En grande amatrice du cinéma de Woody Allen, de son univers et de son humour, de ses livres aussi (Pour en finir une fois pour toute avec la culture, Dieu,
Shakespeare et moi, entre autres), je ne pouvais que lire son autobiographie.
Mais, c'est avec une certaine appréhension que je l'ai commencée, me doutant que, forcément, forcément il allait évoquer " l'affaire .. mais comme il l'écrit :" Cette histoire viendra plus tard. Et en recèlera d'autres", ajoutant à l'attention de ses lecteurs : " J'espère que vous n'avez pas acheté ce livre pour cette raison".
Alors oui, bien sûr, Woddy Allen en parle mais avant tout, et pour commencer, il nous raconte avec humour son enfance choyée à Brooklyn, comme dans " une bulle", dans une famille juive d'origine russo-allemande, entre une mère (pas si commode que ça entre nous) et un père magouilleur mais aimant, tous deux aussi éloignés de la culture que nous le sommes de la planète Mars. " J'ai grandi comme un prototype de limacon ", dit il tout en arguant avoir été très sportif, optimiste, fédérateur et meneur. Petit garçon amoureux de cinéma, de sport, de radio, de jazz. Se rêvant tour à tour, chimiste, prestidigitateur, agent du FBI ou agent secret. Détestant l'école, cancre donc mais doué pour l'écriture et pour inventer des
histoires, le petit Woody s'est hissé seul avec culot et une certaine inconscience vers le monde du spectacle en présentant ses sketchs devant une dizaine de spectateurs, en comique maladroit, timide et donc irrésistiblement drôle, avant d'attirer l'oeil des producteurs de salles : auteur de sketchs pour des shows télévisés, scénariste en chef (gagnant à lui seul plus d'argent que ses deux parents réunis alors qu'il n'était pas encore entré dans le monde des adultes), il n'y avait qu'un pas pour qu'il ouvre le rideau rouge de l'écran de cinéma (comme Cécilia, l'héroïne de la Rose Pourpre du Caire qu'il créera en 1985). Enfin, il allait pouvoir vivre comme ses idoles : "J'adorais les
comédies au champagne qui se déroulaient dans des appartements immenses", dit-il en assumant son amour du cinéma des années 40.
C'est cette partie du livre qui est la plus passionnante et la plus drôle. On vit avec lui l'entertainment new-yorkais, l'atmosphère bouillonnante d'alors, des talents qui éclosaient, de la fantaisie, de la liberté de ton.
Et puis, parce qu'il faut bien qu'il en parle, parce que l'on sent qu'il faut qu'il s'explique, suivent plus de cent pages concernant l'affaire. Il faut bien que j'avoue que comme tout le monde, j'en ai bien sûr lu des pages et des titres sur cette affaire. Spectatrice malgré moi de tonnes de linges sales lavés en public dans de grosses machines tournant à plein régime, j'ai fait une sorte de
blocage dans un mécanisme de protection afin de ne pas casser le mythe. Résultat, je n'en avais rien appréhendé de précis puisque, selon moi, l'affaire
, c'était sa liaison amoureuse avec sa fille adoptive, Soon-Yi (oui, effectivement, me disais-je). " Quelques cinglés s'imaginent ainsi que j'ai épousé ma propre fille, que j'étais le père de cette enfant, que Mia était ma femme, que j'avais adopté Soon-Yi, et qu'
Obama n'était pas américain. En fait, il n'y a jamais eu de procès. Je n'ai jamais été reconnu coupable de quoi que ce soit, et les enquêteurs ont parfaitement compris qu'il ne s'était rien passé du tout", écrit-il.
Deuxième partie du livre, donc, on y est. Avec forces détails,
Woody Allen nous explique comment il s'est retrouvé au coeur d'un des plus sombres scénario de films de procès - et là, il ne s'agit pas de cinéma -, comment il s'est retrouvé accusé dans les années 1990 d'avoir abusé sexuellement de sa fille de 7 ans, Dylan, par la mère de celle-ci, Mia Farow, sa muse de cinéma et son ex-compagne, alors qu'il avait engagé une bataille judiciaire pour obtenir des droits de visité à l'égard de leurs deux enfants. Alors, je vous passe les détails de cette tragédie familiale, car cette quasi plaidoirie n'est pas la plus drôle de ce livre ( bien évidemment). Lavé par de multiples enquêtes d'experts judiciaires en agression sexuelle sur mineurs, Woody clame son innocence à ses lecteurs et même s'il argue s'en fiche pas mal maintenant, on sent combien le fait d'être blacklisté, d'avoir été lâché par certains de ses amis, du cinéma américain en général et même du New York Times (son journal préféré qu'il dégustait tous les matins en buvant son café) et même par les maisons d'éditions américaines qui ont refusé de sortir son livre (finalement sauvé par un éditeur indépendant), l'a blessé profondément.
En épilogue, il crie son amour inconditionnel et son admiration envers Soon-Yi, son épouse depuis trente ans, et écrit : " Plutôt que de ne jamais cesser de vivre dans le coeur et l'esprit du public, je préfère vivre dans mon appartement" .
Hannah et ses soeurs, Manhattan, La Rose pourpre du Caire, Annie Hall, Stardust Memories, c'est mon cinéma, ce sont des souvenirs de grandes discussions après séances où l'on se refaisait tout le film.
Diane Keaton, ses chapeaux et ses costumes so chic. La neige sur Brooklyn Bridge, les bancs d'amoureux dans les parcs. C'est la ville de New York la mieux filmée du monde et c'est
Woody Allen.