Citations sur Dona Flor et ses deux maris (10)
Si beau et si mâle, si expert dans le plaisir ! Une fois de plus les larmes envahirent les yeux de la jeune veuve. Elle essaya de ne pas penser à ce qu'elle se remémorait malgré elle et qui n'était pas convenable pour un jour de veillée funèbre.
Jamais une amourette ne l'empêcha de savourer la vie pleine et lumineuse, jamais une absence féminine, une dispute, la fin d'une liaison, ne le rendit morose, avec l'âme creuse et des idées de suicides. Il allait vers un autre corps de femme comme il changeait de table de jeu lorsque le 17, son numéro favori, ne sortait pas.
Tombée sur le lit de fer, dona Flor frémissait. Cette nuit-là le fiel se transforma en miel, de nouveau la douleur naissait dans le suprême plaisir ; jamais elle n'avait été si violente cavale montée par son fougueux étalon, si licencieuse chienne en chaleur et possédée, esclave soumise à la débauche, femelle parcourant tous les chemins du désir, plaines de fleurs et de douceurs, forêts aux ombres humides et aux sentiers défendus, jusqu'au réduit final. Nuit où l'on pénétrait par les portes les plus étroites et les plus fermées, nuit de la reddition du dernier bastion de sa pudeur, oh ! Deo gratias, alléluia ! Quand le fiel se transforme en miel et que la douleur devient le rare, l’étrange, le divin plaisir, nuit faite pour se donner et recevoir.
Tavinha Manemolência ne touchait pas par ébats amoureux, mais pour la nuit entière, même lorsque le client, limité dans sa liberté par un contrôle familial, sortait à la hâte, n'utilisant que le temps mesuré d'un mensonge. Prix salé, tarif élevé, plaisir cher ; mais tant de recherche et d'attentions, tant de gentillesse et de compétence valaient la dépense.
Le docteur Teodoro restait jusqu'à minuit, faisait parfois un somme dans le lit au matelas moelleux et chaud, avec l'aimable Tavinha veillant sur son repos. Avant de s'en aller, elle lui apportait encore un entremets, du riz au lait, du maïs sucré, et un autre petit verre de liqueur pour "restaurer ses forces", comme le lui murmurait avec un sourire câlin la très brune et digne ribaude.
Les mercredis et samedis, invariablement à la même heure, dona Flor distinguait les mouvements discrets et répétés de son mari dans les profondeurs du lit. A demi dressé pour l'étreindre, le drap lui couvrant les bras ouverts et les épaules, le docteur lui semblait un parapluie blanc et immense défendant sa pudeur féminine, la protégeant même en ce suprême instant d'abandon. Un parapluie, vision sans drôlerie, image inhibitive, quel dommage !
Moyen-Age, féodalisme, Sainte Inquisition - a-t-on jamais vu une femme de trente ans, veuve, maîtresse d'elle-même et de l'argent gagné par son travail, avoir besoin de témoins pour recevoir la visite de son fiancé, gentleman de quarante ans? Au Brésil seulement... aux Etats-Unis, ce serait un rire général...
Si beau et si mâle, si expert dans le plaisir ! Une fois de plus les larmes envahirent les yeux de la jeune veuve. Elle essaya de ne pas penser à ce qu'elle se remémorait malgré elle et qui n'était pas convenable pour un jour de veillée funèbre
Vadinho, premier marie de Dona Flor, mourut un dimanche matin de carnaval alors que, déguisée en Bahianaise, il dansait la samba dans un groupe, au milieu de la plus grande animation, sur la place du deux-juillet, non loin de chez lui.
Il n’est pas facile de déterminer l’heure et la minute précises où commence l’amour, surtout lorsque c’est l’amour définitif d’un homme, l’amour de sa vie, déchirant et fatal, indépendant de l’horloge et du calendrier.
Bien que ce soit un jour désordonné de lamentations, de tristesse et de pleurs, ce n'est pas une raison pour laisser la veillée s'écouler à jeun. Si la maitresse de maison, sanglotante et près de s'évanouir, plongée dans la douleur, ou morte dans le cercueil, n'est pas en état de le faire, un parent ou une personne amie se charge alors d'organiser la veillée, car on ne va pas laisser ainsi, sans manger ni boire, les malheureux réunis solidairement pour la nuit, parfois en hiver et par temps frais.