Écrire ? C’est publier qu’il faut lire. Les politiques estiment que toute carrière d’un tant soit peu d’envergure exige la signature d’un livre qui fera briller le nom de l’auteur dans les librairies. Mais ils ne poussent pas le zèle jusqu’à s’asseoir tous les matins, à l’aube, devant une page blanche. Les écrivains font rarement de bons politiques : Maurice Druon et Max Gallo n’ont pas été des ministres particulièrement efficaces et se sont bien gardés de confier à la postérité le récit de leurs passages respectifs au gouvernement.
Mais dans notre République, sans une œuvre pour orner votre curriculum vitae, comme la cerise sur le gâteau, vous serez considéré comme un butor, un plouc, et ne mériterez pas la considération de vos électeurs. Donc il faut publier, et peu importe le jugement de la critique : on comptera le nombre de vos bouquins vendus comme préfigurant celui des suffrages que vous obtiendrez
La bigamie est monnaie courante chez nos hommes politiques. Parfois, le ménage de la main gauche est plus respectable et considéré que celui ayant bénéficié du patronage de la République et éventuellement de l’Église. C’est François Mitterrand qui a donné ses lettres de noblesse à ces unions morganatiques. Les journalistes politiques connaissaient tous l’existence de sa maîtresse républicaine bien avant son entrée à l’Élysée. J’avais été informé à un congrès socialiste par une de mes consœurs qui avait elle-même agrémenté le lit de plusieurs excellences, peut-être du chef socialiste lui-même : « Regarde, m’a-t-elle dit en me poussant du coude, Mme Mitterrand est là. » C’était Anne Pingeot, bien droite et convenable au milieu de cette camarilla débraillée. J’ai très vite appris, ensuite, l’existence de la petite Mazarine. Naturellement, si Mitterrand voulait qu’elle bénéficie d’une certaine discrétion, il fallait lui trouver un autre prénom.
En politique, les rares qui subsistent sont confinés dans l’anonymat. Dans le journalisme, c’est pareil. Je me flatte d’être l’un des derniers à n’être passé ni par une école spécialisée ni par Sciences-Po. J’ai publié mon premier article à dix-neuf ans et j’ai appris mon métier grâce à des rédacteurs en chef qui me faisaient recommencer huit fois un entrefilet et me disaient : « Finalement, c’est la première version qui est la bonne. » Quant à la politique, je l’ai apprise sur le tas, dans les congrès ou les corridors, en observant des maîtres comme il n’y en a plus, les Edgar Faure, Defferre ou Chaban-Delmas. De nos jours, les partis enseignent aux hommes et aux femmes, avant de les lâcher sur le pavé de la politique, l’art et la manière de parler aux médias. C’est plus qu’il ne faut pour se lancer dans la carrière.
Les hommes politiques promettent si souvent, et avec tant d’emphase, de dire la vérité que celle-ci n’est évidemment pas, chez eux, habituelle. Dans la vie publique, mentir est une obligation : c’est beaucoup moins dangereux que de parler vrai. « C’est aussi, disait Talleyrand, fameux menteur et voleur, une si excellente chose qu’il ne faut pas en abuser. »
Pour les politiques comme pour les soldats en campagne, la chance s’appelle baraka : mot arabe hérité de nos guerres coloniales. Il y a ceux qui l’ont et les autres. Surtout il faut y croire : elle compte plus que tous les plans stratégiques. Les politiques n’y manquent pas. La plupart sont superstitieux, certains consultent en cachette les cartomanciennes, comme autrefois le général de Gaulle ou Giscard pourtant polytechnicien. D’autres ont leurs grigris qu’ils cachent sous leurs vêtements. Mais tous évitent d’invoquer publiquement la baraka, de peur de l’irriter comme les Romains de l’Antiquité qui redoutaient la colère des dieux et l’orage des auspices.
[BIOGRAPHIE] LA CHRONIQUE DE GERARD COLLARD - CLEMENTINE CHURCHILL