La langue secrète du corps c'est pas cette langue papillaire qui gamberge entre vos joues en attendant impatiemment le moment d'aller se trémousser sur des chairs accueillantes, ce n'en est que sa métaphore. Prenez cette phrase anodine parmi tant d'autres : « Turlututu, chapeau pointu » et faites-la prononcer par un genre de robot qui aurait été programmé pour raconter des conneries ; vous penserez certainement, et avec raison, que ce robot peut éventuellement rehausser le QI moyen de l'humanité même s'il ne peut toujours pas vous garantir la joie d'une conversation authentique. Maintenant, imaginez que votre illusion amoureuse du moment s'approche de vous en susurrant cette douce incantation à vos oreilles déjà légèrement décérébrées par votre taux d'alcoolémie : l'incantation se transfigure – c'est jusqu'à votre âme qui fond et se métamorphose ! Ô miracle de
la langue secrète du corps et de la langue !
Je crois que j'ai à peu près tout résumé ce livre, désolée si j'ai un peu pourri le suspens qui, de fait, est plus que parcellaire. On attend les retournements de situation, les révélations incroyables, le climax de l'illusion du savoir, mais que dalle. Dès le début, la meuf nous prévient : « Soyons clair : on ne lit pas une personne comme un livre et, contrairement à ce que pensent et disent les gens mal informés et mal formés, la communication non verbale ne se réduit pas à un dictionnaire des gestes. Elle n'est pas neutre, elle produit un impact. Elle n'informe pas, elle implique. C'est un phénomène global, total, qui ne peut être compris que dans un contexte et une interaction. »
Nous voilà bien rassurés : on nous prend donc pour des cons. On sait au moins que nous n'aurons pas trop de mal à lire ce bouquin malgré un titre qui aurait pu nous laisser envisager de longues heures de masturbation mentale (n'oublions pas que toute masturbation, une fois terminée, ne vaut plus rien).
Bref, AAS nous dit ce qu'on savait déjà (mais alors pourquoi lit-on ce livre sinon pour se passer le temps d'un ennui mortel ?) : il n'existe pas de dictionnaire des gestes, il n'en existera jamais, car le langage du corps s'interprète dans un contexte donné dans un ensemble formé par la culture, l'histoire personnelle, le contexte d'énonciation, la météo, l'état du transit, la date de la dernière ovulation, ou encore le taux de pollution (et la permission de rouler ou non selon le numéro de plaque d'immatriculation et/ou l'obéissance à l'injonction d'acheter une vignette qu'on colle sur son pare-brise pour décorer). Et AAS nous sort un truc de taré, c'est qu'elle nous dit que le langage du corps ne peut se comprendre qu'à condition d'être impliqué, et il faudrait pouvoir mettre ce mot en italique pour comprendre à quel point c'est important. Alors, à défaut de nous farcir un dictionnaire du langage du corps, on se tape un truc encore pire : une énumération de tous les différents travaux qui ont été menés de par le monde (mais surtout de par le monde occidental, puisqu'ici tout le monde se fait chier) sur différentes gestuelles et habitudes culturelles, tout ça pour les mettre en perspective dans une visée relativiste. Bref : on ne saura qu'une chose, c'est qu'on ne sait rien, mais on va faire comme si en attendant.
Globalement, cette étude amène peu d'idées originales mais établit un catalogue des recherches menées sur le sujet. Si on a du temps à perdre, on pourra les approfondir, mais pas moi. Certaines de ces études m'ont beaucoup gênées : j'ai eu l'impression d'assister à une séance de masturbation (décidément, ce mot revient souvent, et cela me chagrine au plus haut point) d'intellectuels en mal de réflexion. Ainsi aura-t-on droit à un chapitre entier sur la signification du déclic du haussement de sourcil lors de la rencontre avec un individu tiers. le niveau est du plus subliminal : les mecs qui ont étudié ça ont passé leur vie entière à filmer des gens qui se serrent la main et à passer le film au ralenti pour que la vidéo de deux minutes puisse dure cinq heures et plus encore car la vidéo, vous vous en doutez bien, ils ne se contentent pas de la regarder une fois. Voilà des gens qui doivent être bon public au cinéma.
On a encore une autre formidable étude, épique et aussi passionnante qu'un épisode de Game of throne, sur le port des lunettes : « […] Michael Argyle a étudié, avec Robert McHenry, l'influence du port de lunettes sur l'estimation de l'intelligence. Dans une première expérience, ils ont trouvé qu'on attribuait aux porteurs de lunettes, en moyenne, treize points de plus que leur quotient intellectuel véritable. Mais dans une seconde expérience ils ont remarqué qu'il suffisait de cinq minutes de conversation avec l'interviewé pour ramener le quotient intellectuel du porteur de lunettes à une estimation plus juste ». Voilà pourquoi les speed-datings ont le vent en poupe : il suffit de cinq minutes seulement pour savoir si son interlocuteur relève de la gente cacaniolet ou non. Il en faudrait un peu davantage pour savoir si c'est un bon coup hardi au pieu mais ça, c'est une autre histoire et de toute façon, rares sont ceux qui gardent leurs binocles pour baiser. Je ne parlerai pas non plus de cet autre mec,
Gregory Bateson, qui a fait des études sur le langage des dauphins. On sait depuis H2G2 que les dauphins sont super intelligents mais enfin, je ne vois pas pourquoi on voudrait savoir ce qu'ils pensent de nous.
Voilà quoi, cette somme est un très bon essai plein d'informations qui intéresseront ceux qui s'intéressent à cela, c'est-à-dire pas moi. Que diable la
psychanalyse ne fut pas invoquée, ne serait-ce qu'une seconde, dans les pages de ce livre de sociologie creuse, pour nous sortir de notre torpeur ? Certes,
Freud est vaguement évoqué à travers le rappel de cette pensée : « Celui qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre peut se convaincre que nul mortel ne peut arriver à garder de secrets. Si ses lèvres sont silencieuses, il bavarde avec le bout de ses doigts, la trahison suinte par chacun de ses pores » mais je pense que
Freud se serait bien marré en lisant que certains troufignons ont fondé depuis lors la dansethérapie, où on tortille des piautes à droite à gauche pour se libérer de tous ces foutres dieux de refoulements sans nom. le regard, seule fonction indirecte érotique du corps, ne sera malheureusement jamais évoqué dans ce livre – sans doute car la langue ne peut jamais venir pourlécher le regard de ses globules avides. Mon dieu, que tout cela est bien long.