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sur 199 notes
Je fréquente les romans de Martin Amis depuis - Money, Money - et - La flèche du temps - dans lequel étaient déjà évoqués le nazisme et les camps d'extermination.
- La zone d'intérêt - m'a été suggéré par un ami juif, journaliste, dévoreur de livres, dont la grand-mère a été déportée à Auschwitz et s'est retrouvée lors "d'une soupe" au camp, face à face avec Mengele.
En dépit de l'acuité littéraire de cet ami, de sa relation aux génocides nazis, il m'a fallu quelques années avant d'oser franchir le pas, anxieux que j'étais de tomber sur une "profanation" sous couvert de l'art supposé qu'auréolerait un livre sur la Shoah, qui est, comme il m'arrive souvent de le répéter, LE marqueur de l'histoire de Sapiens, et pas le détail qu'un certain néo-fasciste français a consenti à lui donner du bout de ses lèvres nazillonnes.
Qu'il soit dit d'entrée de jeu que qualifier le texte d'Amis de montypythonien et se limiter à ce seul aspect de son roman, équivaut à ne retenir d'un livre que la forme et passer complètement à côté du fond. C'est aimer ce même livre pour sa reliure ou l'inverse à cause de sa couverture. C'est enfin ignorer que l'apparence n'est rien, qu'elle est trompeuse si l'on renonce à chercher le coeur qui se cache derrière elle, ce coeur au fond duquel baigne la plaie emplie de sang.
L'histoire est chorale et donne successivement la parole à Thomsen, officier SS neveu de Martin Bormann, haut dignitaire nazi et conseiller d'Hitler, lequel Thomsen va tomber follement amoureux d'Hannah Doll, épouse du commandant du camp Paul Doll, surnommé par ses hommes " le vieux pochetron ", et à Szmul, un Sonderkommando ou Arbeitsjude (esclave juif, en général, forcé contre trois mois de survie de participer à la solution finale).
Cette histoire d'amour autour de laquelle évoluent de nombreux personnages va être la première écriture palimpseste de ce roman où la seconde écriture va être celle de l'horreur nazie et du plus grand crime de masse programmé dans l'histoire de l'homme.
Nous sommes à Auschwitz et Doll n'est autre que Rudolph Höss.
La force de l'oeuvre d'Amis est d'avoir su, par un tour de force d'écriture, nommer certains éléments du camp de la mort différemment.
Le Canada ( "Les Entrepôts du Kanada ou les Entrepôts du Canada ou simplement le Kanada ou le Canada sont des entrepôts localisés dans le camp de concentration d'Auschwitz, où toutes les possessions des nouveaux déportés, les Juifs en grande majorité, sont placées dès leur arrivée. L'appellation de Canada fait allusion au pays du même nom, avec toutes ses ressources. Dans le langage du camp, c'est l'endroit où l'on trouve tout.") par exemple est rebaptisé Kalifornia, sans que le lecteur puisse y voir autre chose que ce que c'était vraiment.
Sa force, c'est d'être parvenu à pousser plus loin la caricature, le grotesque, l'abject d'hommes et de femmes qui pourtant s'étaient employés à faire de leur vie ce qu'il y avait de plus caricatural, de plus grotesque et de plus abject.
Et ce faisant, le tour de force d'Amis, c'est de parvenir enfin à nous rendre l'horreur encore plus innommable, encore plus insupportable.
Un nazi à propos de ce qui est censé être ignoré de ce qui se passe dans les camps : " Des secrets ? Quels secrets ? Toute l'Allemagne se bouche les narines..."
À propos de l'odeur : "carton moisi et huile avariée qui nous rappelle que l'homme descend du poisson"...
Dans les camps, l'odeur est partout, tout le temps... la femme de Doll fume, c'est illégal pour les femmes, des Davidoff ;" ça masque l'odeur "...
La neige est teintée de brun...
Après la défaite, les survivants continuent et continueront, dit-elle, de porter l'odeur et de sentir cette odeur sur ceux qui de près ou de loin ont participé ou se sont tus.
Tout est abordé dans le bouquin d'Amis, depuis ce qui a précédé l'arrivée des nazis au pouvoir jusqu'à leur chute et les quelques années qui suivent celle-ci.
Lorsque j'utilise le qualificatif de palimpseste, c'est parce que en première écriture, on peut lire, Doll assistant à une représentation théâtrale avec sa femme :
" Après plusieurs cocktails au bar du théâtre, Hannah et moi rejoignîmes nos sièges au 1er rang. Les lumières faiblirent et le rideau monta en grinçant vers les cintres, révélant une laitière trapue qui se lamentait de son garde-manger vide. Les Bois chantent éternellement traitait d'une famille de fermiers pendant le rude hiver qui suivit le Diktat de Versailles... Hormis quoi, je ne vis presque rien des Bois chantent éternellement. Non que je me fusse assoupi - au contraire - Il arriva quelque chose de fort particulier. Je passai la totalité des 2 heures et demie à estimer ce qu'il faudrait (étant donné la hauteur de plafond prévue contre l'humidité ambiante ) pour gazer le public du théâtre, à me demander quels vêtements pourraient être récupérés et combien pourraient rapporter tous ces cheveux et ces dents en or..."
D'une efficacité glaçante !
En deuxième écriture, on peut lire :
"-Nous nous étonnons de la nature industrielle de la méthode, de sa modernité. Ce qui est compréhensible. C'est très frappant. Mais les chambres à gaz et les crématoires ne sont que des épiphénomènes. L'idée était d'accélérer le processus et de faire des économies, cela va de soi ; sans compter qu'on essayait ainsi d'épargner les nerfs des bourreaux. Les bourreaux... ces roseaux graciles. Mais les balles et les bûchers auraient fait l'affaire, en fin de compte. Ils avaient la volonté.
Il est bien connu que les Einsatzgruppen en ont déjà tué plus d'un million par balle. Ils y seraient arrivés... de cette façon. Des millions de femmes et d'enfants. Par balle. Ils en avaient la volonté.
-Que pensez-vous... de ce qui nous est arrivé ? de ce qui leur est arrivé ?
-Cela leur arrive encore maintenant. C'est un phénomène bizarre, inhabituel. Si je ne dis pas "surnaturel", c'est seulement parce que je ne crois pas au surnaturel. Mais ça donne l'impression d'être surnaturel. Leur volonté. D'où la tiennent-ils ? Leur agressivité est teintée de soufre. Un vrai souffle de feu de l'enfer. Ou peut-être cela a-t-il été au contraire très humain, purement et simplement humain...
Peut-être tout cela arrive-t-il quand on répète constamment que la cruauté est une vertu. Digne d'être récompensée comme tout autre vertu... par des privilèges et du pouvoir. Comment savoir. L'attrait de la mort... tous azimuts. Avortements et stérilisations forcés. Euthanasie... par dizaines de milliers. le goût de la mort est véritablement aztèque. Saturnien.
Oui, moderne, voire futuriste. Ça, mêlé à quelque chose d'incroyablement antédiluvien. Remontant à l'époque où nous étions tous des mandrills et des babouins."
Implacable réquisitoire.
Grâce à un lexique revisité en partie, à une langue dont la muzikalité donne le La à la brutalité, à l'horreur, au ridicule et au grotesque, Amis en fait prendre pour leur grade à ces êtres qui sont sortis de l'humanité, et fait monter d'un cran la répulsion extrême qu'ils nous inspirent.
La Shoah et ses victimes, contrairement à ma peur initiale, conservent tout le tragique de ce que fut leur impensable "destinée".
Pour conclure, je repense à cette phrase répétée de manière obsessionnelle par Doll-Höss :
"Il n'est pas vain de répéter que je suis un homme normal avec des sentiments normaux".
Et en écho les mots de Primo Levi :
"Aucun être humain normal ne pourrait jamais s'identifier à Hitler, Himmler, Goebbels, Eichmann et quantité d'autres."
Magnifique travail de documentation de Martin Amis, dont on peut prendre connaissance en postface.
Un grand bouquin au réalisme fou, à la vérité historique respectée... à ceci près :
" Comme je l'ai dit, au début, au professeur Evans, la seule liberté consciente que j'ai prise aves les faits attestés a été d'avancer de dix-sept mois la défection à l'URSS de Friedrich Paulus ( le commandant défait de Stalingrad ). Hormis quoi, je colle aux faits historiques, à "ce qui s'est fait", dans toute son horreur, sa désolation et son opacité sanguinaire." ( Martin Amis ).
Je remercie Alain Stern de m'avoir orienté sur la piste de ce livre, livre que je vous recommande.



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Quand Gallimard refuse la publication de la zone d'intérêt de son bad boy Martin Amis en prétextant un roman choquant et pas à la hauteur du sujet traité (l'Holocauste), große Schock et große Interrogazions se profilent dans le milieu littéraire. Mais le bon chevalier blanc, Calmann-Lévy, qui a flairé le buzz et le bon coup, s'empresse de consoler Amis et s'empare du bébé.
Cucul et naïve comme je suis, il n'en fallait alors pas plus pour attiser ma curiosité et me jeter sur ce livre polémique.
Allez, je vous épargne le suspens, mon verdict après lecture : encore une jolie tempête dans un verre d'eau. Ratage de Amis, point.

Avant tout, on plante le décor: retour donc en seconde Guerre mondiale dans un camp d'extermination double d'Auschwitz, avec trois personnages principaux et une cohorte sans fin de personnages secondaires, tertiaires et x-iaires.
Martin Amis choisit d'alterner les points de vue de ses trois protagonistes: un commandant de camp double de Rudolph Höss, un fonctionnaire allemand double de ces milliers d'officiers juste serviles et obéissants au petit taré moustachu et à ses sbires, et un détenu juif double de ces millions de malheureuses victimes de cette haine sans limite (Szmul pour être précis, et seul personnage qui mérite qu'on retienne son nom, humble hommage de ma part).
L'auteur nous présente la vie du camp dans une écriture cacophonique à la limite du supportable. Pour commencer, il nous noie en permanence sous du vocable allemand qu'on cherche à comprendre au début, puis qu'on zappe très vite, le sens important peu finalement puisqu'il s'agit davantage d'imprégner le lecteur de la deutsche rigueur que de lui faire réviser son lexique (Tiens, je serais curieuse de connaitre ce que donne la version allemande du bouquin du coup..). Ensuite, on passe régulièrement du coq-à-l'âne, et toute concentrée que j'étais pourtant, quantités de lignes me sont restées bien énigmatiques.
On est donc dans un inconfort de lecture permanent. Mais lorsqu'on choisit comme Martin Amis de traiter de l'Holocauste sous un angle satirique et provocateur, c'est fort regrettable: il serait plutôt souhaitable de ne pas perdre son lecteur sous peine de groß mécontentement, nicht? Toutefois, soyons juste, son humour grinçant pour ridiculiser l'idéologie nazie ne m'a pas incommodée pour autant connaissant la réputation sulfureuse de Amis qui n'en est pas à son coup d'essai.
Bon, finalement seuls les trop maigres chapitres consacrés à Szmul méritent un réel intérêt à mes yeux car sans ironie et emplis d'humanité dans ce ramassis de frivolités.

Malgré la postface dans laquelle l'auteur semble vouloir se justifier (on le ferait à moins) ou s'excuser (pourquoi pas, un moment de lucidité est toujours le bienvenu), je ne parviens toujours pas à élucider les intentions de Martin Amis sur ce choix thématique. Tout comme je ne comprends pas pourquoi ce roman est considéré comme chef-d'oeuvre outre-Manche, récompensé me semble-t-il qui plus est.

Pour moi donc: Gallimard 1 / Calmann-Lévy 0
Pfiou, ça fait du bien de jouer les arbitres, et ça console d'être cucul et naïve.
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Martin Amis a déjà écrit un roman sur la barbarie nazie avec La flèche du temps, l'histoire d'un médecin à Auschwitz, contée à rebours avec une virtuosité qui diluait la monstruosité de ses actes tout en les faisant apparaître, après réflexion, encore plus atroces. Un livre brillant qui est sans doute le meilleur de l'écrivain britannique. Avec La zone d'intérêt, Amis choisit une fois de plus d'évoquer l'horreur par un prisme original, a priori volontairement choquant et provocateur. Trois personnages : le commandant d'un camp (celui d'Auschwitz même si le nom n'est pas prononcé), un officier SS et un membre d'un Sonderkommando racontent leur quotidien chacun à tour de rôle. Hormis pour le témoignage du dernier, le ton est déroutant et le style de l'auteur accentue encore cette impression. Entre des considérations sur la toute puissance du Reich, la machinerie implacable de la solution finale et les ennuis de logistique pour répondre à la nécessité de rendement imposé par Berlin, on y retrouve une sorte de triangle amoureux autour de la femme du commandant. Choquant ? Oui et non. Paradoxalement, ce le serait si le livre était passionnant mais c'est loin d'être le cas. Répétitif, lourd de par son style, n'est-il finalement pas inutile ? Le mécanisme du camp de concentration, cette usine de mort, a déjà maintes et maintes fois décrit y compris à l'écran dans l'Amen de Costa-Gavras. Les Sonderkommandos ? D'une part, ils n'ont qu'une petite place dans le roman et, d'autre part, pour ceux qui ont vu en avant-première le film Le fils de Saul, souvent insoutenable, bien qu'il laisse l'abomination en lisière, la comparaison ne tient même pas. Bref, La zone d'intérêt est un drôle d'ouvrage qui peut perturber mais qui finit surtout par ennuyer.
Lien : http://cin-phile-m-----tait-..
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Funambule sur un fil arachnéen cherche angle d'attaque pour traiter l'un des plus grands crimes de l'humanité.
Funambule qui vient à la suite des Bienveillantes, de Jonathan Litell.
Que peut-on ajouter à ce chef d'oeuvre désespéré ?
Il me semble que Martin Amis a trouvé.
Là où Litell donnait à son personnage la substance tragique d'Oreste, une histoire et presque une âme - diabolique mais une âme, Amis réplique par la vacuité complète, l'inanité, le creux, le vide, le rien, le néant, le Nichts. Rien, il n'y a rien ni dans l'esprit ni dans le corps des personnages. Aucune substance. Ce sont des girouettes ballotées au gré du vent. Un vent qui vient du front de l'est, de Stalingrad, très exactement.
Ce texte n'est pas une farce. Golo Thomsen, SS convaincu et dénaturé, très impliqué dans l'extermination des Juifs, est plus ou moins planqué à Auschwitz pendant que ses camarades se battent en Russie. C'est le neveu de Martin Bohrman. Il se promène de ci de là, en tripotant les femmes du bocage silésien, les kapos, éventuellement les femmes d'officiers. Parfois, il donne un avis éclairé aux ingénieurs d'IG Farben, qui implantent une usine dans le camp, s'opposant à tout assouplissement du régime des prisonniers pour en faire de meilleurs esclaves. Car IG Farben, en bon gestionnaire de ses ressources humaines, souhaite que les esclaves ne meurent par comme des mouches. Ce n'est pas rentable. Kreativ Vernichtung. Anéantissement créateur de richesse. Mmmm IG Farben...
Golo tombe soudainement amoureux d'Hannah Boll, l'épouse aryennement parfaite de Paul Boll, commandant du camp d'extermination, double de Rudolf Hoss. Il se confie à son ami Boris, nazi fanatique, officier de la wehrmacht, puni quelques temps et mis au placard à la gestion du camp. Il n'espère qu'une chose, repartir au plus vite sur le front de l'est. Boris ressent une attirance contre nature pour Esther, une jeune prisonnière.Paul, Boris, Golo et quelques autres travaillent avec plus ou moins de satisfaction à l'extermination des Juifs. Hanna est gênée par l'odeur, mais bon, les Juifs, il faut bien s'en débarrasser...Et puis soudain, revirement de situation, voilà qu'Hanna et Golo ont des états d'âme...Et si ce n'était pas bien, pas normal, ce qui se passe là bas, dans les douches ? Dans les fours ? Pourquoi ce revirement ? Est-ce l'amouuuur? Qui donne une conscience ? Non, c'est Stalingrad, qui annonce que la guerre est perdue, que le reich est foutu, qu'il va falloir changer de refrain. Golo et Hanna s'y attellent, horribles pantins désarticulés mus par le vent qui tourne...
Voilà le coeur de l'histoire. Stalingrad, son message. Ce n'est pas dit clairement, il faut le lire entre les lignes. Aucun des personnages ne prend conscience de ce qui lui arrive, car aucun n'a de conscience.
Golo et Hanna sont des zéros, des nuls, dont l'"amour" est rendu abject.
Paul Boll demeure l'abruti fanatique qu'il est, irrécupérable.
Szmul, le Sonder ( Juifs réquisitionnés pour pousser les leurs dans les douches en leur mentant) finit par ...On ne peut pas juger un homme mis par immonde perversité dans cette situation.
Boris, boum.
Ce n'est pas une farce, tout est abject là dedans, tout est monstrueux. Les êtres sont vides. Que le vent tourne encore, et ils y retourneront, au camp d'extermination, faire leur petit boulot et leurs courses. C'est là la nouveauté, l'angle d'attaque et la zone d'intérêt. Pas d'esprit, ils sont différents du personnage de la mort est mon métier, ou des autres livres que j'ai lus sur le sujet. Juste vides. Pas de principe, pas de valeurs, pas de morale, pas de sentiments, pas d'idées, pas de vie intérieure. Des zombies. Mordseele. Ame meurtrière. Âme morte.
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C'est le premier livre que je lis qui se déroule durant une guerre et je crois que j'aurais du m'abstenir de lire celui-ci avec son côté très sarcastique et me diriger vers quelque chose d'autre.

Le côté Monty Python des officiers avec ce qu'ils font subir aux victimes est très déconcertant tout au long du roman et les nombreux mots d'allemands gênent la lecture (même sans comprendre l'allemand on arrive à suivre tout de même).

Je crois que ce livre a beaucoup bénéficier du refus de son éditeur à le publier.
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une histoire d'amour au milieu du charnier de la Shoa insoutenable.
le style limpide est d'autant plus inquiétant.
Malgré la qualité du texte, je n'ai pu le suivre tant il fait naître de souffrance.
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JoyeuxDrille écrit dans sa critique : « Un livre qui, d'évidence, ne plaira pas à tout le monde et en laissera d'autres perplexes. » J'appartiens à la catégorie des perplexes. La « zone d'intérêt » raconte la vie d'un camp de concentration, le Kat Zet 1, du triple point de vue narratif de Paul Doll, le commandant du camp, d'Angelus Thomsen, un officier nazi coureur de jupons et de Szmul, un sonderkommando affligé.
Paul Doll est le double fictif de Rudolf Höss, l'officier qui a commandé les camps de concentration et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. C'est un homme dépourvu de toute conscience et de toute empathie pour ses victimes. Ses deux principaux soucis sont d'améliorer l'efficacité des massacres et d'obtenir à nouveau les faveurs de son épouse Hannah. Martin Amis le dépeint en bouffon alcoolique désigné par ses collègues nazis sous le joli sobriquet de ''vieux pochetron''. Quand Amis le fait parler, il place des « Ach », des « nicht » et utilise des mots allemands pour désigner l'anatomie féminine des femmes. Par ses tics de langage, le personnage m'a fait penser au Colonel Klink de la série « Papa Schultz »… La satire est si grossière que Martin Amis est à deux doigts de le représenter traversant le camp en tutu rose… Après une journée passée à la rampe à aopérer des sélections sur les convois, Doll rejoint sa femme et ses deux filles dans sa maison bourgeoise située à proximité du camp.
Angelus Thomsen est le neveu de Martin Bormann, un personnage historique, chancelier du Parti nazi et secrétaire de Hitler. Il doit son grade à son oncle mais semble peu concerné par l'idéologie nazie. Pour résumer son activité il déclare : « Je rute, je rute, je rute ». Il tombe éperdument amoureux d'Hannah Doll.
Le personnage de Szmul apporte une dimension tragique à l'oeuvre. Il est responsable des Sonderkommandos, ces prisonniers qui ont participé au processus de la solution finale en aidant par exemple à la sélection ou en récupérant sur les victimes tout ce qui pouvait avoir une quelconque valeur. Il a vendu son âme pour survivre quelques jours, quelques semaines de plus. Szmul est la conscience du roman. Il voit l'horreur. Il sait.

La «zone d'intérêt» désigne la région d'Auschwitz. Cette formule utilisée par les nazis a une connotation économique . le roman évoque en effet la construction au sein du complexe concentrationnaire de la Buna-Werke, une fabrique de caoutchouc financée par l'entreprise IG Farben. Martin Amis fait débattre les officiers SS et les ingénieurs de la firme : est-il nécessaire d'affamer et d'épuiser la main-d'oeuvre fournie par les déportations ? Il interroge le rôle et la culpabilité de ces « perpétrateurs de bureau » et de ces « meurtriers bureaucrates ». La zone est délimitée par cette odeur pestilentielle de cadavres enterrés à la va vite avec laquelle il faut apprendre à vivre. Certains s'y habituent, c'est la « banalité du mal », d'autres non. Comment rester humain au milieu de l'horreur ? Comment vivre après avoir côtoyé le mal ? Comme le déclare Hannah à la fin du roman : « ce serait dégoûtant que quelque chose de bien sorte de cet endroit ». La culpabilité peut mener à la folie ; le roman peut se lire sous la lumière du Macbeth de Shakespeare, qui est cité en préambule.

Martin Amis se justifie dans sa postface. Il s'est longuement documenté. Et c'est vrai que la fiction colle aux faits historiques du camp d'Auschwitz. Traiter ces événements de manière décalée peut se révéler précieux pour apporter une nouvelle lecture de la Shoah. Après, nous sommes en droit de nous demander s'il était vraiment utile de faire d' un dignitaire nazi un obsédé sexuel, de dépeindre le commandant d'un camp d'extermination en clown grotesque atteint de troubles psychiques, et de parsemer le récit de mauvaises blagues. Etait il nécessaire de donner tant de place au coup de foudre de Thomsen? Cette satire excessive plombe une oeuvre qui partait sur de bonnes problématiques et un traitement original.
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Eclair, tonnerre, averse, soleil, arc-en-ciel : la météorologie du coup de foudre. C'est ce qu'a ressenti Angelus Thomsen pour la belle Hannah : rien de très original; ce qu'il l'est davantage ce sont les personnes impliquées et l'endroit où survient ce coup de foudre.Angelus, officier SS de haut rang n'est rien moins que le neveu d'adoption de Martin Bormann, secrétaire d'Hitler; Hannah mère de jumelles blondinettes est quant à elle la femme de Paul Doll, également appelé le vieux pochtron, commandant de la Zone d'intérêt (une des expressions utilisées pour parler d'Auschwitz).
Nous sommes en 1942.
Le début du roman a tout du vaudeville : une femme, un mari, un amoureux, l'ami de celui-ci Boris., un prétexte pour un roman dont l'objectif est tout autre.
Comment parler de la Soah en se plaçant du côté des bourreaux, sans utiliser les mots et le style que d'autres avant vous ont utilisés? Comment ne pas tomber dans le voyeurisme macabre, voire gore?
Martin Amis a choisi la satire, la dérision, comme Edgar Hilsenrath dans "le barbier et le Nazi" entre autre. Pour moi son roman s'apparenterait plutôt au film de Chaplin "Le dictateur", mais là où Chaplin se moque des dirigeants, Amis, lui, jette son dévolu sur les exécutants. Ceux qui dans leur vie quotidienne et malgré tous leurs problèmes personnels ou "professionnels", n'avaient qu'une obsession : accomplir de leur mieux les directives venues d'en haut et la réalisation des objectifs. Celui de Paul Doll est d'exécuter un maximum de déportés, Celui d'Angelus est de faire tourner la machine de guerre , en les utilisant dans son usine de carbure ( Auschwitz est une zone d'interêt et doit être rentable à tout point de vue). Sans oublier Schmul, le sonderkommando le plus triste du monde qui espère en se faisant remarquer le moins possible, vivre suffisamment longtemps pour témoigner de ce qu'il a vu.
On s'épie, on se jauge, on se plaint des uns aux autres car si tous sont en apparence des nazis certifiés, tous n'ont pas le même vécu. Paul Doll passé de la gauche au nazisme, s'est donné beaucoup de mal pour en arriver là et remplit son rôle d'executeur avec une rigueur qui ne supporte aucune désorganisation, si minime soit-elle. Pour lui, Angelus, neveu de Borman, plutôt flegmatique est un pistonné dont il se méfie (à raison). Pour Angelus et Boris, Paul Doll n'est jamais que "leur petit Eichmann avec sa planchette et son sifflet".
Ces administrateurs zélés sont grotesques, et ceci ne fait que renforcer l'horreur d'une situation où le plus grand nombre dêtres humains va être exterminé pendant que cette petit poignée qui a leur vie entre les mains cherche à s'occuper entre 2 "arrivages". Car si on y tue en masse, il faut aussi tuer le temps.; On boit, on mange (beaucoup), on assiste à des concerts, à des pièces de théatre (dans lesquelles jouent des déportés) mais il faudrait quand même beaucoup d'aveuglement pour continuer à faire semblant de vivre "normalement", alors qu'à la neige qui tombe se mêlent les cendres des crématoires et que la population des alentours se plaint de l'odeur.
Ce roman n'occulte rien des atrocités qui se sont passées dans ce camp mais par la dérision il apporte un surcroît d'effet glaçant. Auschwitz n'est jamais nommé autrement que par la zone d'intérêt. le nom d' Hitler n'est jamais prononcé mais il est omniprésent, car tous se réclament de lui dans l'exécution de leurs basses oeuvres.
En refermant ce livre je n'ai pas pu m'empêcher de penser à tous ces camps qui existent actuellement sur la planète. A tous ces endroits où au prétexte d'une quelconque idéologie certains s'autorisent à tuer et à torturer en fait pour leur simple plaisir. Il n'y règne peut être pas l'organisation nazie, mais le sentiment de toute puissance que donne la faculté d'ôter la vie est bien là.
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Un remarquable roman sur la Shoah vue de l'intérieur, à la manière des Bienveillantes de Jonathan Littell mais aussi de la mort est mon métier de Robert Merle. La façon qu'a Martin Amis de nous faire comprendre que le nazisme est incompréhensible est magistral. Rarement un auteur a aussi bien su décrire l'indescriptible. Les personnages sont campés avec une grande maîtrise ; l'idée qu'a eue l'auteur de mêler des mots allemands aux passages dans lesquels le commandant du camp est le narrateur est très suggestive. Le style de l'auteur, tout à fait particulier en ce que, bien que racontant une histoire, il ne semble pas la raconter vraiment, une partie variable du sens échappant toujours au lecteur, est particulièrement bien adapté au sujet traité. Il est totalement incompréhensible que Gallimard ait refusé ce livre magistral et terrible.
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Dérangeant, mais comment ne pas l'être pour traiter d'un tel sujet... Dans un camp de concentration, la mise en oeuvre de la solution finale, les relations (in)humaines, les différentes postures (héros, sadique, obstructeur, profiteur, ...)
Intéressant pour le fond, rude parfois.
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