Citations sur Faire mouche (31)
Laurent, répéta-t-elle, où est Constance?
Elle venait de faire mouche.
Qu’est-ce que tu fais ? Et le café ? Je restais assis. Il fallait attendre. J’avais pourtant besoin d’air. Je regardais par la fenêtre. Roland avait dit vrai. Le beau temps était revenu. Le soleil entrait dans le salon en dessinant des trapèzes sur le sol carrelé. Après le café, ma mère nous raccompagna jusqu’à la porte. Alors ? Cette langue ? C’était bon, répondit Claire en reprenant son K-way. Bon, répondit ma mère avec satisfaction, tant mieux. Je vous donnerai la recette. Comme ça, dit-elle en me désignant de la main, quand je serai morte, ça lui fera un souvenir de moi.
Des deux mains, elle fouilla rapidement dans la fourrure comme si elle allait extraire quelque chose par la fente qu'elle venait de faire, puis, d'un coup sec, elle décolla la peau, la divisant en deux parties bien distinctes d'un geste franc, laissant soudain apparaître le corps à vif du quadrupède fraîchement dépouillé, dont les muscles lisses et luisants étaient d'un affreux rose violacé.
Tiens, un revenant dit-elle.
En contrejour, la silhouette de ma mère venait d’apparaître de profil en haut de l’escalier. Une main sur la rampe, elle descendit quelques marches, puis, arrivée sur le palier intermédiaire, là où l’escalier changeait de direction et nous faisait face, elle marqua un temps d’arrêt en nous considérant un instant à distance, Claire et moi, plantés dans l’entrée.
Éclaire, dit-elle en regardant Roland, on n’y voit rien.
J’aurais aimé lui conseiller de tourner la page, mais, de ce ton glacial qu’elle pouvait avoir lorsqu’on évoquait certains sujets, elle m’aurait demandé quelle page. Quelle page, Laurent, veux-tu que je tourne ?
Nous avions passé trop d’années sans nous donner de nouvelles ma cousine et moi. En grandissant, à défaut de pouvoir se détériorer, nos rapports s’étaient naturellement distendus. On ne se connaissait presque plus.
J’expliquai à Claire que Lucie m’avait longtemps protégé parce qu’elle était plus âgée, mais je n’eus pas envie d’en dire davantage. Je ne lui dis pas ce que ma cousine m’avait raconté à la mort de mes grands-parents et la raison pour laquelle nous nous étions fâchés.
Les pas se rapprochèrent. Toujours assis, mon oncle fixa l’embrasure de la porte de la cuisine pour guetter l’arrivée de Constance. Claire apparut, affichant un sourire enjoué. Excusez-moi, dit-elle, j’étais au téléphone.
Mon oncle se leva péniblement de sa chaise. Je lui désignai Claire de la main. Je te présente Constance, dis-je.
Je hochai la tête d’approbation. Le bord de ses paupières était luisant, le bout de son nez enflé. Sa peau, très rouge et grumeleuse dans le cou, me faisait penser à celle des dindons qui traînaient autrefois en liberté dans le hameau. Ça ne se voyait pas vraiment qu’il avait arrêté de boire. Mais j’étais content de le revoir. Je m’assis face à lui, de l’autre côté de la table. Un premier silence s’installa entre nous
Alors, depuis le temps ?
ça va, exagérai-je