LE SCRIBE ERRANT
LITURGIES DE L'ABÎME
La voix noire
Salut aux épines des roses
aux barbelés
à tout ce qui griffe râpe et use
en acte ou en pensée.
Aux angles aigus du monde
dont la tâche consiste à blesser
en passant
sans haine et sans honte
l'être étranger.
p.198
//LA PAROLE PLANÈTE/Au dieu qui danse à l'orée du matin
Une présence est là dissimulée en l'âme obscure
de la lumière
feu plus pur que le feu
lait plus tendre que le lait
si proche que ton cœur n'est pas de toi plus près
et lointain comme l'horizon qui s'enfuit devant tes pas
puis revient agneau sans grelot
manger le ciel entre tes doigts.
p.142
Il reste encore un peu de jour au fond des mots
Un peu de lait qui luit
Un filet d'eau
Pas de quoi faire tourner les grands moulins de la parole.
Pas de quoi faire tonner les grandes orgues du Cantique.
Mais celui-là qui va dans le froid sans manteau
Attendre sur un quai d'Asie
L'arrivée lente et déchirante d'un vieux navire
N'ayant plus que la pluie pour patrie
Et le vent comme paysage
Bénira tout entier le langage
Pour la chaleur et la saveur de pain
D'un nom de femme chuchoté dans le matin.
La Parole planète
Je suis les choses que je dis :
les sons que je profère
m’investissent du pouvoir d’être autre
et de me taire.
Un mot est l’univers
Je murmure : « palombe » et le ciel est plein d’ailes...
LA PAROLE PLANÈTE / Au dieu qui danse à l'orée du matin
Extrait 3
Te revoici cousu de fil blanc
sur la tapisserie du givre
frontalier de l'illimité.
p.137
D’UNE VOIX D’AUBE
La Voix est venue m’éveiller
fraîche et nue mouillée de rosée
d’avoir longtemps erré à travers les scabieuses
le fenouil l’absinthe étoilée.
Regard filant au ciel ainsi que vocalises
œil flottant sur la vibration de la clarté
je procède au partage des eaux
je rends sa rondeur à la Terre
et je remets en liberté les mots :
mots saumons qui remontent l’onde
mots lézards mi-nuit mi-soleil
mots muscat oracle des treilles.
Enfin usant d’un silence plein d’ailes
d’œillets de lavande et de thym
je fais à l’aimée encore en sommeil
dédicace de ce matin.
//Le Castor Astral, 2018 (version définitive)
LE SCRIBE ERRANT
GENÈSES
D'un verger la nuit
J'écris pour toi ce verger d'ombre
afin que tu puisses cueillir
aux branches basses de la nuit
les figues bleues des galaxies
Mars pomme rouge et Vénus au sang vert.
Eau dormante à qui rêves-tu ?
J'habite en ton nom chaque insecte
la fourrure des lièvres et les labyrinthes d'écailles
du ruisseau.
Je vole sous la plume fauve de l'effraie.
Chaque souffle en mon torse respire.
Tous les vent en passant m'arrachent des secrets.
Et je laisse filer au puits de l'au-delà
un seau pour qu'il remonte à vifs remous ma soif
et le ciel tout ce ciel avide qui me boit.
p.190
//LA PAROLE PLANÈTE/Au dieu qui danse à l'orée du matin
Il y a l'œil et l'œil au fond de l'œil
l'œil du centre
du côté droit
du côté gauche
l'œil au-dessus de l'œil
et celui du dessous
chacun cherchant à joindre les deux bouts
de l'image.
Puis viennent d'autres yeux captifs du dedans
tissant le clair-obscur au sein des cécités.
Mais l'œil dissimulé au plus lointain de l'être
que nul ne vit jamais et qui rayonne pour lui seul
dans le noir
cet Œil majeur est le seul à tout voir.
p.138
//LA PAROLE PLANÈTE/Au dieu qui danse à l'orée du matin
Nulle frontière.
De son soc éclatant le jour fore l'espace
incendié d'abeilles.
À chaque pas je me dépouille des bandelettes
qui m'enserrent
je m'allège
de cette opacité de la chair qui explose fruit mûr
pour s'entrouvrir à la clarté :
la transparence est là si proche que j'en tremble
sans cesser d'avancer à pattes de velours
vers l'escalier des phrases pharaonnes.
p.131
Or le poète n'est-il pas entre tous celui qui dénombre et rassemble
Les cris enclos dans le silence
De chaque existence en elle-même incarcérée ?
Or le poète n'est-il pas entre tous l'homme qui nomme ?
Celui qui fait sourdre ainsi que le jus d'un fruit mûr
L'appel de l'âme - ailé murmure
Contenu dans le cœur opaque des éléments ?
Or le poète n'est-il pas entre tous celui qui délivre
Cette luminescence cette buée de mots à venir
Circulant dans les eaux souterraines
Fusant du dedans gris de l'arbre jusqu'à la galaxie des feuilles ?
Or le poète n'est-il celui qui affirme que rien ici n'est achevé
Que les choses ne sont que l'ébauche des choses
Que la matière exige d'être corrigée par l'esprit
Et qu'il manque un corps à cette âme ?