Sur la fenêtre
Extrait 5
Le nouveau texte qui vient. Quelque chose comme un élan
ou une force obscure qui pousse. Dans les mots, le plus sou-
vent insatisfaisants, quelque chose pourtant se fait, je le sais
d'un savoir trouble. Il y a là, également, une sorte de forme
qui s'impose — une suite de vagues, une force horizontale
qui draine avec elle les visions les plus diverses. Ça ressem-
ble un peu à l'écriture d'Obéissance au vent, mais en beau-
coup plus lent, plus têtu, plus sourd. J'ai d'ailleurs du mal à
m'y retrouver ou à continuer. Souvent la tension baisse et il
faut un effort d'oubli pour qu'elle se rétablisse. Mes textes
longs se font toujours ainsi : par une alternance de tension
et de relâchement, d'enthousiasme et de découragement,
de hauts et de bas. Et j'attends patiemment ce qui doit
émerger ou non de tout cela.
2006
Sur la fenêtre
Extrait 1
On croirait, au fond, par-delà les collines, voir s’étendre
un lac dont les rives seraient les montagnes. Au lever des
yeux, c’est d’abord ce qui saisit le regard, dans la surprise
de ne pas reconnaître le paysage familier. L’espace paraît
s’être élargi, approfondi, et Saint Martin être devenu, pour
un matin, une station balnéaire toute tournée vers les eaux
gis perle. Pour un moment, l’acte de perception se montre
à découvert : une construction du donné à travers des ima-
ges, des schémas mentaux qui lui donnent forme et le font
entrer dans la catégorie du nommable : ici un lac et ses rives.
On a beau savoir que ce qu’on voit n’est pas ce qu’on voit,
la vision persiste jusqu’à ce qu’une légère variation atmos-
phérique vienne comme un rideau doucement tiré peu à
peu gommer l’illusion et rendre au paysage sa rassurante
physionomie.
Sur la fenêtre
Extrait 4
Que signifie cette incapacité toujours marquée à écrire
autre chose que ce que je vis à l'instant même ? Comme
s'il me fallait me raccrocher à ces bribes concrètes de la
vie pour ne pas me dissoudre. Et, en même temps, para-
doxalement, en avoir besoin pour m'effacer et laisser
être ce qui est. Peut-être la bonne expression est-elle
celle-là. Écrire ce serait tenter par le langage de rompre
les digues, les blocages psychologiques, logiques ou au-
tres pour, oui, laisser être. Ce qui réclame de passer et
de s'ouvrir. Ce qui ne peut se faire qu'ici et maintenant.
2006
Sur la fenêtre
Extrait 2
Pour les Pythagoriciens, le temps était infernal.
Le nombre le réduisait, le rationalisait.
Compter apaise l’angoisse du temps. C’est une
sorte de rite qui apaise l’horreur qu’il suscite
dans la monotonie.
Sur la fenêtre
Extrait 3
Les gouttes noires et blanches sur la vitre, la cime des arbres
d'un vert sombre, touffu, la fumée des collines, leur découpe
à peine sur le ciel plus pâle, un semis de cris d'oiseaux comme
une légende sous l'image...
POÉSIE HISPANIQUE – l’Espagne contemporaine : de l'Ultraísmo à Sanchez Ortiz (France Culture, 1982)
Une compilation des émissions « Albatros », par Gérard de Cortanze, diffusées les 3, 10, 17, 24 et 31 janvier 1984 sur France Culture. Invités : Jacques Ancet, Saül Yurkievich, Claude Miniere et Severo Sarduy. Poètes évoqués : José Angel Valente, Pere Gimferrer, Andres Sanchez Robayna, Julian Rios et Emilio Sanchez Ortiz.