Citations sur Eva Luna (15)
Je me répétai que tant que nous pourrions tenir notre langue, c’était comme si rien ne s’était passé, ce qu’on ne nomme pas n’a pas d’existence, le silence se charge d’estomper jusqu’à le faire disparaître.
Elle sema dans mon esprit l'idée que la réalité n'est pas seulement telle qu'on la perçoit en surface, mais qu'elle a également une dimension magique, et que s'il nous en prend la fantaisie, il vous est tout à fait loisible de l'accaparer, et de la colorier afin que votre passage ici-bas ne soit plus aussi terne.
Je ne porte ni crochets ni écailles d'ophidien, du moins rien qui ne soit visible à l'œil nu. Les conditions un peu bizarres qui entourèrent ma conception ont eu des conséquences plutôt bénéfiques : elles m'ont doté d'une santé inaltérable et de ce tempérament frondeur qui tarda quelque peu à se manifester mais qui finalement, me épargna la vie d'humiliations à laquelle j'étais sans doute destinée. De mon père, j'héritais le sang à toute épreuve, car cet Indien avait du être d'une constitution peu commune pour tenir tête autant de jours au venin du serpent et en pleine agonie, donner du plaisir à une femme. De tout le reste, je suis redevable à ma mère.
Ma mère […] Elle se mettait à parler du passé ou à raconter ses histoires, et la pièce s’emplissait alors de lumière, les murs disparaissaient pour laisser place à des paysages incroyables, des palais bourrés d’objets jamais vus, de lointaines contrées sorties de son imagination
...Ou peut-être bien qu'il n'en a pas été ainsi. Peut-être avions-nous eu la chance de tomber sur un amour exceptionnel et n'ai-je pas eu besoin de l'inventer de toutes pièces ; partant du principe qu'on peut modeler la réalité sur ses propres désirs, peut-être me suis-je bornée à le parer des plus beaux atours pour en faire perdurer le souvenir.
Elle déposait à mes pieds tous les trésors de l’Orient, la lune et mieux encore, elle me réduisait à la dimension d’une fourmi pour me donner à contempler l’univers depuis l’infiniment petit, elle me flanquait des ailes pour le voir depuis le firmament, elle me collait une queue de poisson pour explorer le fond des mers.
Et j'avais parfois l'impression que cet univers fabriqué grâce aux pouvoirs de l'imagination avait des contours plus solides et durables que la zone floue où vaquaient les êtres de chair et de sang qui m'entouraient.
A l’approche de mes dix-sept ans, mon corps atteignit ses proportions définitives et mon visage épousa les traits qui à ce jour ne m’ont plus lâchée. Je cessai dès lors de me contempler dans la glace pour me comparer aux perfections faites femmes du cinéma et des magazines de mode, et décrétai que j’étais belle pour la simple et unique raison que j’avais envie de l’être.
- Je suppose que c'est quelque chose qui ne durera pas ?
- Et moi, j'espère bien que c'est pour toujours.
- Rien n'est pour toujours, ma fille. Sauf la mort.
Je ne concevais pas que ces cabrioles eussent quelque chose à voir avec l'amour, elles m'apparaissaient seulement comme une façon de gagner sa vie, à l'instar de la couture ou de la mécanographie. L'amour était celui des chansons et des feuilletons radiophoniques, fait de profonds soupirs , de baisers, de déclarations enflammées.