Voilà mon troisième livre lu sur
Proust (et non de
Proust) qui continue à me chatouiller sans arriver encore à me coller véritablement aux livres du grand homme. J'avais d'abord lu tout à fait par hasard Celeste: bien sûr, Monsieur
Proust et j'avais follement aimé cette bande dessinée. D'une mignonnerie enivrante à souhait. Hier, j'ai terminé Un été avec
Proust (je vous en parle bientôt). Et aujourd'hui, je ferme la dernière page de cet album cartonné Monsieur
Proust par
Céleste Albaret.
Proust est mort dans sa chambre le 19 novembre 1922. Il refusait d'être soigné et placé à l'hôpital. Il ne voulait que Céleste auprès de lui. Céleste qui fut sa courrière, sa femme de charge, sa femme de confiance, sa gardienne, sa gouvernante, son infirmière, son assistante, elle était Céleste. Tout simplement. Et elle aura donné dix années de sa vie à cet homme étrange, qui écrivait la nuit et dormait le jour. Tyrannique et maniaque sur les bords, Céleste le nommait son beau bourreau. Ce livre est la quintessence en texte et en images, suffisamment dense (il compte 251 pages) des souvenirs de Céleste. Une femme qui vivait au plus près de Marcel, connaissait ses moindres manies et satisfaisait ses moindres désirs (tics et manies). Au plus près de l'écrivain qu'il était.
On retrouve ici un peu moins cette facette mignonne propre à la BD Céleste, bien sûr Monsieur
Proust. C'est un album plus sobre, plus feutré, principalement en noir et blanc, peut-être plus authentique aussi avec des photos surprenantes de l'époque : un plan de la maison boulevard Haussman, un poème écrit sur un bordereau du Grand Hôtel, Eastbourne, LTD. (« Parfois, il pouvait être une fontaine de jeunesse »).
Il y avait dans cette relation entre Céleste et
Proust de l'ordre d'un attachement comme une louve pour son enfant blessé. Beaucoup de prévenance, de gentillesse infinie entourait cet insolite tandem.
–Vous ressemblez beaucoup à votre mère, Céleste. Il y a en vous une innocence que vous tenez sûrement d'elle. Avec moi, et même avec votre mari, je sens que vous ne savez pas déguiser.
Je lui ai répondu :
–Monsieur, c'est que je retrouve ma mère en vous.
Proust aura offert à Céleste un peu de sa sensibilité à travers les bavardages et autres confidences qu'ils nourrissaient ensemble.
Proust semblait généreux et gratifiait souvent sa domestique d'un gentil mot : « Ah Céleste, ainsi les cheveux dénoués, vous ressemblez à la Jocombe. »
Contrairement à la BD de Chloé Cruchodet qui laissait à penser qu'il y avait un amour platonique du côté de Céleste pour
Proust, ici il n'en est rien dit. La tendresse qu'éprouve Céleste pour
Proust est évidente. Et légitime il me semble au vu de toutes ces années passées à ses côtés. Seule avec lui. Spectatrice de ses écrits qu'elle finissait par lire à l'envers, assistante dans ses béquets et
carnets artistiques, Céleste était en première ligne des élucubrations lumineuses ou des diatribes mutiques de l'impressionnant écrivain.
C'est un bel ouvrage que voici pour tous ceux qui veulent s'immiscer dans l'intimité de
Proust, les anecdotes, les conversations, des photographies de l'époque jusqu'à cette palpation avec l'essence même de
Proust : sa volonté d'attraper le temps grâce aux souvenirs et à la mémoire.
Je partage avec vous l'une des dernières pages du livre, quelques temps après la mort de Marcel
Proust :
« Et puis il y a eu cette chose extraordinaire… Comme j'étais descendue de l'appartement, j'ai vu soudain la vitrine de la librairie qui était près de la maison, rue Hamelin. Elle brillait de lumière et, derrière la glace, il y avait les ouvrages parus de M.
Proust, trois par trois… Une fois de plus j'ai eu comme un éblouissement de ses presciences et de cette certitude qu'il y avait en lui, en pensant à une page de son livre. Parce que peu de temps avant sa mort
M. Proust avait écrit une page sur la mort, ou plutôt la résurrection… Voici ce qu'il avait écrit : « L'écrivain Bergotte, mort à jamais ? Qui peut le dire ? L'idée que Bergotte n'est pas mort à jamais est sans invraisemblance. On l'enterra, mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois par trois, veillaient comme des anges aux ailes éployées et semblaient, pour celui qui n'était plus, le symbole de sa résurrection. »