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Critique de Woland


ISBN : 978-1507528488

Alphonse Allais, que son père destinait à reprendre la pharmacie ancestrale à Honfleur, préférait de beaucoup les mots (si possible d'esprit) au préparations médicinales. Voilà pourquoi on lui doit un certain nombre de livres (aphorismes, petites nouvelles comiques, farces même, le tout saupoudré çà et là de quelques allusions salaces mais toujours dotées d'une certaine élégance : si vous vous rappelez la nouvelle du monsieur qui va se faire tailler un pantalon chez son fournisseur attitré, vous voyez ce que je veux dire ... ) Nous lui devons entre autres une petite pochade assez courte (pas même 150 pages), primitivement intitulée "L'Affaire Blaireau" et que, en 1958, Yves Robert adapta pour le cinéma avec, dans le rôle principal, l'inénarrable Louis de Funès en braconnier rusé et prêt à mener jusqu'à l'asile psychiatrique toutes les autorités de la région.

Le film, s'il conserve la trame du roman, nous n'en parlerons pas ici, hormis pour souligner qu'Yves Robert avait très bien compris qu'il fallait souligner le côté un peu "potache" de l'original. C'est, en tous cas, l'une des interprétations de de Funès qui démontre cette finesse que l'acteur cachait sous son manteau de comique et qu'il remet à l'honneur dans un film tout à fait différent et qui, lui, est un vrai chef-d'oeuvre, signé Claude Autan-Lara : "La Traversée de Paris" où, aux côtés d'un Gabin rugissant et d'un Bourvil mi-affolé, mi-frétillant de plaisir, il est l'horrible épicier Janvier, qui fait du marché noir et emploie une jeune Juive portant l'étoile jaune comme servante non-payée, cela va de soi en cette sinistre époque ...

Revenons donc au roman qui symbolise au choix le triomphe de l'anarchie bon-enfant sur un Système qui, bien que différant dans maints détails de celui que nous conspuons tous les jours (après tout, l'action se passe sous la IIIème République), se révèle toujours aussi absurde, aussi rigide et aussi stupide que nous le décrivait vers la même époque un certain Georges Moineau, mieux connu sous le pseudonyme de Georges Courteline - ou alors tout son contraire.

Posons le décor : un petite ville de province créée sous Henri IV et qui doit sans doute à cette coïncidence de s'appeler Montpaillard. Une petite ville tranquille où l'on ne compte que dix-sept ... hum ... hommes de gauche, que notre écrivain dénomme ironiquement "les révolutionnaires." Hantise du maire en place, M. Dubenoît, qui veut que "sa" ville reste calme et plus encore repasser aux prochaines élections, nos dix-sept "révolutionnaires", avec l'avocat Guilloche à leur tête, vont monter ce qui restera comme l'"Affaire Blaireau." Blaireau, pour sa part, n'a pas d'opinion politique et appartient à l'espèce des un paisible braconnier, maigre et plus sec qu'un sarment, dont le grand ennemi - profession oblige - n'est autre que le garde-champêtre, Parju.

Or, voici qu'une nuit plus noire que la Déesse de la Nuit elle-même, notre garde-champêtre se voit non seulement agressé mais encore délesté de sa plaque de brave et honnête fonctionnaire rural par un inconnu particulièrement agressif, qu'il essayait de cueillir à la base d'un mur que ledit inconnu venait d' (ou qu'il cherchait à) escalader. Bien que, au coeur de ces traîtresses ténèbres, l'agresseur ne soit pas reconnaissable, sauf peut-être pour un devin extrêmement doué, genre Pierre Dac dans le rôle du Sâr Dîn, le maire, tout tremblant à l'idée du scandale qui pulvériserait la tranquillité de "son" Montpaillard si l'inconnu du mur se révélait une personnalité de la ville (on ne sait jamais : crise de folie, désir tout simple de faire de la gymnastique sous les étoiles, même s'il n'y en a pas ...), fait jurer au malheureux Parju, brave homme au fond mais réglement/réglement, qu'il a été rossé et détroussé par ... Blaireau.

Et revoilà notre Blaireau, personnage goguenard et assez philosophe, il faut bien le reconnaître même si son instruction laisse à désirer, en prison, une prison dont le tout nouveau directeur, M. Bluette, est un progressiste aimable et rêveur qui a échoué là parce qu'il s'était fait ruiner par une demi-mondaine, Alice, devenue depuis Delphine de Serquigny, qui l'a abandonné (mais dans les règles, en gentlewoman ;o) ou presque et ils sont restés bons amis) pour un micheton plus âgé mais financièrement plus sûr et doté, celui-là, d'une particule.

Ayant quelques jours à perdre, son micheton étant parti à la campagne, Delphine-Alice choisit justement cette période plutôt délicate pour s'en venir dire bonjour à son vieil ami Bluette tandis que, de son côté, la "jeune fille bien" qu'est Arabella de Chaville, trente-trois ans très précisément et donc promise, à cette époque, sauf miracle, à l'éternel statut de "vieille fille", se révèle d'une part fort troublée par le rapprochement qu'elle a établi entre une foule de lettres enflammées reçues de la part d'un amoureux anonyme et qui évoquaient entre autres un certain mur, et d'autre part par l'emprisonnement du dénommé Blaireau ...

Le reste, vous le trouverez en format poche ou en liseuse et j'espère bien que, à défaut de vous faire rire aux éclats, il vous arrachera au moins quelques sourires. La critique sociale, bien qu'effleurée plus qu'autre chose, est bien là, la psychologie des personnages cohérente, les dialogues "allaisiens" et l'essentiel n'est-il pas de s'amuser ? Cette IIIème République qui finira dans les griffes de Pétain et de l'Occupant n'en est ici qu'à sa Belle Epoque - je ne crois même pas que la Grande guerre se profile déjà. L'ensemble se rapproche de Feydeau mais s'affine en quelque chose de franchement plus courtelinesque et l'on sent tout de même un certain sérieux sous ce qui ne se veut qu'une simple pochade.

Bien entendu, lisez "L'Affaire Blaireau" - ça ne vous prendra pas longtemps - et, si vous le pouvez, visionnez le DVD "Ni Vu, Ni Connu." Les occasions de rire et de sourire ne sont pas si nombreuse que cela en cet automne qui laisse présager un hiver rude s'ouvrant lui-même sur une année bien énigmatique ... Dès que j'en trouve le temps - eh ! oui, les aiguilles tournent - je vous mets deux extraits à la place habituelle. ;o)
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