Quelle découverte ! Ce livre saoudien nous plonge au coeur d'un système d'exploitation de l'homme par l'homme assez glaçant, où l'esclavage et l'abus de l'autre sont érigés en normes. On suit les vies de 3 hommes qui se croisent à Ryad au gré de leurs mésaventures.
L'auteur montre à voir une image sombre et sans fards de la vie dans la capitale du Golfe, c'est très instructif.
Je découvre la littérature saoudienne avec ce livre.
Commenter  J’apprécie         40
Ils s'embusquaient dans les ténèbres du désert, derrière une butte ou un rocher, sous le tronc d'un gros acacia ou sous le feuillage d'un lyciet, non loin du passage de la file de dromadaires, et se mettaient à émietter la nuit noire à coups d'histoires de déserts, de batailles et de femmes; jusqu'au moment où Turad, flairant l'odeur d'une caravane qui cheminait à plusieurs lieues de là, disait à son compagnon qu'il sentait les dromadaires et les hommes.
Comment ces gens qui vont faire le pèlerinage peuvent-ils commettre de telles atrocités ? A quelle sorte de pèlerinage aspirent-ils donc ? Ils m'ont arraché du giron de ma mère pour me voler et me faire entrer dans ce pays en prenant le pèlerinage pour prétexte. Toi, Turad, tu as perdu ton ami Nahar et ton oreille, et depuis tu conçois encore beaucoup d'animosité pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à un pélerin. C'est donc comme ça qu'ils s'y prennent pour faire un pèlerinage sincère, sans souillure, loin de toute perversion, pour revenir auprès des leurs blancs comme neige, absous de tous leurs péchés, et leurs efforts agréés par Dieu ? De quels efforts et intentions pures pourraient-ils bien être récompensés, eux qui ne font qu'attenter à notre âme et à notre dignité ?
Il se disait que rien n'était plus facile pour un de ces types-là que de le ramasser et le jeter dans un hôpital psychiatrique où personne ne viendrait jamais le chercher. Cela faisait de longues années que personne ne s'était plus enquis de lui. Il était devenu une sorte de plante sauvage luttant seule, bien seule, contre vents et sécheresses, il était encore plus solitaire que le shafallah, cet arbrisseau menu toujours à la merci du dromadaire qui, errant loin de son troupeau, viendra le broyer entre ses grosses molaires, ou du nomade qui, dans le froid mordant de la nuit, le fera brûler pour éclabousser son corps d'une chaleur salvatrice.
Les bêtes dévalaient du haut de la rampe en ponctuant leur dégringolade de bêlements et de cris. Les portefaix descendaient ensuite des malles scellées, dont certaines étaient remplies de maroquineries ou d'herbes médicinales en provenance du Kordofan, d'autres de ces épices et bois de santal Indiens qui se vendent sur le souk de Shendi, et d'autres encore, plus petites mais tout aussi lourdes et soigneusement cadenassées, d'or éthiopien. Il y avait aussi là, vêtus de tenues de pèlerin, des esclaves femmes, hommes et enfants, qu'une fois les cargaisons déchargées, on sortait des cales et menait en file indienne à la poupe.
On connaissait le désert par cœur, comme tout un chacun connaît sa propre main, on connaissait ses lignes, ses ergs, ses dunes, ses reliefs, ses artères, comme si on regardait dans notre paume. On savait exactement où se trouvaient les oasis, les sols où s'écoulent les eaux de pluie, les rivières souterraines et les dépressions humides. Les tertres et les étoiles étaient nos guides, dans notre course, on distançait les loups, on disputait leurs antres aux hyènes, on choisissait les meilleurs puits naturels pour y passer une nuit ou deux.