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Critique de Eric75


le lecteur, en général, n'en sait jamais trop. Sauf parfois quand il lit (avec attention) les quatrièmes de couverture. Bien sûr, c'est pourquoi certains évitent de le faire. Or, mieux vaut ne pas faire l'impasse ici, car un rapide survol pourrait faire penser à un « biopic » d'Alan Turing (1912-1954). Tiens, je croyais que le mot biopic ne s'employait que pour les films, avec pic comme dans biographical motion picture. Alors… étourderie ou escroquerie ? Quand on sait qu'Imitation Game, le biopic sorti en 2014 avec Benedict Cumberbatch dans le rôle d'Alan Turing, n'a pas été inspiré par ce roman-ci mais par la biographie d'Andrew Hodges, parue en 1992, alors je me dis : il y a de l'imitation game dans l'air…

Manifestement il ne s'agit pas ici d'une biographie, mais bien d'une oeuvre de fiction, comme le suggère le début du texte de la quatrième de couverture. Constamment en effet, le lecteur se demande dans quel genre littéraire se situe le roman. La narration oscille entre science-fiction, biographie, roman d'espionnage et récit historique. Généralement, j'adore le mélange des genres, mais si avec deux ingrédients, le résultat reste digeste et permet de rehausser la saveur (il existe des romans de science-fiction qui sont d'excellents polars), ici, à vouloir se fixer trop d'objectifs, l'auteur perd en route son lecteur.

Seul un auteur de talent aurait été capable de relever un pareil défi (je pense à Robert Littell, par exemple, qui fait coexister avec brio des personnages réels et des personnages de fiction dans ses romans). Dans L'Homme qui en savait trop, tout cela est poussif et contre-productif. Les différents volets s'arriment mal entre eux : la biographie ralentit l'action, la science-fiction invalide la réalité historique et occulte la vérité scientifique, le thriller discrédite la biographie, le roman d'espionnage, en superposant plusieurs époques et plusieurs genres, empêche la totale immersion du lecteur. Tel personnage secondaire a-t-il existé ? Telle anecdote s'est-elle réellement produite ? La facilité du procédé – on peut tout raconter, il s'agit d'un roman – et le brouillage des pistes ont plutôt engendré dans mon cas, un manque d'intérêt pour cette histoire.

Je retiens de ce roman une impression d'empilement hétéroclite, de remplissage, avec en prime deux circonstances aggravantes : d'une part, la possible tentative de récupération commerciale (c'est une hypothèse que je formule, mais la coïncidence est quand même troublante), profitant de l'engouement suscité par la sortie du film de Morten Tyldum, Imitation Game, et de la réédition simultanée de la biographie d'Andrew Hodges replaçant Turing sous les feux de l'actualité ; d'autre part, la réutilisation d'un titre déjà gravé dans la mémoire collective : « L'Homme qui en savait trop », utilisé par Alfred Hitchcock à deux reprises pour deux de ses films sortis en 1934 et en 1956. le brouillage des pistes est donc total, mettons cela une fois de plus sur le compte de la maladresse (mais ça commence à faire beaucoup).

J'admets un ou deux instants particulièrement bien inspirés, tels que le débarquement de De Gaulle sur les plages de Normandie, plutôt savoureux, ou l'évocation de l'opération Mincemeat, qui a réellement existé. Mais je me demande pourquoi, sous prétexte de verser dans un genre populaire, les deux auteurs pourtant bardés de diplômes adoptent un style d'écriture pauvre, émaillé de termes comme « polack », « connard » ou « pédé », reléguant ainsi leur roman à un niveau plus proche de la littérature de gare que de celle de John le Carré ou de Larry Collins.

Mais il y a pire, on devine à travers les sujets traités (au rayon SF, cette fois), une certaine inclinaison de l'auteur pour le « transhumanisme ». Obsession confirmée par la vidéo de propagande publiée sur Babelio (« Nos enfants iront-ils demain dans des écoles eugénistes ? »). Ce genre de propos conduit tout droit à l'éradication des canards boiteux, au nom de la compétition ultralibérale et la course au progrès, la mise à l'écart programmée des non productifs, rappelant des périodes bien sombres de notre histoire. Laurent Alexandre, féru d'intelligence artificielle, se réjouit de constater que la moitié de nos métiers auront disparu dans 20 ans, remplacés par des automates (plus intelligents et plus productifs que les humains), que la société de demain n'acceptera plus les inégalités de QI et trafiquera nos cerveaux en conséquence, qu'elle acceptera le dopage légal, les implants intracérébraux, l'eugénisme intellectuel par la sélection des embryons, etc. Totalement décomplexé sur ces sujets, l'auteur met en garde contre les tentations « neuro-conservatrices » ringardes. Tout ceci va de pair avec les idées développées dans la partie SF du roman : I.A. dominant le monde, hégémonie de Google, dont le cofondateur Sergueï Brin, n'est rien d'autre que le héros du roman, apologie du transhumanisme et dénonciation du « cancer philosophique des technophobes écologistes, islamistes et autres militants de l'éclairage à la bougie » (sic). Écologistes et islamistes, c'est bonnet vert et vert bonnet, comme chacun sait, un ramassis d'intégristes et d'obscurantistes qui n'ont absolument rien compris au monde merveilleux promis par la Silicon Valley.

J'oubliais… Ce roman, a finalement un dernier mérite : il donne envie d'acheter, pour en savoir plus, la vraie bio d'Alan Turing, celle d'Andrew Hodges, qui ressort en ce moment dans toutes les bonnes librairies (idée que j'ai aussitôt mise à exécution, sans avoir eu besoin de me l'implanter dans le cerveau).
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