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Svetlana Alexievitch est une journaliste et écrivain biélorusse. Nous connaissons assez mal la Biélorussie, petit pays devenu indépendant en 1990 avec l'effondrement de l'URSS. Pourtant, le 26 avril 1986, la Biélorussie est durement frappée par la catastrophe de Tchernobyl. La centrale ukrainienne déverse sa radioactivité dans toute la région et, le nuage ne s'arrêtant bien sûr pas à la frontière, la Biélorussie reçoit 70 % des retombées radioactives.
Dix ans plus tard, Svetlana Alexievitch a mené l'enquête auprès des rescapés et des survivants. Son livre est la juxtaposition des témoignages – tous poignants – formulés directement par les personnes interrogées ayant vécu de près les événements : les liquidateurs, les femmes des liquidateurs, les enfants, les paysans, les militaires, les scientifiques, les politiques…
Ce livre n'est ni une tentative d'explication, ni le récit de la catastrophe. Vous n'y trouverez ni la chronologie des événements, des décisions ou des erreurs commises, ni les chiffres de la catastrophe, ni les théories scientifiques ou les dossiers techniques décryptant l'accident et ses conséquences.
Cet essai est centré sur l'humain. Svetlana Alexievitch donne la parole aux victimes. On pense à ces reportages vus à la télévision, où les témoins parlent tour à tour, se souviennent et racontent, sans que l'on devine la présence de la journaliste qui n'intervient pas. On imagine ces témoins assis à la table de leur cuisine, dans leur salon ou sur leur lit d'hôpital, répondant aux questions posées.
Fidèle à cette méthode, Svetlana Alexievitch n'expose aucune analyse ou conclusion, c'est donc bien au lecteur de se faire sa propre opinion : sur les failles d'un système, sur la désinformation, sur le manque de transparence, sur la corruption des uns et l'héroïsme des autres.
L'Europe a failli être totalement inhabitable si l'explosion nucléaire avait eu lieu (car elle n'a pas eu lieu, grâce au sacrifice des liquidateurs). Svetlana Alexievitch ne tire aucune leçon, n'élabore aucune théorie… ce qui donne envie d'en savoir plus ! Où en est-on aujourd'hui ? Va-t-on enfin construire le nouveau sarcophage au dessus du réacteur (l'ancien étant en train de s'effondrer) ? Et pourquoi nul ne sait vraiment ce qui se passe en ce moment même, à des milliers de kilomètres de là, du côté de Fukushima ?
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Prix Nobel 2015, Svetlana Alexievitch se donne le mandat, dans La Supplication, de parler non pas de Tchernobyl mais, dit-elle, « du monde de Tchernobyl », de « reconstituer les sentiments, et non les événements. » Présenté sous la forme de monologues, un choeur polyphonique se donne à entendre, se trouvant à éclairer toutes les facettes de cette tragédie telle qu'elle apparaît dans la conscience collective des gens qui l'ont éprouvée : hommes et femmes; enfants, adultes et personnes âgées; pompiers, soldats, liquidateurs, scientifiques, médecins, professeurs; résidents non autorisés, personnes délocalisées… Cela donne pour finir un terrifiant condensé de drames humains, qui enrage tout autant qu'il fascine, la représentation d'une expérience impossible à internaliser psychologiquement, faute de précédents. Oublier ou se souvenir, se demandent les survivants ? Un ouvrage bouleversant…
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Ce livre a été une déception. Je pensais réellement que ce roman serait un énorme coup de coeur mais je me suis fortement ennuyée au fil des pages. Je n'ai pas réussi à finir ce petit livre de presque 300 pages, il a fallu que je saute une cinquantaine de pages. Ce livre a trainé sur ma table de chevet durant trois bonnes semaines. Quelques passages m'ont fortement intéressé mais d'autres m'ont laissé réellement indifférente. le début était pourtant prometteur, j'aime quand les livres parlent d'histoire et quand ils sont originaux. Malheureusement, La Supplication n'a pas été un livre facile à lire. L'autrice a eu beaucoup de courage, elle a écrit avec beaucoup de finesse un récit émouvant mais un peu long. Je vais essayer de me tourner vers d'autres oeuvres de Svetlana.A qu'on m'a toujours chaudement recommandé.
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Une fois encore, après la découverte du bouleversant "La fin de l'homme rouge", je suis subjuguée par le travail de Svetlana Alexievitch et cette façon si singulière et paradoxale de s'effacer tout en imprimant sa présence, tant au plan littéraire à travers une ré-écriture quasi invisible et pourtant évidente des propos collectés dont elle parvient à rehausser la portée émotionnelle tout en maintenant la spontanéité, qu'au plan humain car, toute effacée et muette qu'elle soit dans ses textes, seuls une réelle empathie et un respect véritable peuvent faire émerger autant d'authenticité dans les témoignages.

Bouleversant, "La supplication" l'est tout autant et va même plus loin car au-delà de la tragédie humaine et écologique vécue au plus près de Tchernobyl, dans des proportions épouvantables pour certains et en particulier les enfants et les "liquidateurs" envoyés en toute opacité sans protection sur le site pour circonscrire le sinistre, c'est le caractère universel de la catastrophe nucléaire que l'auteur a su faire ressortir de ces témoignages, celle qui dépasse l'entendement humain et la capacité d'appréhension de la présence au monde face à cette présence invisible et létale dont les conséquences seront ressenties jusqu'à des centaines de milliers d'années.
Militaires, veuves, paysans, ingénieurs, tous témoignent d'une souffrance infinie, qu'elle soit encore à fleur de peau dix ans après les faits ou profondément intériorisée. Prises ensemble, ces voix forment une cohorte de morts vivants psalmodiant ou hurlant une complainte terrifiante, et pourtant si humaine.
Un livre indispensable.
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Dans cet ouvrage Svetlana Aleksievitch retranscrit les témoignages qu'elle a recueillis auprès de ceux qui ont vécu la catastrophe de Chernobyl et qui en subissent aujourd'hui encore les conséquences. Habitants des zones irradiées, militaires envoyés comme liquidateurs, parents d'enfants malades, tous racontent la peur, l'incompréhension et le sentiment d'injustice.

Si je n'ai pas bien compris l'intérêt de la construction en trois chapitres, j'ai été en revanche séduite par le travail de réécriture de ces témoignages, pour en puiser l'émotion, en faire ressortir la lumière.
Emerge alors du chaos, le cri d'amour d'une mère pour son fils, d'une femme pour son mari, d'un vieil homme pour la terre de ses ancêtres.
Chaque voix raconte une histoire unique et pourtant se dégage de l'ensemble quelque chose d'universel.

De Tchernobyl, j'avais beaucoup entendu les scientifiques, spécialistes de l'atome et ingénieurs, expliquer les causes, détailler minutes par minutes le « pourquoi » de la tragédie et même par la suite, les aspects techniques de construction du sarcophage. On a également beaucoup vu dans les médias des images de la nature « reprenant ses droits » : Forêt repeuplée, renards en maraude dans le village ou encore famille de loups installés dans l'ancienne école... Mais dans les décombres de la «machine nucléaire» et parmi la faune locale, on a oublié l'Humain.
Des hommes, des femmes et des enfants sont revenus dans la zone interdite parce qu'ici c'est chez eux et qu'ils n'ont nul part où aller. Des gens irradiés meurt lentement à l'hôpital, d'autres sont montrés du doigt, rejetés. Des hommes et des femmes que le pouvoir politique a voulu cacher après la catastrophe, témoins gênants dont on a dissimulé les souffrances.
Toute ces personnes à qui l'on a demandé de se taire, ont un visage et un nom. En leur redonnant la parole, Svetlana Aleksievitch rend son âme à cette terre suppliciée.

Un récit bouleversant, très intense, à la limite du supportable parfois.
Un travail au service de l'humain, admirable et courageux.
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Tchernobyl, dix ans plus tard
Le 26 avril 1986 le réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl est détruit par une série d'explosions, entrainant l'une des plus grande catastrophe technologique du XXème siècle. Tchernobyl est situé en Ukraine mais à quelques kilomètres de la frontière avec la Bielorussie qui a été terriblement touchée par les retombées radioactives. Comme l'explique l'auteure en préambule de son livre 23% du territoire biélorusse est contaminé… Svetlana Alexievitch est bielorusse, et elle le dit clairement : « Ma vie fait partie de l'événement. C'est ici que je vis, sur la terre de Tchernobyl. Dans cette petite Biélorussie dont le monde n'avait presque pas entendu parler avant cela. Dans un pays dont on dit maintenant que ce n'est plus une terre, mais un laboratoire. Les Biélorusses constituent le peuple de Tchernobyl. Tchernobyl est devenu notre maison, notre destin national. Comment aurais-je pu ne pas écrire ce livre ? », ce livre qui « ne parle pas de Tchernobyl, mais du monde de Tchernobyl. Justement de ce que nous connaissons peu. de ce dont nous ne connaissons presque rien. Une histoire manquée (…) ».
Dix ans après l'accident de Tchernobyl, Svetlana Alexievitch a voyagé et interrogé des dizaines de personnes touchées par la catastrophe : certains travaillaient sur la centrale, d'autres étaient des fonctionnaires du parti (en 1986, c'était encore l'URSS), des paysans contraints de quitter leurs terres, sans explication, des médecins, des femmes (beaucoup), épouses de liquidateurs morts atrocement, ou mères d'enfants condamnés... Ce livre est donc un recueil de témoignages tous plus poignants les uns que les autres… Divisé en trois parties (La terre des morts, la couronne de la création et Admiration de la tristesse) il permet de prendre la mesure de l'immense souffrance de tous ceux qui ont vécu cette apocalypse.
J'ai mis un temps fou pour lire ces « chroniques du monde après l'apocalypse », non pas que le sujet ne m'intéressait pas (bien au contraire, et ce livre est passionnant) mais en raison de l'émotion qui m'a submergée à plusieurs reprises. J'ai même du mal à écrire mon avis (je l'ai terminé il y a près d'une semaine, impossible d'écrire quoique ce soit « à chaud ») même en reprenant toutes les notes que j'ai prises…
Un livre en forme de devoir de mémoire, essentiel, d'une grande humanité, poignant bouleversant, d'une puissance infinie…
En complément, on peut regarder l'excellente série « Tchernobyl » et lire un autre bouquin magistral qui m'a marquée (La nuit tombée d'Antoine Choplin – Il s'est d'ailleurs inspiré d'une anecdote racontée dans la première partie La terre des morts : Monologue sur une vie entière écrite sur une porte).
« Un événement raconté par une personne est son destin. Raconté par plusieurs, il devient l'Histoire. »
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Ce livre, au départ, je l'ai emprunté à une collègue à qui, honte à moi, je ne l'ai jamais rendu. Je l'ai lu, relu et re-relu, j'ai parcouru des cartes de Biélorussie et d'Ukraine à la recherche de tous les lieux cités. Il faut dire que Tchernobyl est un sujet qui me tient à coeur, quelques années avant j'avais visité une petite ville à une soixantaine de kilomètres de là, en fait actuellement très près de la Zone interdite. Et la nuit de la catastrophe, à l'heure de l'explosion, j'aurais du me trouver dans le train Paris-Moscou (en fait, je ne l'ai su qu'au mois d'août suivant, le temps que l'invitation nécessaire à l'obtention d'un visa me parvienne ... avec la date fatidique comme début de l'invitation). C'est bien l'unique fois où je me suis réjouie de la bureaucratie soviétique !
Ce livre, toujours interdit en Biélorussie (un quart des sols de la Biélorussie est gravement contaminé), est un livre nécessaire, salutaire, indispensable. On y découvre la méthode très particulière de Svetlana Alexievitch : journaliste, elle enquête, interviewe, puis elle rassemble les discours en effaçant totalement ses questions, laissant totalement la parole aux témoins, même si, bien sûr, elle a mis ces récits en forme. Tout son talent est dans cette mise en forme qui rend la parole aux simples gens, je trouve que c'est assez cinématographique comme procédé.
Ce livre ne raconte absolument pas ce qui s'est passé, ce n'est pas du tout son propos, ce qui l'intéresse c'est ce qui est arrivé aux gens qui vivaient là, les habitants de Pripiat, ceux des villages aux alentours, … et que ce soit dit avec leurs mots, avec leur perception des choses, leur pudeur, leurs silences. C'est très respectueux et c'est un véritable travail de recueil de la mémoire.
Le témoignage le plus fort est celui du début, celui d'une jeune femme, enceinte, dont le mari a été un des premiers pompiers intervenu sur la centrale … mais les autres sont tous poignants, à leur manière : ceux des évacués manu militari quoique un peu tard, ceux qui n'ont pas voulu partir (essentiellement dans les villages), ceux de liquidateurs, et surtout, tous ces témoignages montrent la difficulté à comprendre la radioactivité, qui ne se voit pas, ne se sent pas … En filigrane on comprend qu'avant il y avait d'un côté les habitants de la ville qui croyait en l'atome "pacifique" et en la science, et ceux de la campagne, d'une campagne qui ressemblait un peu dans la vie quotidienne aux campagnes françaises d'avant-guerre (un peu seulement, parce que nous on n'a jamais eu de kolkhozes! ). Ils ne peuvent évidemment rien comprendre à cette menace invisible, insidieuse. Certains témoignages sont terriblement touchants, je pense à ceux-ci en particulier (mais tous sont poignants) : la terre que l'on enterre, au sens propre - quelqu'un qui pense aux vers de terre qui ne sont pas au courant et que personne n'a songé à sauver (cela m'a fait penser à la scène des vers de terre dans Sept ans au Tibet qui résume la philosophie des moines tibétains) – une petite fille qui songe à son album de timbre oublié – des petits vieux obligés de laver leurs bûches avant de les brûler – les cimetières dans lesquels on ne peut venir se recueillir qu'une fois par an, au mieux – des forêts interdites alors que la cueillette des champignons, des airelles, des framboises était une part non négligeable de l'alimentation. Et bien sûr tous les mensonges, l'héroïsme des liquidateurs, l'abnégation au service des autres, parce qu'ils croyaient à l'Union Soviétique qui allait disparaître en les oubliant pour oublier avec ce qui n'est pas dicible, et surtout pas audible…
A lire et relire, pour ne jamais oublier.
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Tchernobyl. Ou la première catastrophe nucléaire à l'échelle de l'humanité. Cet échec dont on ose à peine prononcer le nom, qui sonne comme une malédiction.
Un sujet entouré d'une chappe de silence plus hermétique que la chappe de plomb qui tente de contenir la radioactivité du réacteur.

Je me souviens précisémment de ce jour d'avril où des bribes d'informations nous parvenaient. Mais un accident nucléaire c'est comme un tsunami, tant que ce n'est pas encore arrivé, on a du mal à imaginer que ce soit possible. Pire qu'un tsunami d'ailleurs, puisque le mal est invisible.
Fort heureusement en France, le nuage s'est arrêté à la frontière. Vous ne vous souvenez-pas ? Il freinait dans le ciel avec ses petites pattes de nuage.

Ce livre est un véritable témoignage pour les générations futures. Il explique l'indicible, l'incompréhensible. On y retrouve toute la pudeur slave, une sacré dose de radioactivité et des vapeurs de vodka. On y retrouve des héros condamnés, des vieux à qui l'on dit de laver les bûches avant de les mettre à brûler dans la cheminée, des chasseurs embauchés pour tuer les animaux domestiques livrés à eux-même dans les villages désertés. Et toute la souffrance, l'absurdité de la tragédie, la destinée qu'il faut accepter et la peur de donner la vie , une vie contaminée.
Les témoignages sont poignants et sobres. Plein d'amour et d'espérance, malgré tout.
C'est un cri de tout une population sacrifiée, décimée, déplacée, déboussolée, qui ne comprend pas pourquoi du jour au lendemain, le jardin, les animaux, la maison, ses vêtements, deviennent des ennemis mortels.
Certains passages sont particulièrement incroyables : cette petite fille qui raconte que sa maison a été enterrée et qu'elle n'a pas pu récupérer son album de timbres. Cette mamie qui dit adieu à sa maison en s'inclinant devant et saluant chacun des arbres de son jardin.

J'ai mis du temps à lire ce livre qui est comme une prière. Dense et tragique.

Alors, faut-il le lire ? Oui. C'est un texte important. Il faut lui accorder du temps et du respect. Pour ceux qui souhaitent poursuivre sur un écran, je recommande l'excellente série Chernobyl.

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Le premier témoignage m'a déjà foutu par terre : c'était celui de l'épouse d'un des pompiers envoyés sur la catastrophe au tout début.

On les a appelés pour un incendie, ils sont partis le coeur tranquille, pensant n'avoir affaire qu'à un simple feu qu'ils maîtriseraient facilement. Il n'en était rien, mais ils ne le savaient point.

Partis sans protection, ils revinrent ensuite sous totale contamination.

Quatorze jours, c'est le délai maximum de votre existence après avoir été soumis à des radiations comme ils le furent.

L'épouse d'un est allée à l'hôpital, s'est occupée de son mari, qui avait été transformé en mini centrale nucléaire. La dégradation du corps est horrible. Son amour était immense, peu de femmes seraient restées auprès de leur mari. Hélas, le prix à payer était le plus fort. L'épouse était enceinte de 6 mois… Je n'en dirai pas plus.

Ce roman est composé de multiples témoignages, que ce soit ceux des habitants, des soldats, des liquidateurs, des témoins, des déplacés… Tous ces témoignages sont ceux et celles des suppliciées de Tchernobyl.

Ceci n'est pas une fiction, rien n'est romancé, ce sont des témoignages bruts. Les gens racontent, se souviennent et chaque récit semble plus glaçant que le précédent.

Ces villages vidés de tous leurs habitants, où sont resté uniquement les animaux domestiques. Tous ces gens qui pensaient revenir ensuite et qui sont parti avec le minimum…

Certains sont revenus, en douce, pour cultiver leur jardin, reprendre leurs affaires, ou pour voler ce que les militaires enterraient, les objets contaminés… Sans penser qu'ils allaient se contaminer encore plus.

Les dirigeants ont sacrifié les populations et les liquidateurs envoyés sur le toit pour enlever le graphite, sans protection.

Parfois, on leur en donnait, mais puisque les chefs minimisaient les effets et payaient bien, les hommes y sont allés, le coeur léger, les tire-au-flanc étant très mal vu, chez eux. Ils avaient une autre mentalité, ils servaient la patrie, ils obéissaient et surtout, la vodka coulait à flot, alors, il ne pouvait rien leur arriver de grave !

Avec le recul et les maladies arrivant, bien des soldats ou des liquidateurs, comprendront les risques qu'on leur a fait prendre au mépris de tout danger. Les roubles qu'on leur donnait en plus, les salaires triples, ne valaient pas les conséquences qu'ils ont subies ensuite.

Il fallait ne rien dire, mettre une chape de plomb sur l'incident (un incident, rien de plus) et brosser les merdes sous les tapis. C'est ce qu'ils ont fait et on devrait les en remercier, car ils ont pris des risques énormes pour les autres.

Le problème étant que la radioactivité, ça ne se voit pas, ça n'a pas d'odeur, alors, comment y croire ? Comment arriver à comprendre qu'il ne faut pas manger les fruits de son verger, cultiver sa terre ou boire le lait de sa vache ?

Les différents témoignages sont bouleversants, ils sont bruts de décoffrage, ils expriment la souffrance, l'incompréhension, les départs pour d'autres lieux, la perte de tout, ainsi que l'exclusion par les autres, puisqu'ils venaient de la zone.

Durant ma lecture, l'émotion m'a souvent submergée, me forçant à faire des pauses et à lire autre chose, afin de ne pas sombrer totalement.

Ceci n'est pas un roman, ni une fiction, ce sont des portraits de gens réels, de personnes fracassées, arrachées à leurs terres, à leurs vies. Des gens que l'on a sacrifiés, des vies que l'on a considérées comme sans valeur. Des victimes à qui on a jamais donné la parole.

Ce sont aussi des soldats (liquidateurs) qui ont été envoyés en première ligne, sans connaître vraiment les risques et certains, même en les connaissant, on tout donné, afin d'épargner des vies. Des liquidateurs qui ne savaient pas qu'ils étaient déjà morts, à force de respirer et de manger des röntgens.

Dame Ida va encore me traiter de "Glauque-trotter" et elle n'aura pas tort…

Pourtant, je ne regrette pas d'avoir osé lire ce recueil de témoignages afin de savoir, de rendre un hommage silencieux à ces femmes, à ces hommes, ces enfants, morts ou déplacés, ces gens à qui on n'a rien voulu dire. À ces gens dont on ne parle jamais.

Et puis, malgré le fait que j'avais 10 ans lors de la catastrophe, il ne m'en restait aucun souvenir, comme si ma mémoire avait tout oublié. On ne peut pas oublier.

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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"Ce livre ne parle pas de Tchernobyl, mais du monde de Tchernobyl" , prévient l'auteure.

Svetlana Alexievitch laisse la parole aux anonymes. Ce qu'ils ont à dire édifie. L'Evènement, raconté par plusieurs, devient l'histoire. Journalistes, ingénieurs, responsables du parti, voisines, parents, chasseurs, enseignants, ils complètent un puzzle qui commence joliment :
"Certains faisaient des dizaines de kilomètres en bicyclette ou en voiture pour voir cela. Nous ignorions que la mort pouvait être aussi belle." - "Savez-vous, demandait l'académicien, père de la bombe H soviétique, qu'après une explosion atomique, il y a une fraîche odeur d'ozone, qui sent si bon ?" Tchernobyl commence comme Suite française, d'Irène Nemirovsky. On regarde derrière les fenêtres l'arrivée de l'occupant. de prime abord, il semble civilisé, distingué et charmant. Il y a une esthétique de la guerre et une beauté du Diable.

Tchernobyl est une guerre. "Les monuments de Tchernobyl ressemblent à des monuments de guerre." Les souvenirs de Tchernobyl sont des souvenirs de guerre.

Au premier plan, les héros et les Justes : "Les visages des premiers pompiers, noirs comme du charbon. Et leurs yeux... Les yeux de gens qui savent qu'ils nous quittent..." - "Une femme faisait partie de notre groupe. Elle était radiologue. Elle a eu une crise d'hystérie quand elle a vu des enfants jouer dans le sable."
Puis viennent les victimes innocentes : "Maman, est ce que je meurs déjà ?", demande une enfant.

En second rideau, derrière le front, les einsatzgruppen nettoient le terrain repris : "Il vaut mieux tuer de loin, pour ne pas supporter leur regard." - "Nous n'avions plus de balles, alors nous l'avons repoussé dans la fosse et l'on a jeté de la terre par dessus. Je le regrette encore à ce jour."

Les menaces pour obtenir la collaboration : " - Les volontaires iront sur le toit et les autres chez le procureur."
Les promesses : "On disait que la peine encourue était de deux ou trois ans. En revanche, si le soldat chopait plus de vingt cinq röntgens, c'est le commandant qui allait en taule."
Les profiteurs : "Je sais que l'on a volé et sorti de la zone contaminée tout ce qui était transportable. En fait, c'est la zone elle-même que l'on a transportée ici. "

Les justifications des responsables et des sachants : "Dans les meetings, on exigeait la vérité ! Mais c'est mauvais, très mauvais ! Nous allons tous bientôt mourir ! Qui a besoin d'une telle vérité ?" - "Nous avions l'habitude de croire." - "Dès que l'on perd la foi, on n'est plus un participant, on devient un complice et l'on perd toute justification."

Les culpabilités : """J'ai compris plus tard, quelques années plus tard, que nous avions tous participé... A un crime... A un complot."""

Un vocabulaire de guerre ; des traumatismes de guerre. Tchernobyl est un ennemi aussi traumatisant que le nazisme.

"J'ai regardé très loin. Peut être plus loin que la mort." dit la femme d'un irradié dont le visage se décompose.

Tchernobyl est un conflit jeté à la face de l'humanité. Par ses héroïsmes individuels, ses sacrifices volontaires ou non, consentis en tous cas par le froid calcul de la multitude, l'homme a gagné. Tous les hommes.

La supplication est le journal d'une guerre que l'homme a menée contre un Autre (l'Anderer) nommé Tchernobyl.
Tchernobyl, sublimé, n'est plus l'oeuvre de l'homme. Il est seul coupable de lui même.
Le bien a triomphé du mal. Un peu malgré lui. Tchernobyl est un mythe.

"""A part nous, personne ne sait ce qui s'est vraiment passé là bas. Nous n'avons pas tout compris, mais nous avons tout vu."""

Un recueil de témoignages irremplaçables.
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