"J'ai trois foyers : ma terre biélorusse, la patrie de mon père où j'ai vécu toute ma vie, l'Ukraine, la patrie de ma mère où je suis née, et la grande culture russe (...)." (Allocution remise de prix 2015)
Lauréate du prix Nobel de la littérature pour l'ensemble de son oeuvre, l'écrivaine et journaliste d'investigation - Svetlana Alexievitch - pose avec "La guerre n'a pas un visage de femme" le premier jalon du cycle dénommé "Les voix de l'Utopie".
Suivront dans l'ordre, Derniers témoins, Les cercueils du zinc, La supplication : Tchernobyl chroniques du monde après l'apocalypse et pour finir La fin de l'homme rouge ou le temps du désenchantement.
De la grande guerre patriotique à l'effondrement de l'URSS en passant par la guerre en Afghanistan et l'accident nucléaire de Tchernobyl, cette série documentaire revisite les épisodes tragiques de l'Histoire soviétique du point de vue de ceux qui les ont vécus dans leur chair au quotidien.
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Fruit d'une enquête minutieuse, le présent ouvrage paru en 1985, compile les témoignages de centaines de femmes qui ont combattu aux côtés de la gente masculine lors du conflit opposant l'URSS à l'Allemagne nazie (1941-1945).
"Elles se sont tues durant si longtemps que leur silence, lui aussi, s'est changé en histoire."
Venant briser quarante années de mutisme collectif, Svetlana Alexievitch donne ici la parole à ces grandes oubliées du discours officiel. Durant sept années, munie de son magnétophone, elle s'est rendue aux quatre coins de l'ancien empire soviétique pour les rencontrer.
De ces entretiens, dont elle a extrait la substantifique moelle, est né ce précieux récit apportant un éclairage nouveau sur la seconde guerre mondiale.
Le parti pris de l'auteure est de s'intéresser à l'humain - être en proie aux turpitudes de l'époque dans laquelle il évolue -, de transcrire son expérience, son ressenti, son chemin de réflexion, plus que les faits eux-mêmes et leur déroulement. Elle laisse place à la subjectivité et partage le cours de sa pensée.
"J'écris l'histoire des sentiments. Non pas l'histoire de la guerre ou de l'Etat, mais l'histoire d'hommes ordinaires menant une vie ordinaire, précipités par leur époque dans les profondeurs épiques d'un événement colossal."
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Qui sont ces femmes? Qu'est-ce qui les a poussées, souvent très jeunes (moins de 18 ans), à rejoindre les rangs de l'armée Rouge? Quel rôle ont-elles joué? Quels souvenirs resteront gravés dans leur mémoire? Comment ont-elles tenu? Quels changements se sont opérés en elles ? Qu'a été leur existence au retour du front?
Page après page…
Elles vous raconteront l'arrachement brutal au monde de l'enfance pour rejoindre celui de la guerre et son cortège d'atrocités.
Elles vous raconteront la force de leur engagement, le patriotisme qui les habitait.
Elles vous raconteront, de leurs parents, les larmes, la peur et la fierté.
"On mourrait pour défendre la vie, sans savoir encore ce qu'était justement la vie."
Page après page…
Elles vous raconteront leurs premiers pas dans un univers étranger qui par les hommes et pour des hommes a été pensé.
Elles vous raconteront comment elles se sont courageusement illustrées dans tous les corps de l'armée.
Elles vous raconteront la mort omniprésente et les corps mutilés qui ne cessent de revenir les hanter.
Elles vous raconteront la partie d'elle-même qui sur le front est restée.
"J'ignore quand ma guerre, à moi, sera finie…Je ne ris jamais…À ce jour, je n'ai même toujours pas réappris à sourire."
Page après page…
Elles se raconteront et je vous encourage à les écouter.
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Des portraits de femmes mémorables et émouvants!
22 juin 1941:opération Barbarossa. Hitler envahit L'URSS. l'armée russe se désagrège trés vite, Staline reste prostré et interviendra sur les ondes seulement 1o jours plus tard.
Mais, déjà, des millions d'hommes se précipitent au secours de la patrie en s'engageant.
Mais aussi de très nombreuses femmes, jeunes femmes, jeunes filles
Alexievitch, écrivaine reporter biélorusse, a, pendant sept ans recueilli le témoignage de milliers de ces combattantes. Elle retranscrit à merveille la volonté de se battre, une grande naïveté devant les horreurs de la guerre, la peur, l'angoisse, l'hébétude, l'habituation à tuer, à survivre parmi les les morts, les rapports avec les camarades hommes, les premiers amours, l'héroïsme salvateur et l'héroïsme stupide, les difficultés prosaïques pour une femme de vivre parmi des hommes
Ces jeunes femmes arrivent avec leurs longues tresses, leurs escarpins cachées dans le sac à dos, un jolie robe cousue par maman. Tout cela finira par rejoindre les milliers de cadavres de cette guerre.
Elles travaillent dans les hôpitaux de campagne, elles sont artilleuses, aviatrices, simples soldats ou officiers. Elles ne rendent pas la guerre plu belle mais elles sont belles dans la laideur de la guerre.
Ce livre est un remarquable document sur le ressenti des femmes pendant la guerre. Je le conseille à tous mais plus spécialement à deux catégories de personnes : machos et féministes fanatiques.
Oui, la femme est courageuse, héroïque, sait se sacrifier comme un homme.
Non, la femme ne ressent pas l'horreur comme un homme, elle pense différemment, elle réagit autrement: ni mieux, ni moins bien, elle est autre, l'alter de l'homme comme l'homme est l'alter de la femme
J'ai été ébranlé par ce livre...
Svetlana Alexievitch a recueilli durant de nombreuses années des milliers de témoignages de femmes russes qui se sont engagées volontairement pour défendre leur patrie, qui ont dû insister et se battre pour pouvoir être au front.
Leur vision de la guerre, leur récit est bien différent de celui des hommes et des livres d'histoire. Elles ne décrivent pas des faits héroïques, de glorieuses batailles, mais la guerre qu'elles ont vécue en tant que femme. C'est un point de vue habituellement totalement absent des récits de guerre...
Mais c'est un point de vue extraordinaire...
Je n'ai pas considéré lire un documentaire toutefois, l'auteure apporte sa touche personnelle, le livre est bien structuré, lire ces milliers de témoignages ne m'a jamais paru fastidieux, et j'ai pu lire ce livre d'une traite !
Les femmes s'y retrouveront, les hommes les découvriront et les aimeront !
Voilà un ouvrage que j'aurais du mal à qualifier de chef-d'oeuvre en termes de production littéraire. Il n'est jamais que la compilation de témoignages de guerre. Ce qui le rehausse toutefois à cette distinction est l'initiative de donner la parole à celles qui n'avaient pas accepté que la défense de leur pays agressé par l'Allemagne nazie reste un privilège masculin. La guerre n'a pas un visage de femme est bien le récit de la guerre au féminin.
En allant à leur rencontre 40 ans après une victoire si chèrement acquise, Svetlana Alexievitch veut faire éclater aux yeux de tous le mérite qu'ont eu ces femmes russes à s'impliquer volontairement dans un conflit dont on connaît trop le lot d'horreurs qu'il a comporté. Mérite d'autant plus grand que ces héroïnes cumulaient les handicaps propres à leur condition de femme intervenant dans l'univers misogyne de l'épopée guerrière. Rien n'a pourtant retenu leur détermination, pas plus les conditions matérielles et physiques que psychologiques, que les difficultés relatives à l'hygiène, la peur de la mort, ou encore leur irruption dans la promiscuité de mâles ensauvagés par la guerre.
Ce qui surprend c'est l'âge de celles qui se sont portées volontaires pour monter en première ligne. Un nombre considérable d'entre elles à avoir accepté de témoigner sortaient tout juste de l'adolescence. Certaines trichaient même sur leur âge dès 16, 17 ans pour se faire incorporer. Des coeurs tendres qui échappaient à leur mère se livraient aux fauves.
Comme d'habitude, elles devaient se montrer plus fortes que les hommes pour endurer souffrances et privations et assumer leur engagement sans se faire reprocher leur intervention dans le monde typiquement masculin qu'est le théâtre des opérations. Elles devaient faire plus que les hommes pour prouver qu'elles valaient autant. Dans les postes à responsabilité de commandement, elles devaient faire la preuve de leur courage et compétence avant de faire autorité.
Leur endurance et leur influence sur le comportement des troupes relèvent du grand mystère féminin. Cette aura méprisée quand tout va bien et qui sublime la personne dans la difficulté. Ce mystère est celui de la relation de la mère à l'enfant. Celle qui met au monde, nourrit, soigne, protège et console. Aussi fort a-t-il été, un homme à l'agonie redevient un enfant.
Plus surprenant encore, celles dont les moribonds imploraient le secours et le soutien moral devaient, une fois la paix revenue, passer sous silence leur héroïsme au risque de passer pour des hommes manqués ou des filles à soldat et perdre du coup leur statut de femme respectable. de cette guerre les hommes rentraient plus hommes et les femmes moins femmes.
Il faut avoir, selon l'expression consacrée, le coeur bien accroché pour lire pareil ouvrage. Chaque témoignage relate des atrocités. L'ouvrage est certes tendancieux et glorifie l'action des troupes du pays agressé allant jusqu'à faire valoir les soins apportés aux blessés ennemis. Mais s'agissant de la réaction à l'invasion d'un pays par les troupes nazies, on aura du mal trouver le contre poids en action humanitaire.
Un ouvrage édifiant qui permet de relativiser les maux que l'on peut reprocher à notre époque contemporaine, même lorsque cette dernière freine nos ardeurs dans la jouissance d'une liberté si chèrement payée par nos anciens. le grand bienfait de pareille initiative est avant tout de corriger l'appropriation de la gloire par une gente exclusivement masculine. Ce n'est que justice. Voilà en quoi se détermine le chef-d'oeuvre.
L'autrice a effectué un travail remarquable, de 1978 à 1985, en allant recueillir les témoignages de femmes de l'ex-URSS ayant participé à la deuxième guerre mondiale.
C'était avant la chute de l'Union Soviétique, elle s'explique (un peu trop brièvement à mon sens) au début du livre, en évoquant la censure, interne et externe.
Svetlana Alexievitch, qui a aussi écrit "La supplication" au sujet de la catastrophe de Tchernobyl, fait précéder la parole des interviewées de quelques réflexions de son cru sur le temps qui passe, le bien et le mal, etc...Ses phrases sont toujours profondes.
Les récits sont poignants, qu'ils émanent de simples soldates, d'ingénieures, de démineuses, d'infirmières, de médecins ou de partisanes (comme on dit là-bas pour résistantes). Des anecdotes cocasses allègent parfois l'atroce réalité, celle du sang et de la mort partout présents. Par exemple, au début, aucun uniforme ne convenait à la petite taille de certaines.
En interrogeant un couple, l'autrice se rend compte que femmes et hommes ont vécu deux guerres différentes.
Ce livre émouvant, réquisitoire supplémentaire (après beaucoup d'autres) contre la guerre, a aussi le mérite d'avoir sorti de l'oubli ces héroïnes qui seraient restées anonymes sans cette oeuvre importante.
Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell