à éprouver de la compassion pour un autre être pitoyable : un gars qui n'a rien pour lui. Bout du nez rouge et ombre de moustache. Il vivait lui aussi dans "L'Ancien Temps" (entre l'ère de Gangyô et celle de Ninna, à l'époque de Heian dite du "Règne Impérial") ; ce personnage y exerçait les fonctions d'un officier de la cinquième catégorie ou plutôt "du cinquième rang". Un gars que tout le monde méprise. Vraiment tout le monde. Sa femme le trompe avec un moine alcoolique. On urine dans sa gourde de saké (à armature de bambous). Tout le monde, sauf un : qui cherche à comprendre ou deviner le secret de cet homme "sans qualités" (apparentes) et lui donnera satisfaction en une étonnante chasse au trésor hivernale, au long de descriptions de nature magnifiques de sensorialité proprement cinématographiques... Allons, ne dévoilons pas ou plutôt "Ne divulgâchons point !" [responsabilité de la source de ce néologisme : Gaston et Alfred Croisière, co-auteurs de la chronique "Cinéma" avec leur papa Thomas, in "Par JupiClasse", radio de Service Public "France-Inter", tous les mercredis de 17 h 50 à 17 h 55].

(3°) "Figures infernales" [1918] : tirée d'une chronique ou "anecdote" du 今昔物語集 "Konjaku monogatari shū" écrite vers la fin du XIème siècle, lors de la période 平安時代 Heian, il s'agit de la genèse secrète d'une Géhenne artistique — celle du "Paravent aux Figures Infernales" du peintre de maudit Yoshihidé à la physionomie simiesque. Il exerce ses talents à la Cour du Seigneur de Horikawa. Il y a un autre singe dans l'histoire. Et une fille sensible à la peau de Lune (ou d'ivoire) : la propre fille adorée du peintre cruel. Dois-je vous en dire plus ? Dix-huit chapitres évoluant lentement dans la dynamique d'une menace sourde au suspense magistral. Une équation à quatre composantes : la cruauté et le cynisme d'un "Seigneur" s'additionnant à l'inconscience et l'inhumanité d'un artiste et père auxquels se soustraient la fidélité d'un quadrumane persécuté et le destin atroce de la victime expiatoire de toute cette sombre bêtise machiste...

(4°) "Dans le fourré" [1921] : est la suite du futur scénario du "Rashômon" de KUROSAWA Akira, située dans la clairière de la forêt de Yamashina, entre pins et bambous. "Où est la Vérité, noms de Dieux ?"... ou même "Où est la Réalité ? Vite, sortez-moi de là !" , ainsi que l'exclamait, affolé, l'un des personnages de "gamers" à la scène finale du génial "eXistenZ" (1999) de David CRONENBERG... le poète جلال‌الدین محمد بلخی : Djalâl ad-Dîn RÛMÎ (1207-1273) nous rappelait bien que "La Vérité est un miroir tombé des mains de Dieu" ("Al-Lâh" : le "Lui"), chacun en ramasse un morceau et crie qu'il tient là toute la vérité... alors que cette Vérité (si elle existe) est telle une toile d'araignée couverte de rosée étendue entre tous les humains...
Ici, pas moins de six entrées-en-matière successives pour une seule mort à élucider : auprès du Lieutenant de la "Crim" de l'époque (qui n'apparaît pas à l'écran des pages blanches) se suivent la déposition initiatrice d'un bûcheron (incarné par le bon 志村 喬 : Takashi Shimura dans le film d'A. K.), puis celle d'un moine itinérant, celle d'un informateur-mouchard-"balance", celle d'une "vieille femme recueillant sa fille "rescapée d'une épreuve", puis les "AVEUX DE TAJÔMARU" (une fieffée crapule, vantard incarné avec brio par l'acteur 三船 敏郎 Toshirô Mifune pour le film d'A.K. dans un registre histrionique sautillant et criard toujours savoureux), la "CONFESSION D'UNE FEMME VENUE AU TEMPLE DE KIYOMIZU" (qui est la pauvre victime, encore secouée)... enfin, le "RECIT DE "L'OMBRE" PAR LA BOUCHE D'UNE SORCIERE".
Bref, avec Akutagawa, le lecteur finira par tirer les vers (ou les asticots) du nez de cette humanité, mortelle et si prévisible, s'attribuant toujours "le beau rôle" à seule fin de cautionner et faire oublier ses petites saloperies quotidiennes, bien ordinaires...
Sauf que le défunt (de là où il parle, là où il est) n'a plus rien à perdre. Il se vengera par la bouche de la sorcière (fabuleuse scène de transe dans le film de KUROSAWA, avec le personnage de Tajômaru, accroupi et ligoté en arrière-plan, assistant à l'impressionnante "Danse avec les morts"). Avec un "Who-dun-it ?", ce misérable détail de l'intrigue sherlockholmesque contenue dans le propos d'outre-crémation du principal lésé : de QUI le mort tient-il absolument à se venger en nous révélant "sa" vérité ?

Allons, "Ne divulgâchons point" à nouveau les ressources narratives des extraordinaires nouvelles du "clinicien"/conteur AKUTAGAWA Ryûnosuke [... et apprenons tous à prononcer son nom d'une traite...]. L'art littéraire façonné par cet homme (d'un perfectionnisme "maladif" selon le préfacier Jacques Dars) se révèle d'une essence proprement CINEMATOGRAPHIQUE.

Ce gars était un chantre et fieffé praticien de la souffrance humaine ; chapeau, l'artiste ! Mais pourquoi "diable" (de cyanure !) avoir choisi la Voie du Suicide en vos trente-et-cinq printemps ?

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