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Critique de latina


Cela m'a embêtée toute ma vie de ne pas être comme tout le monde.
J'aime les hommes et les femmes qui ne trouvent pas leur place dans la culture dominante, les étrangers ici comme partout, accidentés de la vie et de l'âme.
J'apprécie la nostalgie.
J'apprécie aussi l'ironie.
Je suis emplie d'une solitude byronique sans avoir aucun des deux exutoires du poète : le génie et l'adultère.

Voilà ce que – entre autres – proclame Aaliya, 72 ans, ancienne libraire et libre traductrice depuis cinquante ans.
Femme tout à fait à part, mal mariée (« le crétin que j'ai épousé, bénie son âme rance. Vous pouvez ajouter le manque implicite de sens de l'humour et de l'honneur, l'incapacité de gagner un revenu, l'art de se satisfaire de son analphabétisme manifeste et d'être un pleutre congénital ») puis répudiée.
Mal-aimée par sa mère et ses demi-frères.
Grande amie d'Hannah, l'attachante Hannah.
Amoureuse des livres qu'elle chouchoute, lit à haute voix à son amie, traduit pour elle-même et remise dans la salle d'eau.
Grande amatrice de musique classique.
Un peu (beaucoup) asociale.

Elle est vieille, maintenant, et elle nous raconte avec verve et vérité ses passions, ses emportements, sa tendresse pour sa ville, Beyrouth, maintes et maintes fois blessée par ces conflits qui l'ont traversée (« J'aime beaucoup la citation de Mark Twain : L'histoire ne se répète pas, mais elle rime »), ses colères envers son ex-mari et sa mère, le tout entrecoupé d'anecdotes de sa vie quotidienne, entre les maux de dos, les problèmes de coiffure et les relations avec ses voisines.
Humour, autodérision, enthousiasme et coups de cafard se mélangent pour former un cocktail détonant où la sagesse prédomine : « La fiabilité renforce-t-elle notre illusion de contrôle ? Si c'est le cas, je me demande si dans les pays développés (je n'utiliserai pas le terme détestable de « civilisés »), le processus de vieillissement perfide et briseur d'illusions, n'est pas plus difficile à supporter ».

J'ai savouré en prenant tout mon temps chaque ligne de cette relation sans détours d'une vie remplie de désillusions mais envisagée avec sagesse. Voici d'ailleurs ce qui le prouve, et je vous laisserai à votre tour déguster les propos de cette vieille dame inventée par Rabih Alameddine :
« J'ai lu un poème sur le bonheur d'Esward Hirsch qui se termine par ces vers : « Ma tête est comme une lucarne, mon coeur est comme l'aube ». Je pense que parfois, pas tout le temps, quand je traduis, ma tête est comme une lucarne. Sans effort de ma part, je suis visitée par le bonheur. Parfois je me dis que cela suffit, quelques moments d'extase, dans une vie d'un ennui à la Beckett.
Durant ces moments, je ne suis plus comme d'habitude, cependant je suis totalement moi-même, de corps et d'esprit. Durant ces moments, je suis guérie de toute blessure. Je suis où il faut que je sois. Mon coeur se distend avec délice. Je me sens sacrée ».
En lisant ce roman, c'est exactement ce que j'ai ressenti.
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