Unnatural, tome 1

Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2018 pour la version américaine, écrits, dessinés, mis en couleur par Mirka Andolfo, avec l'aide de Gianluca Papi pour les couleurs, avec un lettrage réalisé par Fabio Amieja. Il se termine avec 10 pages d'études graphiques, et les couvertures alternatives réalisées par Milo Manara, Mirka Andolfo (*3), Artgerm, Matteo Scalera, Bengal. À l'origine, cette histoire est parue en italien.

Dans un espace blanc, Leslie Blair est en train d'attendre, sa nudité à peine voilée par un linge transparent. Un grand loup blanc anthropomorphe s'approche d'elle par derrière, enlève le voile et la prend. Leslie Blair se réveille, ayant trempé son oreiller de bave sous l'émotion. Sa colocataire Trish Friha lui enjoint de se dépêcher pour être à l'heure au travail. Leslie caresse Pif, son lézard domestique, se lève et se prépare Elle se rend au travail en scooter, tout en repensant à son rêve et au tabou qu'il représente. La société condamne sévèrement les amants inter-races. Alors qu'elle descend de son scooter, il se met à pleuvoir à verse. Derek arrive à point nommé pour la protéger avec son blouson, le temps de franchir les quelques mètres qui les séparent du bar où ils travaillent. À l'intérieur, la télévision diffuse un spot sur les choix contre-nature de partenaire, et le Programme de Reproduction avec son appli Real Love qui permet de trouver le partenaire idéal. Pendant ce temps-là, les employés ont pu se changer avec les nouveaux uniformes, et Leslie constate que la robe du sien est au moins une taille trop petite, couvrant à peine sa généreuse poitrine, et laissant ses cuisses à l'air. Monsieur Hans, le patron, lui explique qu'il a déjà beaucoup investi dans ces costumes et qu'il n'est pas question qu'il en rachète. Mais, avec un regard lubrique, il propose à Leslie qu'elle passe dans son bureau pour formuler une réclamation.

Leslie Blair décide donc de se mettre au travail sur le champ pour fuir cette proposition scabreuse et prendre de la distance physique avec son patron. Avec les autres employés, elle commence à préparer la salle, en passant le balai. Derek vient papoter avec elle, lui proposant de se marier avec Max. Leslie le rembarre car Max est l'amant de Derek, tout en sachant bien qu'en ce jour de son anniversaire de ses 25 ans, il va bientôt falloir qu'elle se marie. Derek ajoute qu'il ne s'agirait que d'un mariage blanc pour convenance et pour alléger leur pression fiscale. Leslie se remet au travail, mais elle remarque un individu au visage protégé par une capuche, en train de les regarder à travers la vitrine. L'individu s'en va, laissant une impression désagréable à Leslie. le soir, elle rentre dans son appartement en colocation avec Trish Friha, et se plonge dans un bon bain, tout en savourant un verre de vin. le rêve érotique avec le loup blanc reprend avec plus de force.

La couverture ne ment pas sur le contenu de l'histoire. le lecteur y voit une cochonne anthropomorphe dodue, à la poitrine généreuse, et aux cheveux bleus. Effectivement le personnage principal est bien cette charmante créature, avec la même anatomie, le même charme au fort potentiel érotique, et la même couleur de cheveux. Mirka Andolfo tient la promesse d'un érotisme doux, le lecteur pouvant admirer les fesses et la poitrine dénudées de Leslie Blair une fois par épisode. Il est également question de relations sexuelles, exclusivement celles du rêve, et les dessins restent dans le registre de cet érotisme doux, sans montrer les parties génitales, ni les accouplements, encore moins des gros plans. L'autrice réussit son numéro d'équilibriste : montrer une femme à la forme de cochonne anthropomorphe et la rendre désirable pour un lecteur mâle, sans la réduire à l'état d'objet du désir. Leslie Blair reste avant tout une jeune femme, travaillée par la pression sociale, les exigences de se mettre en couple, avant d'être une conquête potentielle pour les besoins d'une nuit. Elle est bien en chair du début jusqu'à la fin, sans être obèse ou obscène. Elle est consciente de ses formes, et elle sait supporter le regard des autres, sans forme de culpabilisation ou de sentiment d'infériorité. Elle réussit à jouer le jeu de la séduction tel qu'imposé par les mâles de son entourage, sans se sentir souillée ou avilie, sans en souffrir, sans qu'ils ne puisent profiter. Mirka Andolfo arrive à rendre compte de la pression sociale de se conformer aux stéréotypes de la séduction féminine, sans que son héroïne n'en souffre, sans qu'elle ne cède, sans que ça n'en devienne malsain.

Les autres personnages ont également l'apparence d'animaux anthropomorphes de différentes espèces : le somptueux loup blanc pour l'amant onirique, le crocodile pour Monsieur Hans, le bouc pour Derek, la souris pour Trish Friha, le panda pour la libraire, l'écureuil pour l'hôte du Programme de Reproduction, etc. Ces personnages sont à la fois mignons dans leur apparence, mais aussi plausibles en tant qu'être humain, grâce à des expressions de visage justes et un langage corporel éloquent. Esthétiquement, les pages de Mirka Andolfo évoquent une filiation avec le travail de Alessandro Barbucci et Barbara Canepa pour Skydoll, mais dans un autre univers. Elle utilise une palette de couleurs douces pour habiller des traits encrés qui détourent des formes assez simples et épurées. Cela donne des dessins à la lisibilité immédiate, très agréables à l'oeil du fait de leur aspect lissé dépourvu d'agressivité. L'artiste apporte un soin particulier aux tenues vestimentaires de ses personnages, variées et adaptées à leur condition sociale, ainsi qu'à leur activité du moment. Sans être outrageusement coquettes, Leslie et Trish font attention à leur coiffure et à leurs vêtements, avec des tenues allant du plus confortable (les espèces de pyjamas de Leslie) au plus sophistiqué (les tenues de séduction pour repas entre amoureux). le lecteur peut également se focaliser les différentes sortes de boucles d'oreille portées par les personnages féminins.

L'élaboration d'une mise en couleurs très sophistiquée permet à Mirka Andolfo de délaisser les décors quand la scène se concentre sur les personnages, mais elle ne s'en désintéresse pas pour autant. le lecteur peut faire le tour de l'ameublement et de l'aménagement de la chambre de Leslie, détailler son modèle de scooter (rose bien sûr), observer le paysage urbain (à commencer par les façades d'immeuble), promener son regard tout autour de l'immense pièce d'accueil du siège du Programme de Reproduction, s'assoir à table avec Leslie &Nicholas Jones pour déguster des sushis dans un restaurant, ou encore s'installer dans l'appartement plus modeste de Derek & Max. L'artiste adapte sa mise en scène à la nature de chaque scène, prenant le temps de montrer les personnages quand ils apparaissent pour la première fois, avec une direction d'acteurs apportant de l'animation aux scènes de dialogue, et rendant les scènes d'action très vivantes. La narration visuelle constitue donc un véritable plaisir pour les yeux, avec des personnages originaux et jolis, évoluant dans des environnements bien définis, et nourris de couleurs chaudes et douces.

Le récit commence donc par une séquence de caresses sensuelles, avant de passer au quotidien beaucoup plus sage de Leslie Blair. À l'opposé d'un récit prétexte à aligner des scènes érotiques, l'histoire met en scène une jeune femme qui doit se préparer à se conformer aux exigences sociales. Ayant atteint 25 ans, il est attendu de Leslie Blair qu'elle se mette en couple, se marie et ait des enfants. L'organisation de la société comprend une agence gouvernementale dont le rôle est de s'assurer que chaque citoyen et citoyenne trouve son âme soeur, s'il ne l'a pas trouvé par ses propres moyens une fois parvenu à l'âge limite de 25 ans. Mais les règles sociales ne s'arrêtent pas là : elles imposent également un conformisme dans le choix du ou de la partenaire qui doit appartenir à la même espèce. le lecteur peut y voir une métaphore sur la pression sociale qui pèse sur les catherinettes, sur le modèle unique et exclusif du couple hétérosexuel et de même race, mais aussi la normalité qui veut que l'on ait des enfants. Mirka Andolfo a également repris la dimension fiscale du foyer, en indiquant que les célibataires sont plus imposés que les familles, une autre forme d'incitation tout aussi forte à fonder un foyer.

Le récit ne se milite pas à une métaphore de la pression sociale pesant sur les femmes pour devenir mère, car il comprend également une intrigue de type aventure. En effet, Leslie Blair est bien suivie par un mystérieux individu. Elle est enlevée par un groupe de personnes souhaitant la présenter à un mystérieux Glance. Il y a même un meurtre. En outre, Trish Friha décide de se renseigner pour savoir s'il y a déjà eu d'autres cas répertoriés d'individus faisant des rêves érotiques inter-espèces. À sa grande surprise, une recherche internet lui permet de découvrir l'adresse d'une librairie susceptible de disposer d'un ouvrage sur le sujet. Elle finit par avoir entre ses mains un livre intitulé Tijoux, écrit par Fulvius Gambots. Elle décide d'aller interroger l'auteur. Avec cette intrigue secondaire, l'autrice introduit la possibilité d'un autre ordre social, par le biais d'un conte, ou peut-être de quelque chose de plus qu'un conte.

Avec ce premier tome, Mirka Andolfo raconte une histoire des plus séduisantes, à la fois avec sa pulpeuse héroïne, à la fois pour sa dimension sociale sur la pression à fonder un foyer et une famille, à la fois pour des dessins aussi jolis et doux que constituant une riche narration visuelle.

J'avais hâte de lire Mirka Andolfo, une bédéiste italienne qui a réussi à percer tant le marché de la BD Franco-belge que celui du comic américain.Unnatural est étrange. Pensez à l'histoire de Handmaid's Tale qui se déroulerait dans l'univers de Bojack Horseman. Ajoutez a cela une bonne dose d'érotisme et une grosse pincée de mysticisme.La fin tombe un peu à plat à mon avis. Les éléments originaux mènent vers la conclusion la plus conventionnelle qui soit.Les dessins sont absolument magnifiques. Probablement un chef-d'oeuvre pour les furries.