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Critique de Soukiang


Quand on rencontre sa moitié, le destin ou le hasard, un pas après l'autre, jour après jour, la vie prend radicalement une direction différente, tous les espoirs sont permis, des étincelles plein les yeux, les respirations s'accélèrent, découvrir enfin les joies de l'amour et de la félicité, de partager des moments intimes, de regarder dans la même direction, la confiance devient aveugle, l'amour embrase les passions, le temps est comme ralenti, les délices du plaisir se multiplient, les projets se précisent, à commencer par le mariage ...
Pour Louise, le rêve devient une réalité quand elle confirme officiellement son union avec René, pour le meilleur et pour le pire ...

Je suis très honoré et chanceux d'avoir reçu ce premier roman lors d'un concours organisé par l'auteur, trois recueils de poèmes sont déjà sortis sous sa plume.
Cette première incursion dans la fiction est une réussite dans tous les sens du terme et je vais vous expliquer pourquoi je lui attribue un coup de coeur mérité❤️

Cette histoire de Louise et René prend racine au début des années 60, le pays panse ses plaies, l'économie se développe, la nation se redresse, l'importance de situer cette époque résulte de plusieurs facteurs essentiels pour comprendre, pour se projeter dans cet après-guerre, dans cette société où les conventions sociales et les moeurs rigides font bon ménage, les places au sein du foyer sont programmés, le mari travaille, la femme qui devient mère reste à la maison, aucune tergiversation, pas de palabres, le débat est clos.

La construction et l'évolution de l'histoire vous semblera linéaire au premier abord mais tout le talent de l'auteur est d'arriver à harponner le lecteur avec des chapitres courts, à maintenir un intérêt croissant par le biais de petits poèmes en rime pour accentuer une parole, cette petite voix silencieuse qui en dit long, qui hurle du plus profond de ses entrailles, qui pleure, qui réclame, qui gémit, qui subit, qui donne sans recevoir, qui est humiliée, qui est punie, qui cherche à s'échapper, qui s'accroche désespérément aux liens sacrés du mariage, parce que cette voix, c'est aussi celle de toutes les autres ...

Une histoire qui prend alors une résonance universelle, dans une actualité toujours brûlante de nos jours, le combat continue, il ne se passe une semaine sans que les faits divers tragiques relatent des histoires sombres et tristes, la fatalité, le destin, La femme muette est une fiction mais pas que ...
La souffrance est physique, morale, à moins d'avoir une coeur de pierre, comment ne pas partager la peine de Louise, la comprendre dans son combat quotidien, dans cette lutte inégale, pour l'amour des siens, par respect de la morale chrétienne et des règles sacrées d'une société conservatrice, l'auteur ne prend pas de parti-pris, il nous expose sans ménagement les tourments d'une personne en butte d'abord contre elle-même et ensuite avec les siens.
Cette promiscuité dans le périmètre contraint et renfermé, dans cette prison mentale et pas si dorée en apparence, l'ombre et la lumière, cette atmosphère étouffante se ressent dans cette léthargie, dans cette blessure secrète et profonde, l'incapacité et l'impuissance d'affronter son courroux, jusqu'où une personne peut-elle aller par amour ? Qu'est-ce qui peut encore motiver une personnage à passer l'éponge jusqu'à la prochaine fois ?

"Un seul mensonge découvert suffit pour créer le doute sue chaque vérité exprimée"

En suivant le parcours de René et Louise, l'auteur nous invite également à revivre quelques-unes des grandes dates de l'histoire de la France, cela renforce l'authenticité des séquences dans un cadre familier, c'est une histoire aux relents de tragédie familiale et pourtant, jusqu'au bout, on a envie de croire, l'apparition miraculeuse d'une main providentielle qui viendrait remettre de l'ordre dans ce chaos, la présence des enfants comme un caisson de sécurité, la société qui suit des trajectoires diamétralement opposées dans les bouleversements politiques et socio-économiques, l'histoire vous prend aux tripes, vous donnera à vous poser des questions fondamentales sur la nature humaine, ce qui peut unir et désunir des êtres "fait pour vivre ensemble", le passage du temps, l'ère des machines pour légitimer des absences, pour faire fructifier le mensonge toujours plus loin dans la spirale des illusions, des rêves évaporés à jamais, la psychologie des personnages est poussée dans les plus bas instincts, dans des sprints empreints de douleurs cachées et de pardons impossibles, la redemption d'une personne peut-elle se payer au prix fort et par amour dévoué à l'extrême ?

L'impossible peut-il se métamorphoser en juste cause ou raison ? Des mirages de la vie vont laisser place à cette descente aux enfers et d'un couple au bord du gouffre, les alliances nouvelles et éternelles a-t-on coutume de répéter, l'effilochage charnel se veut sournoise, palpable mais sans pitié aussi, sans coussin d'oxygène pour la bonté ou la gentillesse, la société participe-t-elle également à cette mise en abîme et sans rémission ?
La pitié inspirée, le dévergondage, la pudeur du roman dans sa description implacable et presque clinique d'une survivante, d'une âme meurtrie, cette part de résilience et de situations anxiogènes comme un ultime bras d'honneur à la vie, le malheur des uns peut faire le bonheur des autres, la résistance physique et morale a ses limites tout en exposant le sujet à des ressources inespérées, des éclairs de clairvoyance ou de mise en danger d'autrui pour stigmatiser encore plus les forces à l'épreuve.

"Ils disent de suivre ton coeur, mais si celui-ci est en mille morceaux, quel morceau dois-tu suivre ?"

Se dévouer corps et âme, se libérer des griffes tentaculaires d'une existence morne et triste, l'horizon prend alors des allures d'une faille susceptible de basculer définitivement dans les abysses, la compassion en est alors démultipliée, l'outrancier se dispute à l'insidieux, à cette mise en échec d'une mariage sous haute tension dramatique, Louise trouvera-t-elle le chemin de la paix et d'avoir la capacité d'écouter encore sa voix intérieure ?
D'espérer assister à une nouvelle aube crépusculaire, à traquer sans relâche cette part infime d'espoir, de rebondir, d'étouffer l'oeuf dans le panier, de crever l'abcès, une histoire qui vous ne laissera pas indemne, sans voix, l'émotion se répercute dans le coeur, dans cette tranche de vie qui déboussole, qui laisse un arrière-goût amer à la limite du supplice, faire le deuil d'une personne est un long et vertigineux chemin de croix, de sortir des ornières ou des sillons n'est pas sans risque.

Un premier roman auto-édité qui m'a touché dans cette terrible histoire, il était une fois René et Louise, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants, peut-être ou ... pas. L'auteur a un talent fou à saisir l'essentiel, à capter l'instant précis où tout peut encore basculer d'un côté comme de l'autre, un style efficace au bénéfice d'une histoire où tout paraît, à première vue, comme le défilement d'une vie en accéléré et pourtant, au fur et à mesure de l'avancée dans le livre, vous voudriez ralentir la cadence pour continuer à vous attacher à Louise, à la suivre pour trouver sa place dans ce monde inflexible et hostile à l'expression de la femme ...muette.
Je dis bravo à l'auteur, Mathieu Albaizeta pour m'avoir littéralement fait trembler de bout en bout, oppressant, une plume qui soulève beaucoup d'espoir pour le retrouver dans un nouveau roman. Je gage qu'on n'a pas fini d'en entendre parler. A suivre.

"Tu es maître de ta vie et qu'importe ta prison, tu as les clefs" (Dalaï-Lama)

En conclusion, La femme muette de Mathieu Albaizeta est une oeuvre coup de poing, un premier roman impressionnant !!!
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